La tâche nous incombe de réfléchir et de réévaluer nos valeurs, car nous, médecins, sommes mal ou peu préparés à entendre des demandes d’euthanasie. Nous sommes plus confortables avec les demandes de transplantations rénales ou cardiaques! Nous devons, en dehors des ornières du « pour » ou du « contre », réfléchir aux besoins du mourant. On ne demande pas à un orthopédiste s’il est « pour ou contre » l’amputation!
Or, notre société évolue et nos patients en sont le reflet, eux qui revendiquent de plus en plus d’autonomie. Il y a 2 ou 3 générations, le divorce, l’avortement, le mariage des homosexuels et l’euthanasie volontaire n’allaient pas de soi. Ainsi, en 1970, 50 % de la population canadienne se disait en faveur de l’euthanasie volontaire. En 2007, cet appui atteignait 77 % et notamment 83 % au Québec1. En 2003, 51 % des spécialistes québécois et 43 % des généralistes se disaient en faveur2; voilà qu’à l’automne 2009, les médias ont rapporté que les 2 groupes se disaient maintenant en accord à 75 %, rejoignant ainsi la position du Collège des médecins du Québec qui reconnaît qu’écourter une fin de vie intolérable peut, dans des circonstances exceptionnelles, s’inscrire dans le continuum de « soins appropriés ».
L’inconfortable majorité d’une seule voix (5 vs 4) de la Cour suprême dans la cause Sue Rodriguez, dont le décès ne donna lieu à aucune enquête sérieuse, confirme l’opinion émise par le prestigieux Conseil consultatif national de l’éthique de France: « La loi, qui considère l’euthanasie comme un meurtre ou un assassinat, est extrêmement vertueuse et sévère »3. Dans les cas d’aide au suicide, au cours des dernières années, les sentences sont souvent réduites ou retenues.
Il faut être ouvert. En 2010, le paternalisme d’antan n’a plus sa place. « Le premier devoir du médecin n’est plus de sauver, à tout prix, la vie du malade, mais plutôt de respecter la liberté de choix de son patient », a écrit l’honorable Jean-Louis Beaudoin dans son récent Rapport de synthèse4.
Il faut être ouvert parce que les limites des soins palliatifs sont mieux perçues. Deux études canadiennes récentes ont montré que la douleur et les symptômes physiques se classaient loin derrière la souffrance existentielle en tant que préoccupations terminales et mis en évidence les limites des soins palliatifs. Dans la première, la douleur se classait au 7ième rang parmi leurs préoccupations terminales, ne pas être un fardeau au 5ième rang, ne pas recevoir de traitements inutiles au 2ième rang, alors qu’en tout premier lieu, avoir une totale confiance en son médecin comptait le plus pour les patients5. L’étude a mis en lumière les préoccupations existentielles des patients telles qu’exprimées par l’éthicien Hubert Doucet: « La souffrance d’être là…dans une vie qui n’a plus de sens… qui est la dégradation de l’identité »6.
Dans la seconde étude réalisée auprès de 379 cancéreux en soins palliatifs dont l’expectative de survie était inférieure à 6 mois, 63 % se disaient favorables à l’euthanasie, 40 % considéreraient que si leur condition se détériorait et la procédure était légale, ils pourraient y avoir recours et 6 % la demanderaient immédiatement. Aucun de ces malades n’affichait des douleurs mal soulagées et aucun ne fut jugé inapte. Leurs motifs évoqués étaient que la détérioration marquée de leur condition les privait de toute autonomie, les rendait un fardeau et enlevait tout sens à leur vie7. Cette étude montre que pour certains, les soins palliatifs, même excellents, ne peuvent contrer la souffrance existentielle: « Grâce au contrôle de la douleur, nous pensions avoir rendu la mort humaine; voici que nous découvrons que la vie d’un malade ne retrouve pas nécessairement son sens du fait que ses douleurs soient soulagées. Surgit alors la véritable question du sens de la vie: pourquoi vivre si la vie n’est qu’attente de la mort? »6.
Nous devons être ouverts parce que l’humanisme l’exige, parce que nous sommes conscients que seul le malade peut juger de sa souffrance. Après 1 heure au chevet d’un mourant, nous devons nous rappeler que sa journée en compte 23 autres, et qu’il souffre déjà de la misère du lendemain.
Nous devons être ouverts parce que « Le caractère sacré de la vie se doit d’être le caractère sacré de la personne et ne peut se limiter à sa réalité corporelle »8 (traduction libre). Notre loi sur l’avortement l’illustre bien, personne ne mettant en doute qu’un fœtus de 20 semaines ne soit en vie.
Nous devons être ouverts parce qu’avoir accès à l’euthanasie s’avère une façon démontrée de conjurer la souffrance et de prolonger la vie telle que découvert par France Norwood, sociologue américaine qui a passé 15 mois à suivre des généralistes hollandais à domicile, auprès de leurs patients en fin de vie9,10.
Tous en conviennent, nous ne pouvons imposer nos croyances à quiconque, surtout pas au mépris des dernières volontés d’un mourant. C’est pourquoi je me rallie aux propos de l’honorable Jean-Louis Beaudoin, dont je tire de son récent Rapport de synthèse les extraits suivants:
On peut penser personnellement ce que l’on veut de l’euthanasie. L’opinion qu’on s’en fait et le sentiment individuel dépendent avant tout de ses propres convictions morales et religieuses…. Les études belges et néerlandaises sur le sujet montrent que le système de contrôle mis en place pour éviter les erreurs (argument dominant des opposants) fonctionne bien et que, s’ils existent, les cas de bavures sont rares…ou inexistants.… C’est la liberté retrouvée et la consécration de la gestion individualisée de la destinée humaine4.
Je laisse le dernier mot à Hubert Doucet, tiré de son livre Mourir: approches bioéthiques: « La mort avec dignité, dont il est tellement question ces années-ci, ne devrait pas être imaginée comme une mort très douce mais comme une mort qui respecte la personnalité et l’histoire d’un chacun »11.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Nous devons être ouverts à l’euthanasie parce que le respect de l’auto-détermination l’exige, parce que nous sommes conscients que seul le malade peut juger de sa souffrance.
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Nous devons être ouverts à l’euthanasie parce que « Le caractère sacré de la vie se doit d’être le caractère sacré de la personne et ne peut se limiter à sa réalité corporelle »8.
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Nous devons être ouverts à l’euthanasie parce qu’avoir accès à l’euthanasie s’avère une façon démontrée de conjurer la souffrance et de prolonger la vie.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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