Résumé
Objectif Présenter des recommandations sur la prise en charge des patients qui ont obtenu des scores élevés avec l’outil d’autoévaluation des saignements (Self-BAT) ou qui présentent d’autres symptômes hémorragiques, en milieu de soins primaires.
Sources de l’information Des sources de recherche primaire, des articles de revues cliniques, et des entrevues avec du personnel de recherche, des hématologues et des médecins de famille ont servi à produire les ressources sous forme d’affiches et d’un guide de référence.
Message principal Parmi les recommandations sur la prise en charge d’un patient dont les scores au Self-BAT sont élevés ou qui présente d’autres symptômes hémorragiques figurent les suivantes : passer en revue les résultats du Self-BAT pour clarifier les symptômes pertinents, effectuer les tests diagnostiques de laboratoire initiaux et gérer les symptômes de base. Il faut se servir de son jugement clinique pour déterminer la nécessité d’une demande de consultation en hématologie, mais il y a lieu d’envisager une telle démarche si les scores liés aux saignements sont anormaux ou si les options de gestion initiales ne sont pas efficaces. Il est justifié que certains symptômes hémorragiques soient évalués par un gastroentérologue, un obstétricien-gynécologue ou un otorhinolaryngologiste.
Conclusion Les professionnels des soins primaires devraient examiner rigoureusement les résultats du Self-BAT et les recommandations de prise en charge connexes dans le cas d’un patient qui a un score élevé ou présente d’autres manifestations hémorragiques. L’examen comprend la clarification des symptômes pertinents, les analyses de laboratoire pertinentes laboratoire et l’éducation du patient. Les options thérapeutiques pour la gestion des symptômes devraient être envisagées, tout en le reconnaissant lorsqu’il s’impose de demander une consultation en hématologie.
Les troubles hémorragiques symptomatiques héréditaires sont courants dans la population canadienne, et leur prévalence se situe à environ 1 sur 10001. Les troubles hémorragiques comme la maladie de Willebrand (MdW) ont pour caractéristiques un saignement excessif ou prolongé causé par des blessures mineures, des soins dentaires, des interventions chirurgicales ou autres; une tendance aux ecchymoses; une épistaxis; un saignement dans la cavité buccale; et un saignement musculosquelettique chez les personnes gravement touchées1,2. En outre, les femmes en particulier peuvent avoir une ménorragie, une hémorragie post-partum, et d’autres symptômes obstétricaux et gynécologiques3,4.
Malgré les effets négatifs des symptômes hémorragiques, de multiples obstacles au diagnostic subsistent en raison des difficultés dans le signalement de ces symptômes et dans la distinction entre des saignements normaux ou anormaux5,6. Les femmes sont affectées de manière disproportionnée, parce que les manifestations gynécologiques et obstétriques des troubles hémorragiques sont souvent difficiles à quantifier et sont fréquemment négligées ou ignorées1. L’omission de reconnaître les symptômes anormaux fait en sorte que de nombreuses femmes affectées ne sont pas diagnostiquées ni traitées de manière appropriée7,8. Il s’ensuit une diminution de la qualité de vie sur le plan de la santé9,10.
De plus, l’absence d’un consensus international entourant les seuils diagnostiques, la classification et la nomenclature pose d’autres obstacles à une évaluation efficace des saignements et à leur gestion subséquente. De récents efforts pour améliorer l’évaluation du risque et l’exactitude diagnostique, de même que pour orienter les demandes de consultation et les traitements ont mené à l’élaboration et à la reconnaissance d’outils normalisés d’évaluation des saignements (BAT) devant servir au dépistage et au diagnostic1. Les outils BAT validés sont des instruments utiles pour compléter l’anamnèse des patients et parfaire la demande de consultation11,12. Élaboré par la Société internationale de la thrombose et de l’hémostase (ISTH) en 2010, le BAT de l’ISTH présente une série de questions et de scores dans le but de normaliser les rapports quantitatifs des symptômes liés aux saignements13-15. Cependant, étant donné que le BAT de l’ISTH avait été conçu comme un instrument de dépistage administré par des professionnels de la santé, il était initialement inaccessible pour une utilisation publique généralisée.
