Depuis des décennies, le double emploi fait l’objet de controverse. On peut définir le double emploi, ou moonlighting, comme le fait de cumuler plus d’un emploi ou d’accepter un autre travail pour augmenter ses revenus. Je suis contre le moonlighting et je crois qu’il nuit à la formation des médecins de famille et des autres spécialistes pour les raisons suivantes:
Le double emploi est incompatible avec l’horaire de travail des résidents
Au sud de la frontière, l’Accreditation Council for Graduate Medical Education a adopté la politique de la semaine de 80 heures de travail, de sorte que les résidents ne peuvent pas dépasser 80 heures durant la même semaine, services de garde compris; la conformité à la règle est étroitement surveillée, et les établissements qui l’enfreignent sont passibles d’une amende ou, pire, perdent leur agrément1. Par le passé l’Association of American Medical Colleges a fait remarquer l’ironie de la réglementation serrée des heures de travail tout en ignorant le moonlighting2. Au Québec, la Fédération des médecins résidents et le gouvernement ont négocié un contrat qui stipule que la journée de travail ne peut excéder 12 heures, que les horaires du service de garde sont d’au maximum 24 heures, que les résidents ont une journée complète de congé après le service de garde et que le nombre de services de garde ne doit pas être supérieur à 6 par 28 jours3. Comment les résidents peuvent-ils avoir un double emploi et se conformer aux directives de leur formation? Les hôpitaux doivent verser une amende si l’horaire mensuel des résidents compte plus de 6 services de garde et, pourtant, les résidents travaillent volontairement de 3 à 4 quarts de moonlighting sans pénalité. Cette incohérence est inacceptable et, si les résidents veulent avoir un double emploi, le nombre total d’heures dans leur calendrier de service de garde devrait être conforme aux lignes directrices obligatoires.
Le moonlighting n’a pas de valeur éducative
Les partisans du double emploi prétendent que le moonlighting procure une autonomie clinique, permet aux résidents de perfectionner leurs habiletés techniques et les expose à des cas cliniques dont ils n’auraient pas fait l’expérience dans les centres tertiaires. Évidemment, les gens ont tendance à oublier que les résidents qui font du moonlighting travaillent sous supervision minimale. Qui corrigera les erreurs des résidents? Continueront-ils à toujours faire les mêmes erreurs? Les ouvrages se font nombreux à étayer l’importance de la rétroaction dans l’apprentissage. Dans l’acquisition des habiletés techniques, la rétroaction est indispensable4,5 et le manque de rétroaction diminue l’acquisition de la maîtrise des interventions techniques6. Les habiletés cognitives et techniques des résidents en médecine familiale ne s’amélioreront pas en travaillant à l’urgence sans supervision.
Les résidents ont aussi tendance à ne pas assister aux activités éducatives à leur hôpital d’attache pour ne pas être en retard à l’hôpital où ils font du moonlighting. Si un résident fait 3 quarts de double emploi en un mois, il n’a pas le temps voulu pour d’autres activités d’apprentissage, comme la lecture ou la préparation de présentations lors des tournées. Les partisans du double emploi doivent expliquer comment prévenir ces effets nuisibles sur l’expérience globale d’apprentissage du résident.
Le moonlighting n’offre pas suffisamment d’avantages sur le plan financier pour valoir le travail additionnel
Les résidents choisissent souvent le double emploi à cause de leurs inquiétudes financières. Les données probantes font valoir que plus la dette du résident est élevée, plus il est probable qu’il fera du moonlighting7. Mais à quel prix? Selon une étude, la majorité des résidents qui avaient un double emploi avaient enfreint les règlements de l’Accreditation Council for Graduate Medical Education concernant les heures de travail, et, en retour, ils se privaient de voir leur famille durant leurs heures de congé8. Avec les augmentations graduelles du salaire des résidents, grâce aux efforts des syndicats, les avantages de faire des quarts de travail additionnels par mois diminueront bientôt, rendant moins tentant de privilégier l’argent aux dépens de la famille.
Les résidents qui font du moonlighting ratent des occasions de participer à des réunions provinciales, nationales et internationales, où ils pourraient se faire connaître et se trouver des emplois qu’ils aimeraient. Ils doivent aussi payer des frais médico-légaux exorbitants et s’exposer aux pressions émotionnelles et financières qu’entraînent les poursuites. La résidence, c’est le moment d’apprendre dans le milieu sécuritaire d’un programme de résidence sans avoir à faire face directement aux dures rigueurs de la pratique autonome.
Le moonlighting cause l’épuisement, ce qui nuit encore plus à l’apprentissage
Il est inconcevable que les résidents puissent être capables de faire le service de garde en plus de la lecture exigée et de la recherche, et qu’ils aient un double emploi sans être fatigués. Il est reconnu que la fatigue peut réduire la mémoire et l’attention9. Papp et ses collègues ont fait valoir que le moonlighting peut entraîner une baisse de la satisfaction personnelle due à la fatigue; ces auteurs ont fait une étude auprès de 149 résidents dans diverses spécialités et 5 centres hospitaliers universitaires américains, qui a révélé que le manque de sommeil et la fatigue avaient un impact sérieux sur la vie personnelle des résidents. Ils ont aussi fait remarquer que les plaisirs personnels importants étaient remis à plus tard ou carrément mis de côté10.
Le désir de faire plus d’argent et de rembourser les dettes accumulées pousse les résidents diligents à travailler encore plus fort. Jeunes et inexpérimentés, les résidents ne comprendront pas que ces dettes seront payées avec le temps, mais que le temps perdu à faire du moonlighting ne reviendra jamais. En tant que leurs mentors, nous devons leur transmettre la sagesse que nous avons acquise au fil des ans, notamment de savoir que ce qui importe le plus en bout de ligne, ce n’est pas l’argent mais plutôt la famille et les plaisirs personnels. Nous devons convaincre nos stagiaires que la résidence n’arrive qu’une fois et que, s’ils n’en profitent pas, ils se retrouveront trop vite diplômés et en pratique, sans avoir eu les mêmes possibilités d’apprendre, d’être encadrés et d’apprécier cette expérience.
CONCLUSIONS FINALES
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Le moonlighting est incompatible avec le bien-être des résidents.
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Le moonlighting n’a pas de valeur éducative.
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Les avantages sur le plan financier ne sont pas suffisants pour valoir le travail additionnel.
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Le double emploi cause l’épuisement et nuit donc à l’apprentissage.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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