Elsevier

L'Encéphale

Volume 35, Issue 4, September 2009, Pages 377-385
L'Encéphale

Mise au point
Cannabis et psychose : recherche d’un lien de causalité à partir d’une revue critique systématique de la littératureCannabis and psychosis: Search of a causal link through a critical and systematic review

https://doi.org/10.1016/j.encep.2008.02.012Get rights and content

Résumé

S’il semble établi que le cannabis puisse être la cause d’une psychose aiguë, son rôle est plus controversé dans l’étiologie des psychoses chroniques. En particulier, du fait de l’association fréquente entre usage de cannabis et schizophrénie, la question a été posée d’un lien de causalité entre l’exposition au cannabis comme facteur de risque et le développement d’une psychose. L’objectif de cette revue de la littérature a été d’évaluer le lien de causalité entre l’usage de cannabis et le développement de psychoses ou l’apparition de symptômes psychotiques. Les études sélectionnées étaient des études prospectives examinant la séquence temporelle entre usage de cannabis et apparition d’une psychose ou de symptômes psychotiques. Nous avons obtenu 60 articles référencés dans MedLine. Après lecture des résumés, 17 articles ont été retenus, et après lecture, seuls sept articles ont été gardés pour analyse. Les données de la littérature montrent l’existence d’une association significative entre usage de cannabis et troubles psychotiques, notamment chez les sujets vulnérables. Le fait que tous les critères de causalité soient retrouvés, suggère que le cannabis est un facteur de risque indépendant pour l’apparition d’une psychose ou de symptômes psychotiques. En particulier, l’usage de cannabis pendant l’adolescence pourrait être un des stresseurs environnementaux qui interagissent en synergie avec une prédisposition génétique pour induire un trouble psychotique. Un dépistage précoce de la vulnérabilité à développer une psychose pourrait avoir des effets bénéfiques au niveau de la prévention des risques liés à l’usage de cannabis.

Summary

Introduction

Although cannabis use may be involved in the aetiology of acute psychosis, there has been considerable debate about the association observed between cannabis use and chronic psychosis. In particular, because of the frequent co-occurrence between schizophrenia and cannabis use, the question has been raised of a causal link between exposure to cannabis as a risk factor and the development of psychosis or psychotic symptoms.

Objective

The aim of this article was to examine the evidence that cannabis use causes chronic psychotic disorders by using established criteria of causality. These criteria were defined by: biologic plausibility, strength of the interaction between the risk factor and the disease, reprieability of the results, temporal sequence between the exposure to the risk factor and the beginning of the disease and existence of a dose–effect relationship.

Methods

The selected studies were found in Medline using the keywords “cannabis” and “psychosis”, “cannabis” and “schizophrenia”, “cannabis” and “psychotic symptoms” and “prospective” or “cohort” or “longitudinal”. The selected studies were all prospective studies assessing the temporal sequence between cannabis use and emergence of psychosis or psychotic symptoms. The search strategies resulted in 60 records that were screened by reading both titles and abstracts. Seventeen studies were considered eligible, and then, after reading the full text, seven met the inclusion criteria.

Results

Together, the seven studies were all prospective cohorts and represented 50,275 human subjects. There were three European studies (from Sweden, Holland and Germany), one from New Zealand and one from Australia. Only one study of the seven did not show a significant association between cannabis consumption and increase of the risk of developing a psychosis. However, this study had some bias, such as low level of cannabis use and the lack of evaluation of cannabis use after inclusion. For the six other studies, data show the existence of a significant association between cannabis use and psychotic disorders (with an increased risk between 1.2 and 2.8 in Zammit et al.'s study), particularly among vulnerable individuals (that is with a prepsychotic state at the time of inclusion). Therefore, all the studies that assessed a dose–effect relationship showed this link between cannabis use and the emergence of psychosis or psychotic symptoms. The fact that all causal criteria were present in the studies suggests that cannabis use may be an independent risk factor for the development of psychosis. Results seem to be more consistent for vulnerable individuals with the hypothesis that cannabis use may precipitate psychosis, notably among vulnerable subjects. In particular, early onset of cannabis use during adolescence should be an environmental stressor that interacts with a genetic predisposition to induce a psychotic disorder.

Conclusion

The objective of this article was to examine whether cannabis use can be an independent risk factor for chronic psychotic disorders, by using established criteria of causality. Data extracted from the selected studies showed that cannabis use may be an independent risk factor for the development of psychotic disorders. Early screening of the vulnerability to psychotic disorder should permit improved focus on prevention and information about the specific risks related to cannabis use among this population.

Introduction

S’il semble établi que le cannabis puisse être la cause d’une psychose aiguë, phénomène transitoire [19], son rôle est plus controversé dans l’étiologie des psychoses chroniques dont font partie la schizophrénie, les troubles schizophréniformes, schizo-affectifs et délirants [1]. Parmi les patients présentant une schizophrénie, le cannabis apparaît en effet comme une substance fréquemment consommée, avec le tabac et l’alcool [10], [11]. Ces sujets présenteraient aussi un risque accru de développer un abus ou une dépendance aux substances, notamment au cannabis, par rapport à la population générale [15], [22], [26]. Ainsi, plusieurs hypothèses ont été émises afin d’expliquer la fréquence de cette co-occurrence :

  • l’automédication selon laquelle l’usage de cannabis aurait pour but de soulager les symptômes dits « négatifs » de la psychose, tels que l’émoussement affectif, l’anhédonie (incapacité à éprouver du plaisir) ou encore la perte de volonté, ou d’atténuer les effets indésirables des médicaments antipsychotiques [20], [16] ;

  • le cannabis induirait une psychose sui generis. Cette « psychose cannabique » serait une entité nosologique avec des caractéristiques distinctes de la schizophrénie [24] ;

  • le cannabis pourrait exacerber les symptômes d’une psychose et aggraver le pronostic de la maladie chez les sujets déjà atteints [8] ;

  • le cannabis précipiterait une psychose chez des personnes vulnérables [8], [27], [28] en jouant le rôle d’un facteur de stress selon le modèle vulnérabilité/stress de la schizophrénie [31], [23] qui suggère que certains individus seraient plus sensibles aux stress que d’autres.