En 2015, on a instauré le BAT autoadministré (Self-BAT), qui inclut des modifications au BAT de l’ISTH pour permettre à la population en général de déterminer ses scores de saignements de manière autonome et en termes simples. Même si le format du Self-BAT comporte ses limites, comme le fait de se fier aux souvenirs et le risque de saturation des scores menant à une insuffisance dans le signalement des symptômes de saignements, cet instrument a été validé comme outil de dépistage des troubles hémorragiques sous-jacents16. Les outils d’évaluation des saignements font la distinction avec exactitude entre un saignement normal et anormal, et leur utilisation en milieu de soins primaires est recommandée par l’American Society of Hematology, l’ISTH, la National Hemophilia Foundation et les lignes directrices de 2021 de la Fédération mondiale de l’hémophilie17.
En 2016, la promotion du Self-BAT par le site Web Let’s Talk Period (https://letstalkperiod.ca) a permis d’élargir l’accessibilité de l’instrument au grand public. En plus d’améliorer l’accessibilité et la sensibilisation du public au Self-BAT, le site Web fonctionne simultanément comme outil de transposition des connaissances en présentant des renseignements sur les saignements menstruels normaux par rapport aux saignements anormaux18. Les médias en général, les médias sociaux et les milieux scolaires ont fait la promotion de Let’s Talk Period. Dès 2020, 19365 personnes au total avaient répondu au Self-BAT, et 44 % avaient obtenu un score de saignements anormal1.
Il est important que les médecins de famille disposent des ressources et de l’information nécessaires pour mettre en œuvre le Self-BAT comme outil de dépistage, interpréter les scores de saignements, et utiliser le Self-BAT pour orienter les soins et les demandes de consultation de manière efficace13. Par conséquent, nous avons proposé des sources d’information (Figures 1 et 2; les versions imprimables sont accessibles dans CFPlus*) pour renseigner les professionnels des soins primaires au sujet du Self-BAT, notamment la façon de l’utiliser pour l’évaluation du risque, l’interprétation de ses résultats, les tests diagnostiques recommandés, la prise en charge et les consultations appropriées, de même que des perles cliniques pour examiner les résultats anormaux. Cet outil s’applique dans la pratique clinique lorsque des personnes consultent leurs professionnels de la santé après avoir obtenu un score anormal avec le Self-BAT ou qu’elles présentent d’autres symptômes liés aux saignements qui laissent présager l’existence d’un trouble hémorragique non diagnostiqué.
Description du cas
F. A. est une femme de 22 ans qui consulte sa médecin de famille après avoir répondu en ligne au Self-BAT dans le site Let’s Talk Period. Elle a fait cette évaluation en raison de ses saignements menstruels abondants et de sa carence en fer depuis la ménarche. Elle a obtenu un score de 6 (fourchette normale pour une femme de 0 à 5). Sa médecin de famille ne connaît pas bien le Self-BAT et veut savoir comment le score de saignements influera sur la prise en charge clinique.
Sources de l’information
Des ressources, sous forme d’affiches et d’un guide de référence, ont été produites en résumant des renseignements tirés de sources de recherche primaire et d’articles de revue clinique, et en faisant la synthèse de données formelles et de rétroaction qualitative fournies par 10 personnes (4 membres du personnel de recherche, 2 infirmières qui s’occupent de soins aux patients atteints de troubles hémorragiques, 1 hématologue et 2 étudiantes en médecine, tous de l’Université Queen’s à Kingston [Ontario]) qui ont été interviewées à l’automne de 2019 pour cerner des lacunes dans la pratique clinique.
Message principal
Au nombre des recommandations sur la prise en charge d’un patient qui a un score élevé avec le Self-BAT ou qui présente d’autres symptômes hémorragiques et consulte un professionnel des soins primaires se trouvent une revue des résultats du Self-BAT pour clarifier les symptômes pertinents, une ordonnance de tests diagnostiques initiaux en laboratoire et la gestion de base des symptômes. Il incombe au professionnel des soins primaires d’utiliser son jugement clinique pour déterminer les seuils où il y a lieu de demander une consultation en hématologie, mais une telle démarche devrait être envisagée si le score de saignements est anormal ou si les options de gestion initiales sont inefficaces.
