L’édifice a pour principale raison d’être de servir d’instrument médical.
Alvar Aalto, Between Humanism and Materialism
Ainsi disait le célèbre architecte finlandais Alvar Aalto, dont les opinions révolutionnaires sur la conception des hôpitaux ont atteint leur point culminant avec la construction du réputé sanatorium Paimio dans son pays d’origine. Altao comptait parmi les premiers architectes de l’ère moderne à étudier l’environnement des patients et son apport à leur guérison. Avec le temps, il est devenu progressivement évident que la conception optimale de l’architecture médicale peut exercer une influence considérable sur la santé et le rétablissement des patients.
Le sanatorium Paimio a été conçu en plaçant au premier plan la guérison des patients. Grâce à une utilisation réfléchie des couleurs, de l’espace, de l’éclairage et du mobilier, cet hôpital était, dans un certain sens, un instrument médical1. Par exemple, puisque l’exposition au soleil était, à cette époque, un traitement courant de la tuberculose, les étages et les terrasses des patients étaient conçus pour laisser entrer au maximum la lumière du jour2. Les lavabos pour l’hygiène des mains étaient conçus de façon à laisser couler l’eau silencieusement afin de ne pas déranger le repos des patients. Les sources de lumière artificielle dans la chambre étaient disposées de sorte à ne pas être dans le champ de vision du patient. Les couleurs avaient été choisies stratégiquement. Aalto a donné l’explication suivante :
Les réactions physiques et psychologiques des patients ont fourni de bons indicateurs pour le logement ordinaire. Si nous procédons selon le fonctionnalisme technique, nous découvrirons qu’un grand nombre d’aspects, dans notre architecture actuelle, sont dysfonctionnnels3.
Il a poursuivi en insistant sur la nécessité de tenir compte de la perspective du patient : « La pièce ordinaire est faite pour une personne à la verticale : la chambre d’un patient est une pièce pour un être humain à l’horizontale; les couleurs, l’éclairage, le chauffage et le reste doivent être conçus en gardant cela à l’esprit »3.
Inspiration de l’Antiquité
Les architectes du XXe siècle comme Aalto, Frank Lloyd Wright et leurs contemporains se sont inspirés des Grecs anciens qui croyaient au pouvoir des lieux de guérison. Dans la Grèce antique, il y avait des temples de guérison, connus sous le nom d’asclépiéions, mot provenant d’Asclépios, le dieu grec de la médecine4. Les personnes malades venaient de loin pour recevoir des traitements dans un asclépiéion. Dans la médecine de la Grèce antique, on valorisait les interventions théra-peutiques qui visaient à soutenir les propriétés naturelles de guérison du corps humain. On croyait que les propriétés thérapeutiques inhérentes aux temples servaient d’adjuvants aux traitements médicaux, bains, interventions diététiques et rituels qu’on y trouvait. Ces sanctuaires étaient souvent construits dans des endroits boisés à proximité de sources. Les lieux sacrés étaient séparés de l’extérieur par des pierres ou par une enceinte murée appelés téménos4. Les édifices faisaient habituellement face à l’est (vers le soleil levant) et étaient légèrement surélevés par rapport au sol. Des bains chauffés élaborés étaient construits et fonctionnaient comme des saunas aux effets thérapeutiques. Certains temples étaient dotés d’espaces distincts pour que les visiteurs puissent y passer la nuit. Une nuit de sommeil au temple était connue sous le nom d’incubation (ou dormir dans le sanctuaire) et l’on croyait qu’elle était particulièrement énergisante; il est dit qu’Asclépios visitait en rêve ceux qui y dormaient. Les nombreux traitements réussis qui ont été prodigués dans ces sanctuaires grecs sont encore documentés dans le sanctuaire d’Asclépios à Épidaure.
