La maladie d’Alzheimer (MA) touche des centaines de milliers de Canadiens et est une cause majeure de morbidité et de mortalité au pays1. Comme le savent très bien les médecins de famille, aucune pharmacothérapie modificatrice de la MA n’est offerte au Canada. Plusieurs croient que l’accumulation extracellulaire de plaques de β-amyloïde joue un rôle clé dans la pathogenèse de la MA. L’aducanumab est un anticorps monoclonal humain contre la β-amyloïde qui utilise un processus phagocyte médié par les microglies pour cibler et enlever les plaques de β-amyloïde trouvées dans le cerveau des personnes souffrant de la MA2. La mise au point de l’aducanumab et d’autres médicaments semblables a fait naître de l’espoir à l’égard des thérapies modificatrices de la maladie, mais l’approbation accélérée de l’aducanumab par la Food and Drug Administration des États-Unis (FDA) en 2021 a suscité beaucoup de controverse3,4. Les nombreuses difficultés dans l’évaluation, l’approbation et, ensuite, l’utilisation sécuritaire de produits pharmaceutiques contre la MA sont mises en évidence par l’historique de cet agent.
Les médecins de famille sont habituellement les premiers cliniciens à évaluer les personnes porteuses de symptômes cognitifs de la MA, et les premiers à être questionnés à propos des nouveaux médicaments et des avancées possibles dans le traitement. De nombreux médecins ont des patients qui leur ont déjà posé des questions au sujet de l’aducanumab. Nous présentons ici un aperçu de cet agent et de sa situation actuelle.
Contexte
Le fabricant de l’aducanumab a effectué 2 essais randomisés contrôlés de phase 3 (EMERGE et ENGAGE) comportant des participants de 50 à 85 ans atteints d’une déficience cognitive légère (DCL) ou d’une démence au stade léger due à la MA qui présentaient des signes d’une pathologie amyloïde au cerveau, démontrés au moyen de la tomographie par émission de positrons5. Il a subséquemment été estimé qu’aux États-Unis, 91,0 % des bénéficiaires de Medicare souffrant de démence et 85,5 % de ceux atteints d’une DCL auraient répondu à 1 ou plusieurs critères d’exclusion de l’étude (p. ex. âge, comorbidités, utilisation d’agents antiplaquettaires autres que l’acide acétylsalicylique à faible dose, utilisation d’anticoagulants)5. On a mis fin aux 2 études au début de 2019, après que les résultats provisoires ont indiqué que les études n’obtiendraient probablement pas de résultats statistiquement ou cliniquement significatifs, mais des données additionnelles soumises à partir des études et des analyses ultérieures ont incité le fabricant à reconsidérer cette conclusion6.
Les résultats des 2 essais ont été publiés en 20226. L’essai EMERGE a révélé des bienfaits statistiquement significatifs, mais douteux sur le plan clinique, à la semaine 78, en fonction du principal paramètre de résultats (score à l’Évaluation clinique de la démence—somme des cases) dans le sous-groupe qui recevait le traitement à plus forte dose. L’essai ENGAGE n’a pas démontré ce bienfait. Même si l’homologation d’un médicament était traditionnellement conditionnelle à la réalisation de 2 essais rigoureux montrant des résultats positifs, la FDA, à l’encontre de l’opinion de son propre comité consultatif7, a accordé une approbation accélérée de l’aducanumab pour la DCL et la démence au stade léger due à la MA en se fondant principalement sur la capacité du médicament d’enlever les plaques de β-amyloïde dans le cerveau3.
La procédure d’approbation accélérée permet effectivement d’utiliser un résultat final de substitution s’il est jugé raisonnablement probable qu’il permet de prédire un bienfait clinique. Malheureusement, la relation entre l’enlèvement des plaques amyloïdes et l’amélioration des résultats cliniques chez les personnes atteintes de la MA est nébuleuse. Les analyses des sous-groupes et l’utilisation de résultats de substitution ont été qualifiées comme étant 2 des « grandes déceptions » dans la conception et les rapports de l’essai clinique8. Dans le cas d’une approbation accélérée, une étude subséquente à la mise en marché est exigée pour confirmer les bienfaits prévus, mais il est problématique, pour de nombreuses raisons, de se fier à de futures données qui les confirmant9. Dans le cas présent, le fabricant s’est vu accorder 9 ans pour présenter son rapport final sur l’essai de confirmation exigé10.
En plus de l’efficacité incertaine de l’aducanumab, des préoccupations sont soulevées à propos des effets indésirables. Le principal effet indésirable détecté avec l’aducanumab se situe dans des anomalies à l’imagerie liées à l’amyloïde (AILA), comme l’œdème et des microhémorragies. Parmi les participants à l’essai qui ont reçu une thérapie à plus forte dose d’aducanumab, 41,3 % ont développé des AILA11. Des symptômes connexes (p. ex. céphalées, confusion, étourdissements, nausée) se sont produits chez environ le quart de ceux qui ont développé des AILA11. Si la plupart des cas n’étaient pas jugés sérieux, quelques décès potentiellement associés à l’aducanumab se sont produits12.