Revue du Self-BAT avec le patient. Puisque le Self-BAT a été élaboré et validé en tant que version administrée par le patient du BAT de l’ISTH, qui est administré par un professionnel de la santé, l’un ou l’autre des instruments peut servir en milieu clinique pour passer en revue les symptômes liés aux saignements12,16,19. Selon les 2 outils, un score de 4 ou plus chez les hommes et de 6 ou plus chez les femmes est considéré comme anormal, et des scores plus élevés indiquent une plus grande probabilité de la présence d’un trouble hémorragique héréditaire13. Il importe de signaler qu’un score de saignements normal n’exclut pas toujours l’existence d’un trouble hémorragique, surtout chez les hommes et les enfants qui n’ont pas déjà eu d’épisodes de saignements. Le jugement clinique joue un rôle important dans la décision de demander une consultation et dans la détermination des seuils pour ce faire.
Tests diagnostiques. Les tests de laboratoire initiaux recommandés comprennent un hémogramme complet, le taux de ferritine, le temps de céphaline activée (TAC) et le temps de prothrombine20. Les mesures du temps de céphaline activée et du temps de prothrombine peuvent exclure des déficits en facteurs comme étant la cause des saignements; toutefois, des résultats de tests normaux ou un TCA allongé isolé n’excluent pas la MdW chez un patient qui présente des symptômes hémorragiques. Les tests pour la maladie de Willebrand (p. ex. dosage de l’antigène du facteur Willebrand [VWF], tests de la fonction plaquettaire du VWF comme ceux qui mesurent la capacité de liaison du VWF au fragment mutant gain de fonction de la glycoprotéine Ib et ceux qui mesurent l’activité de coagulation du facteur VIII) peuvent être inclus dans le bilan demandé par le professionnel de la santé initial ou prescrits par un hématologue, et ils peuvent confirmer une MdW. Selon le laboratoire, les analyses prescrites dans la communauté peuvent accuser des taux allant jusqu’à 30 % de faux positifs, en raison de variables antérieures à l’analyse (p. ex. effets du retard dans le transport, ou température inappropriée lors du prélèvement ou de l’entreposage des spécimens)12,21. Il est recommandé d’interpréter un résultat positif avec prudence ou de demander une confirmation des résultats par une clinique d’hématologie20,22.
Perles cliniques. Durant la revue des résultats du Self-BAT avec le patient, il faudra explorer et gérer certains symptômes. Des perles cliniques utiles pour chacune des catégories de symptômes dans le Self-BAT se trouvent à la Figure 2 et peuvent aider dans le processus de la demande de consultation, car ce ne sont pas tous les symptômes qui justifient une évaluation par un hématologue ou un autre spécialiste.
La présentation des troubles hémorragiques peut varier selon qu’il s’agit d’une population pédiatrique ou adulte. Si un seul symptôme chez un adulte mérite rarement une consultation en hématologie, un seul chez un enfant, comme la présence d’ecchymoses récurrentes, des saignements lors d’interventions, une épistaxis ou des règles abondantes, peut laisser présager un trouble hémorragique sous-jacent.
Prise en charge. Il existe de nombreuses options thérapeutiques qu’un médecin de famille peut mettre à l’essai avant ou de concert avec une demande de consultation en hématologie ou en obstétrique et gynécologie. Les choix de traitements hématologiques peuvent inclure des suppléments de fer par voie orale ou intraveineuse, des médicaments hémostatiques comme l’acide tranexamique, la desmopressine ou une thérapie de remplacement de facteur20. La prise en charge gynécologique pour des règles abondantes peut comporter des contraceptifs hormonaux, l’insertion d’un dispositif intra-utérin, l’ablation endométriale ou, parfois, une hystérectomie23-25.
Résolution du cas
La médecin de famille de F. A. passe en revue les résultats obtenus avec le Self-BAT. En plus de sa ménorragie et de sa carence en fer depuis sa ménarche, F. A. a aussi des épisodes d’épistaxis et se fait des ecchymoses facilement, sans compter un saignement prolongé après l’extraction d’une dent. Après avoir approfondi l’anamnèse, la médecin de famille est incapable de déterminer une cause connue pour ces multiples symptômes hémorragiques. Par exemple, l’épistaxis des 2 narines n’est pas causée par des variations saisonnières, et la patiente ne prend pas de médicaments susceptibles d’augmenter le risque de saignements. La présence de nombreux symptômes hémorragiques inexpliqués porte la médecin à croire à la présence d’un trouble hémorragique héréditaire. Elle prescrit un hémogramme de base, qui confirme une anémie ferriprive, le temps de prothrombine est normal et le TAC est allongé. Un TAC anormal et la présence de symptômes hémorragiques incitent la médecin à prescrire un bilan visant à dépister la MdW. Les résultats sont positifs et un diagnostic de la MdW est posé. Pour traiter les symptômes hémorragiques, elle prescrit et insère un dispositif intra-utérin au lévonorgestrel dans le but de réduire les saignements et la douleur durant les menstruations, de même que la nécessité de prendre des suppléments de fer. En outre, elle prescrit un vaporisateur nasal d’oxymétazoline pour gérer l’épistaxis et des comprimés d’acide tranexamique pour les épisodes de saignements. Une demande de consultation en hématologie est présentée pour la prise en charge à long terme de la MdW et l’éducation à cet égard.
