Toutes les compétences provinciales tiennent les médecins responsables de déterminer si une personne est apte à conduire de manière sécuritaire. On peut se demander si cette délégation de responsabilité est justifiée ou et il se pourrait bien que le processus d’évaluation tel qu’il se déroule actuellement soit une perception de la réalité, en ce sens que l’activité vise soi-disant à régler la question sans toutefois s’y attaquer réellement.
Conduire un véhicule automobile est probablement la plus complexe des activités de la vie normale au quotidien. Pour conduire de manière sécuritaire, il faut maîtriser la triade des fonctions motrices, des capacités visuospatiales et de la cognition; en général, comme l’Association médicale canadienne le dit dans son guide1, l’évaluation d’un conducteur repose sur ses habiletés fonctionnelles et non sur des diagnostics médicaux.
Les médecins sont formés pour diagnostiquer et prendre en charge des problèmes médicaux, et non pour évaluer les habiletés fonctionnelles. L’examen physique est principalement conçu pour détecter la présence ou l’absence de maladies et non pour évaluer le fonctionnement en ce qui a trait à la sécurité. Le diagnostic d’un problème qui empêche de conduire n’est pas la même chose que la détermination de l’aptitude à conduire: l’absence de maladie ne signifie pas l’aptitude à conduire.
Mis à part les diagnostics d’incapacité absolue de conduire, 2 questions se posent: d’abord, l’examen physique habituel dans un cabinet normal évalue-t-il adéquatement l’aptitude à conduire et, deuxièmement, l’évaluation de l’aptitude à une conduite sécuritaire exige-t-elle les compétences d’un médecin? De plus, pourquoi cette détermination importante, essentiellement non médicale, pertinente à la sécurité collective de la communauté, relève-t-elle de la responsabilité du médecin?
Pouvons-nous adéquatement évaluer l’aptitude à conduire?
L’examen médical en Colombie-Britannique comporte un questionnaire, la mesure de la tension artérielle et un test d’acuité visuelle et de champ de vision; autrement, il n’existe pas de forme normalisée d’évaluation ou d’examen. Je soutiens que les capacités relatives à la conduite ne peuvent être ni adéquatement évaluées ni mises à l’épreuve dans le cabinet d’un médecin de famille.
Quelle que soit l’évaluation de la triade, elle est entreprise dans un environnement statique, réduit, et loin de l’arène multitâche, mobile et distrayante de la circulation automobile, ce qui rend suspecte sa fiabilité à prédire l’aptitude à conduire. Il est douteux que l’évaluation en cabinet de la fonction motrice par un médecin de famille se traduise par le même rendement au volant d’un véhicule automobile. Selon une étude, quand on tente de faire des liens entre la capacité de conduire de manière sécuritaire et celle de mener les activités de la vie quotidienne (AVQ), il n’y a aucune corrélation entre les scores, sur l’échelle des AVQ, des activités instrumentales de la vie quotidienne et de la capacité de réussir un examen de conduite simulée2.
Les capacités visuelles qu’on sait reliées aux risques de collision sont le champ visuel utile et la récupération après éblouissement. Le test de confrontation pour le champ visuel aurait une sensibilité de 35 % et serait inadéquat pour détecter des troubles du champ visuel3. La récupération visuelle après éblouissement, une composante nécessaire pour la conduite sécuritaire de nuit, n’est pas testée. Il n’y a pas de risque de collision accru chez les patients qui ont une acuité visuelle entre 20/40 et 20/704.
La maîtrise de la conduite automobile repose sur une bonne habileté cognitive1. La fonction exécutive, qui englobe le comportement motivé par un but et autodirigé, comme la stratégie, l’organisation, l’attention et la planification, est une composante importante de l’habileté cognitive. La fonction cognitive varie de la norme jusqu’à la démence. En passant par une légère déficience cognitive. Aucune des formes d’évaluation actuelles n’a été validée comme un indicateur de l’aptitude à une conduite sécuritaire: le mini-examen de l’état mental est reconnu comme n’étant pas sensible pour détecter une légère déficience cognitive. Selon une étude canadienne sur la conduite et la démence, le mini-examen de l’état mental est inadéquat comme facteur de prédiction du rendement dans la conduite sur route, parce qu’il n’est pas conçu pour évaluer la fonction cognitive en ce qui a trait à la conduite5. Les prédictions des médecins et des neuropsychologues ne sont pas en corrélation significative avec les résultats de conduite sur route, et les scores aux tests neuropsychologiques ne sont pas des facteurs de prédiction du rendement sur la route6.