De fait, les cultures antiques dans le monde entier croyaient en de tels endroits de guérison. Le vastu shastra était la science de l’architecture en Inde antique et consistait en des principes de design dont on croyait qu’ils favorisaient une bonne santé5. Des écrits expliquent en détail des sujets comme l’orientation idéale de l’alignement du corps pendant le sommeil et l’orientation optimale de l’entrée principale d’une résidence. Ces écrits comprennent aussi les premiers souffles de l’architecture organique, et donnent des lignes directrices sur la façon de concevoir harmonieusement les villes et les royaumes le long d’étendues d’eau et de jardins. Selon les croyances, la proximité avec des jardins avait des effets bénéfiques sur la santé physique et mentale. Le soleil exerçait aussi un rôle important dans le vastu shastra6. Les premiers rayons du soleil arrivent du nord-est, puis la lumière du soleil passe par le sud, pour ensuite se coucher à l’ouest. Les communautés étaient aménagées pour que les pièces exigeant de la lumière naturelle durant toute la journée (cuisine, salle de séjour) se trouvent au sud-est, tandis que celles qui n’en avaient pas beaucoup besoin en mi-journée (chambre à coucher, salle à manger) étaient situées à l’ouest. Dans le design des villes, on évitait les structures élevées au nord-est pour que les résidents urbains aient assez de lumière du soleil7. En outre, la lumière solaire directe peut inactiver certains types de bactéries8,9 et une telle exposition pourrait contribuer à des sources d’eau potable plus sécuritaires dans les communautés conçues adéquatement, ce qui explique peut-être pourquoi le vastu shastra recommandait de placer les bassins d’eau dans la direction du nord-est.
Ces principes anciens sont intégrés dans divers monuments et temples de l’Antiquité, y compris le complexe Angkor Wat au Cambodge, autrefois un temple hindou.
L’art feng shui, originaire de la Chine antique, guide le design de l’architecture et de l’environnement en se fondant sur le concept du ch’i (qi) ou force de la vie. Le feng shui stipule qu’exploiter le ch’i dans les maisons et les édifices est bénéfique pour la santé10 et suggère souvent des « cures », comme le placement délibéré et précis de miroirs, de plantes ou de sculptures pour corriger le flot du ch’i. On dit que les miroirs doublent l’énergie de ce qu’ils reflètent et, par conséquent, on met l’accent sur les réflexions de la lumière du jour ou d’espaces plaisants. Un miroir ne devrait jamais être placé en face du lit la nuit en raison des réflexions distrayantes juste avant de s’endormir10.
Perspectives contemporaines
Un exemple plus récent des effets du design sur la guérison nous vient des travaux de Roger Ulrich, publiés dans un numéro de 1984 de la revue Science11. La célèbre étude d’Ulrich a démontré l’influence que la vue d’une fenêtre peut avoir sur la guérison des patients. La recherche a examiné la durée du rétablissement des patients après une cholécystectomie pendant près d’une décennie dans un hôpital de la Pennsylvanie11. Dans le groupe de l’intervention, les chambres avaient des fenêtres donnant vue sur la nature. Le groupe témoin occupait des chambres semblables, mais avec une vue sur un édifice de briques (« mur de briques sans particularités »).
Le séjour à l’hôpital des patients assignés à une chambre avec vue sur la nature était plus court, et ces patients avaient eu besoin de moins d’analgésiques. De plus, les patients ayant une vue sur la nature ont eu moins de complications mineures postchirurgicales. Il pourrait aussi y avoir une corrélation avec l’attitude globale des patients, puisque ces derniers avaient moins de commentaires négatifs de la part du personnel infirmier dans leurs évaluations. Ulrich a avancé que de telles vues de la nature pourraient réduire le stress et l’agitation en général chez les patients11.
En outre, une revue parue en 2012 dans Building and Environment examinait les effets de l’environnement physique sur les patients et sur le personnel de la santé12. Les auteurs ont constaté que l’environnement d’un édifice pouvait contribuer à de mauvaises issues sur le plan des soins de santé ou encore les prévenir. Parmi les caractéristiques bénéfiques du design figuraient les chambres individuelles, les chambres identiques et un éclairage approprié. L’étude a aussi fait valoir que, du point de vue financier, de tels environnements propices à la guérison sont des investissements rentables en soins de santé en raison des améliorations de l’efficacité et des résultats chez les patients12. Les auteurs ont proposé que le fait de donner aux patients un certain degré de contrôle sur leur environnement (p. ex. position et hauteur du lit, sources d’éclairage et ainsi de suite) avait des résultats bénéfiques en raison des principes de la psychologie environnementale. Au nombre des autres constatations, mentionnons que certains types d’arts (p. ex. paysages naturels) peuvent réduire le stress et le recours aux médicaments contre la douleur13, et que l’incidence des hallucinations et des délires est 2 fois plus élevée dans les chambres sans fenêtre que dans celles qui sont fenêtrées14.