Les études qui ont conduit à l’approbation de l’aducanumab se limitaient aux participants atteints d’une DCL ou d’une démence au stade léger due à la MA chez qui se trouvaient des dépôts manifestes de β-amyloïde dans le cerveau. Logiquement, le recours à cet agent devrait être limité à ce groupe cible. Une étude par imagerie par résonnance magnétique devrait être faite pour détecter des microhémorragies avant l’amorce de la thérapie et, par la suite, de telles études devraient être répétées périodiquement pour surveiller le développement d’AILA.
L’aducanumab est administré sous la forme d’une perfusion mensuelle3. Le prix de gros initial du médicament aux États-Unis était de 56 000 $ (US) par mois pour un patient de poids moyen, avant que le fabricant n’annonce en 2021 qu’il le réduisait à 28 200 $ (US) par année13.
Situation au Canada
En mai 2021, le fabricant a présenté une demande d’approbation de l’aducanumab à Santé Canada. En juin 2022, le fabricant a retiré sa demande de l’examen réglementaire après que Santé Canada a indiqué que les données soumises étaient insuffisantes pour justifier l’approbation de la commercialisation14.
Même si la mise en marché de l’aducanumab avait été approuvée au Canada, il est improbable que cet agent aurait été couvert par un formulaire de médicaments provincial ou territorial sans que de strictes restrictions s’appliquent à son utilisation. Il est évident aussi que notre système de santé n’est pas prêt pour l’aducanumab ou un médicament semblable contre la MA15. L’usage généralisé de l’aducanumab au Canada aurait entraîné des changements perturbateurs dans les soins médicaux aux personnes vivant avec la MA. Son approbation aurait nécessité des investissements considérables en radiologie, en formation des médecins sur la prescription sécuritaire du médicament, en financement des services accrus demandés aux médecins et l’accroissement des capacités de perfusion16. Autre chose importante, il aurait peutêtre aussi fallu changer le milieu dans lequel ces soins auraient été prodigués. Toutes les recommandations présentées à la suite des Conférences canadiennes sur le diagnostic et le traitement de la démence préconisent la prestation de la majorité des soins pour la démence en milieux de soins primaires17. Il n’est pas certain que les médecins de famille se sentiraient à l’aise de prescrire et de monitorer des médicaments comme l’aducanumab, ou qu’ils seraient rémunérés équitablement pour ce faire. Il est impératif d’examiner sérieusement les répercussions possibles de transférer une portion substantielle des soins pour la démence à des cliniques de la mémoire et à d’autres spécialistes. À ces préoccupations s’ajoutent des questions épineuses d’ordre éthique (p. ex. coût du médicament et recours à des données incomplètes pour guider sa prescription)18, et l’estimation de la valeur relative d’un investissement dans l’aducanumab ou des médicaments semblables par rapport à l’attribution de nos ressources financières limitées à une meilleure prévention et à une plus grande continuité des soins. L’industrie pharmaceutique semble présumer que le système de santé devrait s’adapter aux caractéristiques d’un médicament pour la MA plutôt que de demander à l’industrie de développer des agents dont l’utilisation serait possible dans le contexte des approches et de la capacité existantes du système. Les accommodements du système à un médicament sur la base de ses caractéristiques particulières ne seraient justifiables que s’il y avait des données probantes plus impressionnantes sur les bienfaits que ce qui a été observé avec l’aducanumab.
Alors que la Société Alzheimer du Canada exprimait initialement un « optimisme prudent » devant la possible approbation de l’aducanumab au Canada19, de nombreuses autres réactions étaient négatives. Un groupe d’experts sur la démence clinique (dont l’un des auteurs du présent article, D. H.), représentant diverses organisations et convoqué par le Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement, a discuté des données probantes disponibles pour déterminer l’opinion qu’il présenterait à Santé Canada. En juillet 2021, ils ont convenu qu’il serait prématuré d’approuver l’aducanumab pour le traitement de la MA20. Un commentaire publié dans le Journal de l’Association médicale canadienne21 en arrivait à une conclusion semblable.
Conclusion
Des essais cliniques qui explorent le potentiel de divers agents, y compris d’autres anticorps monoclonaux, sont en cours. Une étude sur l’efficacité de l’anticorps monoclonal lecanémab a été publiée en novembre 202222, et la FDA a accordé une approbation accélérée au médicament pour le traitement de la MA en janvier 202323. En plus d’évaluer les mérites de ces nouveaux agents, il faudra aussi prendre en compte les effets sur le système de santé expliqués dans l’article si ces agents sont approuvés et deviennent accessibles au Canada.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the March 2023 issue on page 160.
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Références
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