Depuis quelques années, à tour de rôle, les universités et différents autres organismes remettent en question la durée de la formation spécifique en médecine familiale, actuellement de 2 ans. Le Collège des médecins du Québec a invité la FMOQ à se prononcer sur cette question il y a 4 ans : les 2 ans en vigueur nous apparaissaient alors suffisants et, en nous appuyant sur les mêmes considérations que nous expliciterons subséquemment, nous maintenons toujours cette position.
En effet, le taux actuel de réussite à l’examen de fin de résidence ne nous donne aucune indication d’une quelconque carence au plan des connaissances et habiletés pour les résidents qui terminent leur formation courante de 2 ans. La raison le plus souvent évoquée pour prolonger la résidence en médecine familiale a trait à l’insécurité inhérente au large éventail de sujets que requiert cette pratique par définition pluraliste. L’allongement du temps de formation peut sembler de prime abord la solution pour pallier à ces exigences accrues en quantité de connaissances, d’où quelques approches en cours, ici et ailleurs, dont les résultats toutefois nous confortent dans notre opinion discordante.
La perte d’une pratique plus polyvalente
Prenons l’exemple d’une troisième année de résidence actuellement offerte au Québec et au Canada en médecine familiale (R-2 bis) coiffée d’un certificat à la clé en urgence, soins palliatifs ou gériatrie. Le résultat net de cette approche prend le plus souvent la forme d’une pratique concentrée, voire exclusive, dans les champs spécifiques en cause et, conséquemment, la perte d’une pratique plus polyvalente caractéristique de la médecine familiale. L’objectif de base visé se solde ainsi malencontreusement par une carence accrue des effectifs recherchés en médecine familiale « généraliste » au profit d’un champ d’activité plus restreint dès le début de la pratique, alors que cette restriction des domaines couverts tend à se matérialiser de façon plus lente et progressive en cours de pratique chez la majorité des médecins de famille.
La Suède, pays souvent précurseur grâce à ses approches novatrices, a mis en place une résidence en médecine familiale de 3 ans, associée à un tutorat de 5 ans pour obtenir la certification, donc très nettement allongée. Dans ce cas-ci, aucun doute ne subsiste quant à la quantité de connaissances supplémentaires ainsi acquise, cette approche avoisinant même en durée nos résidences les plus longues (6 ans en cardiologie, chirurgie cardiovasculaire et thoracique et neurochirurgie). Toutefois, un tel allongement du cursus se solderait par une absence de relève disponible pour une durée minimale de 1 à 3 ans, avec comme résultat immédiat une détérioration significative des effectifs déjà en pénurie de médecins de famille. Rappelons que l’ajout net d’effectif en médecine familiale l’année dernière n’a été que de 61 médecins au Québec.
De plus, en nous référant à la plus vaste enquête canadienne sur la médecine familiale faite par la Dre Marie-Dominique Beaulieu, titulaire de la Chaire de recherche Docteur Sadok Besrour en Médecine familiale de l’Université de Montréal, ce « super résident » consacrerait le modèle du médecin « omniscient » perçu comme peu réaliste, voire même effrayant, aux yeux des jeunes résidents et des étudiants en médecine1. Pour ces derniers, l’approche du généraliste ne consiste pas à tout prendre sur ses épaules, mais on préconise plutôt un médecin de famille « qui gère tout problème qui se présente à lui ». Ainsi, « la solution peut être de référer à un autre spécialiste de la santé. Ensuite, il orchestre les différents soins dans un système de santé de plus en plus complexe ».
Plusieurs moyens de sécuriser les nouveaux médecins de famille
L’insécurité, ressentie de façon normale par un nouveau médecin de famille face à l’étendue du champ des compétences requises, peut par contre être atténuée par différentes mesures. Celles-ci peuvent se classer en trois catégories : liées à l’organisation de la pratique, tributaires de l’accès à un soutien ponctuel ou résultant d’un développement professionnel continu adapté. Ainsi, en premier lieu, la pratique de groupe génère une entraide non négligeable en lien avec la possibilité de discussion de cas formelle ou informelle, ou de façon spécifique par le recours au mentorat, tel qu’il existe dorénavant en obstétrique. De plus, l’accès au plateau technique, des échanges rapides d’information grâce à la contribution de l’électronique et l’accès rapide à un avis spécialisé via un soutien à la pratique interdisciplinaire constituent d’autres moyens de sécuriser les médecins de famille. Enfin, un développement professionnel continu adapté à la pratique spécifique de chaque omnipraticien par une autogestion de celui-ci vient compléter le train de mesures réconfortantes, surtout si ce développement professionnel continu est accessible sans pénalité financière et à un coût raisonnable, s’il recourt notamment à des outils d’aide à la pratique facilement disponibles et s’il comble les besoins ressentis par les individus, les groupes et l’équipe interdisciplinaire.
Pour terminer, jetons un coup d’œil sur l’expérience française où la formation allongée pour la médecine de première ligne a généré une caractérisation accrue de la pratique médicale dans différents domaines, notamment en soins hospitaliers. Le tout s’est ainsi soldé par une pénurie accrue d’effectifs en première ligne qui a accentué son image d’enfant pauvre du système de santé. Au Québec, l’activité des médecins de famille comporte déjà une composante très significative de 39% en 2ème et 3ème lignes, alors que nos cousins français étaient auparavant confinés à la première ligne, le statut d’ « hospitaliste » leur étant refusé. Maintenant que l’accès à la dispensation des soins hospitaliers s’est matérialisé, le même effet d’atténuation des ressources disponibles en première ligne ne cesse de s’accentuer, tout comme nous le constatons chez nos nouveaux médecins de famille qui ont complété une formation allongée dans un champ plus spécifique et plus restreint.
CONCLUSIONS FINALES
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A moins d’objectiver un besoin de correction nécessaire d’une situation alarmante ou inquiétante actuellement ou plus tard, la durée actuelle de formation spécifique en médecine familiale nous apparaît adéquate et suffisante.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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