D’autres études ont confirmé de tels effets. Des changements particuliers ont été apportés au centre médical Penn Medicine Princeton à Plainsboro (NJ), comme la conversion des chambres en chambres individuelles plutôt qu’à occupation double, la présence d’une fenêtre laissant passer la lumière du jour et offrant une vue de l’extérieur, un espace agrandi pour les visiteurs et des lavabos pour l’hygiène des mains plus aisément accessibles15,16. La satisfaction des patients est passée du 61e au 99e percentile. Les patients ont demandé 30 % moins d’analgésiques et ont accordé une cote supérieure aux soins infirmiers et à la qualité de la nourriture que les patients dans des chambres normales, même si les soins et les repas étaient identiques16.
Franklin a fait valoir que quelques minutes à regarder des paysages naturels, comme des arbres, de la verdure ou un plan d’eau, peuvent produire des changements physiologiques qui réduisent la pression artérielle et la tension musculaire, et contribuent à diminuer « la colère, l’anxiété et la douleur17 ». Des patients en chirurgie cardiaque à l’unité des soins intensifs ont été choisis aléatoirement pour avoir dans leur champ de vision une photographie de la nature, des toiles abstraites ou des surfaces vides; ceux qui voyaient la photographie avec des arbres et de l’eau avaient moins d’anxiété et demandaient moins de médicaments contre la douleur que les patients exposés aux autres illustrations. L’auteur a proposé comme théorie que les humains, d’un point de vue évolutionnaire, réagissent aux arbres et à l’eau comme ils le feraient à une oasis dans une région aride : un signe d’abri sécuritaire. D’autres études ont aussi démontré les effets positifs de la nature et des paysages extérieurs sur la récupération des patients aux soins intensifs18.
Une étude réalisée en 2013 examinait les considérations financières associées à de tels travaux de design19. Elle se penchait sur la rentabilité de l’ajout et de l’entretien de divers espaces et aménagements extérieurs dans des foyers de soins de longue durée, et a conclu que les bienfaits étaient évidents : de telles améliorations avaient entraîné une augmentation du bien-être et de la satisfaction. Des économies ont été réalisées grâce à des références de bouche à oreille, dans un système de santé américain, bien entendu19. Une étude par Berry et ses collègues a fait valoir que les édifices fondés sur ces principes de guérison se traduisaient par des « avantages financiers considérables, mesurables et durables20 ». Dans une étude publiée en 2019 dans le Journal of General Internal Medicine, la Dre Diana Anderson, médecin et architecte, affirmait que « pour certains, en l’absence d’une thérapie médicale ou de traitements transformateurs, le design pourrait surpasser les médicaments21 ».
Plus près de nous
Dans ma propre pratique, les plaintes de patients à propos des hôpitaux et des établissements de soins sont courantes. Tout récemment, un homme âgé et sa femme sont restés gravés dans ma mémoire à cet égard. Leur santé s’était détériorée de manière inattendue, et ils ont dû déménager dans un foyer de soins de longue durée. Les critiques qu’ils exprimaient ne concernaient jamais les médicaments ou les procédures. Ils s’ennuyaient plutôt de leur maison. Ils auraient aimé plus d’intimité, une plus belle vue, un meilleur environnement pour dormir et plus d’autonomie.
Dans nos pratiques, nous devrions être conscients de l’intimité et de l’indépendance de nos patients, de leur accès à la nature et à la lumière, de leur exposition à des niveaux de bruit propices au rythme circadien et à une ventilation optimale, de même que de leur accès à une fenêtre donnant sur la nature. Si la médecine moderne a oublié tous ces facteurs, elle l’a fait au détriment de la santé et du bien-être des patients. Les cliniques et les hôpitaux peuvent et devraient être des lieux de guérison.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun declare
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the July 2022 issue on page 487.
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Références
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