Je me sens tout mince … comme du beurre qu’on aurait étalé sur une tartine trop grande.1 » Voilà une citation qui décrit bien de nombreux médecins de famille et le système de santé canadien ces derniers temps. Nous luttons au sein d’un système qui ne respecte pas ce que le gouvernement du Canada appelle le droit de « vivre dans l’égalité, la dignité et le respect2. » Nous parlons de l’importance des soins de santé financés par l’État, mais sommes de plus en plus découragés de voir que de nombreux patients de nos communautés n’ont plus accès aux soins primaires en temps opportun. Tant les médecins que les patients—même ceux qui ont accès à un médecin de famille—sont confrontés à des temps d’attente considérables pour les soins hors cabinet, dont les tests diagnostiques, les soins spécialisés et les interventions.
Dans mon rôle de président du CMFC, j’ai vu l’accablement de mes collègues qui me parlent du préjudice moral permanent que leur cause cette déconnexion. Ils souffrent psychologiquement de voir certains aspects des soins aux patients, voire une absence de soins, qui vont à l’encontre de leurs valeurs et ne s’expliquant pas uniquement par les facteurs liés à la COVID-19 qui mettent à rude épreuve nos systèmes de santé. Un rapport de 2021 révélait la piètre performance du système de santé canadien, qui se classe au dernier rang quant aux mesures de rendement global et de l’équité en santé3 par rapport aux autres pays à revenu élevé, à l’exclusion des États-Unis.
Les médecins de famille sont des leaders dans nos systèmes de santé et des experts en soins primaires. Les gouvernements auraient donc intérêt à nous écouter. Il est évident qu’une grande réforme s’impose, et de bonnes solutions ont été proposées pour aider à résoudre nos nombreux problèmes. Si les bailleurs de fonds et les décideurs nous écoutaient, à quoi devrions-nous donner la priorité?
D’abord, l’investissement dans les soins primaires de haute qualité, dont l’implication des patients dans la promotion de la santé et la prévention, de même que dans le diagnostic et le traitement, a toujours été synonyme d’une réduction des coûts globaux des soins de santé dans divers contextes4,5. La continuité des soins fait que les patients sont moins souvent hospitalisés ou réhospitalisés, passent moins de jours à l’hôpital et se présentent moins souvent aux urgences. Dans un système efficace, les soins primaires recevraient des fonds particuliers correspondant à un certain pourcentage des budgets de santé globaux. Nos systèmes de santé, généralement axés sur les hôpitaux, disposeraient d’indicateurs de responsabilité pertinente pour les soins primaires.
La définition de soins primaires de haute qualité correspond à la vision du Centre de médecine de famille (CMF), que le CMFC prône depuis 2011. De récents travaux américains démontrent qu’il existe des points communs importants entre les territoires qui bénéficient de soins primaires de haute qualité. En 2021, les National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine ont publié un rapport sur l’avenir des soins primaires aux États-Unis6, où ils dressent une liste d’objectifs qu’ils définissent en termes de prestation des soins holistiques (accent sur la santé plutôt que sur l’absence de maladie), d’accessibilité, d’équité et de responsabilisation d’équipes interprofessionnelles. Parmi ces objectifs, on retrouve : rémunérer des équipes de soins primaires pour prendre soin de la population, plutôt que des médecins pour fournir des services; rendre accessibles les soins primaires de haute qualité à tous, dans chaque communauté; former des équipes de soins primaires là où les gens vivent et travaillent; et concevoir des technologies de l’information au service des patients, des familles et des équipes. Ce sont là de bons points de comparaison à la vision du CMF!
En réformant à fond les systèmes de soins primaires, nous devons également investir dans les gens. D’abord, la crise actuelle exige des incitatifs importants pour maintenir en poste notre effectif en santé. Ensuite, nous avons besoin qu’un organisme national soit chargé de générer de données sur les besoins de notre effectif et de nos patients, puis de les diffuser à tous les intervenants. Les médecins de famille ont un champ d’exercice élargi et varié, et ne sont pas tous interchangeables. Finalement, il faut que les bailleurs de fonds soutiennent les équipes dans la conception de services de soins primaires de haute qualité qui répondent aux besoins de la communauté, et dans leur dotation en personnel.
Je ne vous apprends rien de nouveau: le CMFC le répète à toutes les réunions avec des politiciens et d’autres décideurs clés. Nous devons continuer à marteler ces points à qui veut bien les entendre, sinon le système de santé est voué à l’échec. Merci pour tous les efforts que vous déployez!
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