À qui la responsabilité devrait-elle incomber?
Si des tests cognitifs sont effectués, ils peuvent tous l’être de manière appropriée par du personnel bien formé autre que des médecins. Toute affirmation voulant que le médecin de famille d’une personne, parce qu’il offre des soins longitudinaux, soit mieux placé pour déterminer l’aptitude à conduire peut être réfutée par les études qui ont toujours démontré que les médecins ne reconnaissent pas les déficiences cognitives dans plus de 50 % des cas où elles sont présentes7.
Même s’il y a beaucoup d’ouvrages spécialisés sur l’évaluation médicale de l’aptitude à conduire, il s’est révélé difficile d’élaborer un outil de dépistage pour les conducteurs plus âgés, qui soit fondé sur des données factuelles, valide et pratique à administrer sur le plan clinique8,9. Dans une étude sur les approches de l’évaluation des conducteurs plus âgés en cabinet de médecin, on a conclu qu’il n’y avait pas de renseignements fondés sur des données probantes pour aider les médecins à prendre des décisions sur le plan médical concernant l’aptitude à conduire9.
Par comparaison, un simple test de reconnaissance visuelle de 10 signalisations routières effectué par des non-médecins peut prédire de manière fiable la possibilité de réussir un test de conduite sur route, selon lequel des résultats de 7 ou moins prédisent correctement l’échec10.
Exception faite de la détermination des diagnostics qui rendent absolument inaptes à la conduite, on devrait laisser de côté l’actuel paradigme axé sur les médecins et établir plutôt des simulations de tests routiers, complétés par des tests sur route, quand l’aptitude demeure questionnable: un test sur route standardisé est préférable aux test neurologiques, à l’examen médical ou à l’examen de l’état mental pris individuellement pour déterminer l’aptitude des conducteurs6, et on a identifié le test derrière le volant de l’aptitude à conduire comme étant la méthode la plus appropriée pour déterminer la compétence du conducteur; il représente actuellement le critère (la norme)11.
Il semble qu’il y ait suffisamment de renseignements tirés d’études pour remettre en question l’utilité et la fiabilité des examens médicaux par les médecins comme facteur de prédiction de l’aptitude à conduire en comparaison des tests fonctionnels sur route ou simulés. Il serait peut-être temps de remettre cette responsabilité aux mains d’autres personnes que les médecins de première ligne. Les régies provinciales responsables des permis de conduire devraient devenir les agences chargées d’évaluer l’aptitude à conduire.
Il convient de rappeler aux médecins qu’il y a des précédents juridiques selon lesquels ils peuvent être tenus légalement responsables dans une poursuite concernant un accident de la route impliquant leurs patients inaptes à conduire, même s’ils ne savaient pas que ces patients conduisaient encore.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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L’aptitude à conduire exige des compétences liées à la fonction motrice, à la capacité visuospatiale et à la fonction cognitive, mais les tests ciblant ces domaines pour déterminer la capacité de conduire de manière sécuritaire ne nécessitent pas nécessairement les compétences d’un médecin.
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Il n’est pas démontré que l’évaluation médicale puisse prédire le rendement sur route dans la conduite automobile, et les capacités visuelles nécessaires ne peuvent pas être évaluées dans un cabinet standard de médecin de famille.
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Les médecins ne devraient pas être responsables de l’évaluation générale et de la détermination de l’aptitude à conduire, sans compter que de telles évaluations comportent des obligations sur le plan juridique.
Footnotes
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Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans des réfutations accessibles à www.cfp.ca.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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