Les aidants naturels s’occupent de 75 % à 80 % des aînés dans les pays industrialisés1,2. Les victimes d’AVC, de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer ont aussi besoin d’assistance, et les ouvrages portant sur l’appui aux aidants naturels concernent souvent ceux qui s’occupent de démence3, reflétant la prévalence grandissante de ces maladies et le fardeau particulier qu’elles imposent4.
L’expression «aidants naturels» risque de devenir synonyme de soins aux aînés, mais leur rôle se prolonge toute la vie et ne se limite pas aux personnes âgées. Les progrès en médecine, en pharmacologie, en technologie et en prévention peuvent réduire la mortalité et prolonger la vie. L’insistance, depuis les années 1970, sur de plus courts séjours à l’hôpital et plus de soins en cliniques externes qu’en établissement a transformé progressivement les soins dans la communauté en soins par la communauté5. Un nombre grandissant de malades chroniques ou d’handicapés ont besoin d’un ou plusieurs aidants naturels sur les plans physique, émotionnel et financier, dans les activités quotidiennes, comme l’entretien ménager et le transport, et pour les interventions médicales, comme les cathéters urinaires, l’oxygène, les sondes d’alimentation et les médicaments par intraveineuse.
Il y a de plus en plus de soins non gériatriques: chez les nouveau-nés, en raison du plus haut taux de survie des prématurés ou de ceux atteints de maladies congénitales complexes; chez les adolescents et les jeunes adultes, à cause des progrès en traumatologie, qui laissent souvent les victimes dépendantes de leur famille pour les activités quotidiennes. À cause du dépistage précoce du cancer et des thérapies avancées en oncologie médicale et chirurgicale, on perçoit maintenant le cancer comme une maladie chronique. Les meilleurs traitements pour la cardiopathie ischémique, la défaillance cardiaque, le diabète, la bronchopneumopathie chronique obstructive et l’AVC alourdissent la tâche des aidants naturels, sans compter la désinstitutionnalisation des patients psychiatriques chroniques ou ayant des troubles comportementaux.
Connaissances insuffisantes
Le fardeau global des aidants naturels est un facteur de risque de mortalité6 pour différentes raisons, parmi lesquelles le manque de connaissances et de formation joue certainement un rôle.
Les médecins ne semblent pas toujours bien répondre aux besoins des aidants naturels, ce que confirme une étude de Cochrane sur les renseignements aux aidants de victimes d’AVC7, un sondage de l’American Alzheimer Association auprès d’aidants s’occupant de proches atteints de démence8, une étude canadienne sur les frêles personnes âgées et leurs aidants9 et un rapport de 435 omnipraticiens en France10. La grande diversité des milieux et des maladies en cause met en évidence la nécessité que les médecins de famille maîtrisent un large éventail de connaissances et de compétences pour répondre aux besoins des aidants. Les besoins se ressemblent dans certaines maladies; d’autres exigent des approches spéciales ou différentes, selon l’étape de la trajectoire longitudinale de la maladie. Ces changements d’approche doivent s’adapter aux composantes temporelles du rôle de l’aidant, à la longueur de la maladie, à la durée et à la dynamique des soins, et à l’état clinique du patient soigné11,12.
Il semblerait nécessaire et bénéfique que les facultés de médecine enseignent de manière structurée les questions entourant les aidants naturels. Or, selon un sondage postal effectué par l’un des auteurs (MJY, non publié) auprès des vice-doyens des études médicales prédoctorales de 16 facultés de médecine canadiennes, seulement 3 des 10 répondants ont indiqué avoir des objectifs éducatifs écrits concernant les aidants. Ces facultés n’y consacrent qu’un temps limité (0,5 à 2 heures) et ont peu de moyens pour assurer que les enseignants agissent comme modèles d’implication considérable auprès des aidants. La situation s’est peut-être améliorée depuis et pourrait ne pas être la même dans d’autres pays, mais ces résultats pointent néanmoins vers la nécessité d’apporter des améliorations.