D’un point de vue neurobiologique, plusieurs arguments vont dans le sens de cette dernière hypothèse, à savoir que le cannabis révélerait ou exacerberait des dysfonctionnements préexistants. Des observations chez le rat ont en effet montré que l’exposition au THC était associée à une augmentation de la libération de dopamine dans le cortex préfrontal [7]. Le cortex préfrontal de patients souffrant de schizophrénie présente une forte densité de récepteurs CB1 (récepteurs des endocannabinoïdes et du THC dans le système nerveux central) et leur liquide céphalorachidien une concentration élevée d’anandamide (agoniste endogène des récepteurs sur lesquels agit le THC) [21]. Une hypothèse biologique considère qu’une exposition répétée au cannabis induirait une augmentation de la concentration synaptique de dopamine, puis des changements plus prolongés dans les systèmes cannabinoïdes endogènes. Ces changements seraient d’autant plus importants que l’exposition au cannabis interviendrait pendant l’adolescence ou s’il existe une vulnérabilité préexistante à une dérégulation du système cannabinoïde et/ou des systèmes de neurotransmission qui lui sont liés.

Cependant, afin de conclure à un lien de causalité entre l’exposition au cannabis comme facteur de risque et le développement d’une psychose, certains critères doivent être présents, en dehors de la plausibilité biologique [17] :

  • la force de l’interaction entre le facteur de risque et la maladie ;

  • la reproductibilité des résultats ;

  • la séquence temporelle entre exposition au facteur de risque et survenue de la maladie ;

  • l’existence d’une relation dose–effet.

L’objectif de cette revue de la littérature a été d’évaluer le lien de causalité entre l’usage de cannabis et le développement de psychoses ou l’apparition de symptômes psychotiques.

Section snippets

Méthode

Il s’agit d’une revue systématique de la littérature [9].

Résultats

Nous avions obtenu 60 articles référencés dans MedLine. Après lecture des résumés, 17 articles avaient été retenus, les autres ne répondant pas à au moins un des cinq critères nécessaires à l’inclusion. À la lecture de ces articles, seuls sept articles avaient été gardés pour analyse :

  • quatre portaient sur le lien entre usage de cannabis et développement d’une psychose ;

  • trois portaient sur le lien entre usage de cannabis et apparition de symptômes psychotiques ;

  • un portait sur les deux types de

Discussion

L’objectif de cette étude était d’examiner le lien de causalité entre l’usage de cannabis et le développement de psychoses ou l’apparition de symptômes psychotiques à partir des données de la littérature.

Parmi les sept articles sélectionnés, une seule, l’étude de Phillips et al. [25], ne mettait pas en évidence d’association significative entre consommation de cannabis et augmentation du risque de développer une psychose. Mais cet article comportait un certain nombre de biais, comme le faible

Références (31)

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      2022, Psychiatry Research
      Citation Excerpt :

      However, the transition to a first psychotic episode in those with a predisposition was only shown to be positively related to cannabis use among individuals who met the criteria for cannabis abuse or dependence, and not among general users, suggesting a dose-effect relationship (Kraan et al., 2016; Moore et al., 2007). Similar findings were observed regarding chronic psychotic disorders (Le Bec et al., 2009; Marconi et al., 2016). Cannabis use is also related to a higher incidence of depressive disorders, especially among users consuming on a weekly basis (Lev-Ran et al., 2014).

    • Psychotherapeutic interventions for cannabis use disorder. What do we know and what should we do?

      2022, Encephale
      Citation Excerpt :

      The 2016 review found no between-group differences when comparing any intervention versus treatment as usual for patients in treatment for psychosis. However, cannabis use is related to many effects on mental health [58–62] and the need for concurrent and integrated treatment for addiction and psychiatric disorders is underscored in the literature [63,64]. The treatment of addiction as a chronic disorder should be taught in a chronic care model [65].

    • The blind men and the elephant: Systematic review of systematic reviews of cannabis use related health harms

      2020, European Neuropsychopharmacology
      Citation Excerpt :

      The risk for developing schizophrenia (OR 3.9 CI95% 2.84–5.34) and other psychotic disorders (OR 5.07 CI95% 3.62–7.09) is higher among heavy cannabis users, compared to non-users (Marconi et al., 2016a). Psychotic symptoms are attributed to cannabis use in different forms: using cannabis at least five times per month (OR 2.2 CI95% 1.5–3.3), up to fifty times per month (OR 3.1 CI95% 1.7–5.5), using cannabis before 15 years old (OR=4.5, CI 95% 1.1–18.2), and heavy cannabis use (OR 3.59 CI95% 2.42–5.32) (Le Bec et al., 2009; Marconi et al., 2016a). The risk of psychotic disorders is increased by gene-environment interaction (e.g. with variants of COMT 158Val and DRD2 rs1076560 T) (Misiak et al., 2017).

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