Conclusion
Il est essentiel de savoir comment interpréter un score du Self-BAT pour faciliter le diagnostic et le choix des recommandations de traitements. Un examen efficace du score du Self-BAT et des symptômes hémorragiques avec un patient peut assurer la réalisation rigoureuse de l’anamnèse et de l’examen, et permettre au médecin de prendre des décisions centrées sur le patient en matière de soins de santé, tout en servant de guide pour une demande de consultation appropriée auprès des spécialistes pertinents. Le sous-diagnostic actuel des troubles hémorragiques, particulièrement chez les femmes, a des conséquences considérables et évitables sur le plan physique et psychologique9. La difficulté de quantifier les manifestations hémorragiques, le manque de consensus entourant la nomenclature et les seuils diagnostiques, de même que les demandes de consultation inappropriées en spécialités posent tous des défis à la qualité des soins aux patients. Nous espérons que les perles cliniques et les ressources présentées ici faciliteront l’intégration du Self-BAT dans les normes de soins aux patients qui présentent des symptômes hémorragiques ou ont obtenu des scores élevés au Self-BAT. Les recommandations particulières aux symptômes, les bilans diagnostiques initiaux, la gestion des symptômes et la clarification des seuils de consultation en hématologie présentés dans le guide permettront aux professionnels des soins primaires de mieux répondre aux besoins des personnes atteintes de troubles hémorragiques héréditaires et d’alléger la morbidité grâce à des interventions plus efficaces. De futurs travaux de recherche devraient évaluer l’efficacité de l’outil de référence à l’appui de l’intégration du Self-BAT dans la prise en charge des patients en pratique clinique et aider à combler les lacunes actuelles dans la gestion des troubles hémorragiques.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ L’outil d’autoévaluation des saignements (Self-BAT) est une version conviviale pour le patient du BAT de la Société internationale de la thrombose et de l’hémostase qui a été validé comme outil de dépistage des troubles hémorragiques héréditaires.
▸ Des scores de 4 ou plus chez les hommes et de 6 ou plus chez les femmes sont considérés comme anormaux, et ces scores positifs laissent présager un trouble hémorragique héréditaire. Par ailleurs, des scores normaux n’excluent pas toujours la présence d’un trouble hémorragique, surtout chez les hommes et les enfants, qui n’ont peut-être pas déjà eu d’épisodes de saignements. Il y a lieu d’user de son jugement clinique lorsqu’on envisage une demande de consultation en hématologie.
▸ Les professionnels des soins primaires devraient passer rigoureusement en revue les résultats de l’outil Self-BAT avec les patients pour assurer un traitement efficace et en temps opportun. Cet examen devrait inclure la clarification des symptômes pertinents, les analyses de laboratoire pertinentes et l’éducation du patient.
Footnotes
* Les versions imprimables des Figures 1 et 2 sont accessibles à https://www.cfp.ca. Allez au texte intégral de l’article en ligne et cliquez sur l’onglet CFPlus.
Collaboratrices
Katie Yeung et Clare McGrath ont conçu l’idée du manuscrit, contribué à la recherche documentaire et à son interprétation, corédigé l’ébauche initiale du manuscrit, révisé le manuscrit et préparé le manuscrit final aux fins de présentation. La Dre Kelly Howse et la Dre Paula James ont supervisé le projet, fourni des données, fait des révisions éditoriales substantielles et, notamment, ont donné l’approbation finale du manuscrit.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, allez à https://www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 494.
- Copyright © 2022 the College of Family Physicians of Canada
Références
- 1.
- 2.
- 3.
- 4.
- 5.
- 6.
- 7.
- 8.
- 9.
- 10.
- 11.
- 12.
- 13.
- 14.
- 15.
- 16.
- 17.
- 18.
- 19.
- 20.
- 21.
- 22.
- 23.
- 24.
- 25.