Position d’influence
Les médecins de famille suivent les patients et leur famille sur une longue période et occupent donc une position privilégiée pour préconiser activement une meilleure formation sur les aidants et y participer. Les membres des départements de médecine familiale font de plus en plus partie des comités sur les curriculums ou agissent en tant que vice-doyens aux études prédoctorales, du perfectionnement professoral et de la FMC. Dans ces contextes, ils peuvent sensibiliser leurs collègues à l’importance d’enseigner ce sujet, peut-être au même titre que les étapes de la vie, les relations médecins-patients, l’entrevue, l’éthique et les sciences comportementales, durant des cours, des séminaires ou des tournées où la discussion porterait sur les répercussions des maladies sur le patient aussi bien que sur sa famille. Les stages cliniques en médecine familiale se prêtent aussi à une telle formation.
La concurrence est forte pour le temps d’enseignement au premier cycle, les programmes de résidence en médecine familiale devraient donc envisager d’inclure les soins aux aidants. Le CMFC, reconnaissant le potentiel des aidants naturels au cours de leur vie, pourrait ajouter un énoncé au 3e principe de la médecine familiale («Le médecin de famille est une ressource pour une population définie de patients»), affirmant que les MF doivent acquérir les connaissances, les attitudes et les habiletés voulues pour bien soutenir les aidants naturels. Parallèlement, les équipes d’agrément devraient examiner spécifiquement la qualité de cette formation. L’ajout d’une question précise lors de la visite préalable à l’agrément (p.ex. «Comment votre programme traite-t-il des questions relatives aux aidants naturels au cours de la vie?») pourrait favoriser une révision interne du programme.
Les précepteurs en médecine familiale devraient analyser, à partir de leurs rencontres avec des aidants naturels, ce qu’il faut pour bien préparer les résidents à ces interactions complexes. Cela justifierait l’ajout d’un objectif d’apprentissage distinct (au lieu de l’incorporer avec d’autres sujets comme les soins aux aînés). La formation serait donnée sous forme didactique et d’apprentissage expérientiel. On devrait aussi imposer aux programmes de résidence de produire une liste de lectures pour les résidents sur le soutien aux aidants.
Agir
Les études sur les besoins non satisfaits des aidants alimentent le contenu d’un programme sur le sujet en médecine familiale, notamment: changements sociétaux et en médecine qui favorisent l’accroissement des soins par les familles; maladie chronique; problèmes des soins par les aidants à toutes les étapes de la vie; influence sur la solution de problèmes des croyances familiales en ce qui a trait à la demande ou à l’acceptation d’aide; théorie des systèmes familiaux (enchevêtrement et habitudes de communication); expérience de la maladie par le patient et la famille; différences entre hommes et femmes en tant qu’aidants; conséquences physiques, émotionnelles, financières, familiales et professionnelles des soins par les aidants; symptômes somatiques de la détresse; techniques d’évaluation du fardeau de l’aidant; rôles, interactions, forces et faiblesses des professionnels de la santé qui travaillent avec les aidants; obstacles posés par les interactions tripartites patient-aidant-médecin (p. ex. confidentialité). Le «théâtre médical» se prête bien à la présentation et à la discussion de ces sujets13.
En adoptant des objectifs d’apprentissage rigoureux, on oblige les résidents à faire preuve de compétence. On peut évaluer ces compétences par la supervision directe et par l’administration d’examens écrits et pratiques (simulations d’entrevue). Une formation prédoctorale et postdoctorale plus approfondie relativement aux aidants naturels ouvre la voie de la recherche. D’autres études permettront de savoir si une meilleure formation des médecins accroît la satisfaction des aidants et leur capacité de faire face à la situation, et réduit les taux d’épuisement et de mortalité chez les aidants. Il y a du chemin à faire, mais la médecine familiale peut et devrait être en tête de file.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 1359.
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