Le concept du professionnalisme est certainement très à la mode en médecine depuis quelques années. Les discussions dans les ouvrages spécialisés se multiplient. Bon nombre de ces récents ouvrages considèrent que le professionnalisme médical est menacé; ils interprètent les menaces et proposent des solutions pour les écarter1–6. Les articles et les études scientifiques sur la façon d’enseigner et d’évaluer le professionnalisme - et la façon de formuler des attentes raisonnables envers les médecins en matière de compétences mesurables et de comportements associés au professionnalisme - prolifèrent 2,3,7.
Ce sujet ne se limite pas au monde universitaire. Les organisations professionnelles médicales, réagissant à l’impression que le professionnalisme est menacé et que la confiance du public à l’endroit de la profession est précaire, se hâtent de régler la question. Par conséquent, diverses associations médicales ont accordé une place prépondérante au professionnalisme dans les exposés de position et les documents de travail; les organismes d’agrément et les facultés de médecine ont pris des mesures pour faire en sorte qu’il soit adéquatement intégré dans les programmes d’enseignement8–10.
Malgré toute l’agitation entourant cette question, il est raisonnable de se demander si l’on s’entend généralement sur ce qu’est le professionnalisme, et ce, particulièrement en raison de la grande diversité de déclarations à ce sujet dans les ouvrages spécialisés et les énoncés de politiques. Je répondrai à cette question par un oui relatif.
Un solide fondement
Il y a certainement une cohérence remarquable dans les explications du professionnalisme médical trouvées dans les ouvrages. Un professionnel de la médecine est une personne qui a des compétences ésotériques en médecine et des connaissances de la discipline, et qui les met à contribution principalement au service et dans l’intérêt des patients et des communautés, conformément aux normes morales de la profession médicale1,6. À tout le moins, c’est ce que les professionnels de la médecine «professent» plus ou moins explicitement et ce que les ordres de médecins garantissent au moins implicitement au public quand ils délivrent un permis d’exercice. Par ailleurs, comme on le comprend, le professionnalisme est un idéal, et la mesure dans laquelle les médecins atteignent ou s’éloignent de cet idéal varie. Un bon médecin est exemplaire par rapport à cet idéal.
Cet idéal professionnel repose essentiellement sur des normes morales, qu’elles soient exprimées comme des valeurs, des vertus ou des principes1,2,5,6. Elles sont professées de manière remarquablement uniforme par la profession dans ses codes de déontologie et ses divers énoncés de politiques et de règlementation. Elles incluent le respect de la dignité, de l’intimité et de l’autonomie des patients, le souci de promouvoir le bien du patient (dans certains cas, même au point d’être prêt à subordonner ses propres intérêts au service du patient et de la communauté), le respect de la confidentialité des renseignements, l’impartialité, l’honnêteté et la compassion.
Variations sur un même thème
Ces normes morales sont assez générales et sujettes à interprétation et à discussion. De plus, les normes sont parfois en conflit dans certaines circonstances. Par conséquent, il est inévitable d’avoir des désaccords au sujet de questions spécifiques. Quel plan d’action est plus conforme aux souhaits du patient dans une situation donnée? Comment le respect des désirs du patient peut-il être concilié avec le devoir du médecin de promouvoir le bien-être du patient dans des circonstances où les deux sont en conflit? Dans quelle mesure le médecin doit-il être prêt à faire passer en premier le service aux patients et à la communauté avant ses propres intérêts? La réponse à de telles questions précises exige un jugement professionnel. Les médecins ne s’entendent pas toujours sur les composantes techniques ou scientifiques de la pratique médicale; on ne peut donc pas s’attendre à ce qu’il en aille autrement avec les aspects moraux de l’état de professionnel ou de bon médecin, une dimension qui transcende les limites de la raison scientifique ou technique.
On croit généralement qu’un degré d’indépendance et d’autonomie dans le jugement clinique est essentiel et que c’est une caractéristique déterminante de la vie professionnelle en médecine. En ce qui a trait surtout à la dimension morale de la vie professionnelle, des personnes raisonnables peuvent parfois en arriver à des conclusions morales différentes. La profession médicale doit laisser les normes assez ambiguës pour permettre une divergence d’opinions raisonnable et un jugement individuel dans certaines circonstances cliniques, tout en étant claires et décisives à propos de ce qui est inacceptable dans presque toutes les circonstances - les médecins doivent marcher sur une corde raide.
En plus d’être sujettes à interprétation et à discussion entre contemporains, les normes morales qui forment l’idéal professionnel évolueront aussi avec le temps. C’est inévitable puisqu’une profession est une tradition vivante. L’idéal professionnel permet, et même exige, que chaque génération assume la liberté et la responsabilité de se réinventer elle-même à la lumière des circonstances changeantes, et de modifier son patrimoine en conséquence, tout en respectant et en croyant toujours à ce patrimoine. Il est peut-être possible que le soidisant fossé des générations dont parlent les ouvrages spécialisés soit si large que ce patrimoine du professionnalisme soit menacé de manière assez fondamentale, mais il faut toujours s’attendre à un certain conflit de générations dans une tradition vivante.
En bout de ligne
Je crois que cet exposé sur le professionnalisme présente ce que les MF savent déjà dans une certaine mesure et qu’ils seraient d’accord avec cette explication. Je crois aussi que beaucoup de MF s’entendraient sur la façon de reconnaître un médecin qui incarne l’idéal professionnel tout comme ils seraient d’accord sur la façon de reconnaître un bon médecin. Bien sûr, cela ne veut pas dire que les MF s’entendraient sur ce que représente l’idéal professionnel dans les circonstances particulières d’un cas difficile. Et ce n’est pas dire non plus que les MF seraient d’accord sur une liste détaillée répartissant les compétences et les habiletés spécifiques et mesurables qui constituent le professionnalisme. Le professionnalisme concerne davantage l’art que la science de la médecine - il se pourrait qu’il y ait quelque chose de contraire à l’éthique et d’irrationnel dans la volonté de décortiquer ainsi l’idéal professionnel2.
Sans une étude formelle qui validerait ou invalide-rait les énoncés que j’ai faits, j’invite les lecteurs à décider pour eux-mêmes s’ils sont vrais en fonction de leur propre compréhension et de leurs expériences de la profession.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Le professionnalisme est à la mode de nos jours, comme en témoigne la prolifération des discussions qu’on en fait dans les ouvrages spécialisés et dans les politiques et les lignes directrices publiées par diverses organisations médicales.
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On s’entend généralement pour dire dans les ouvrages spécialisés qu’essentiellement, être un professionnel de la médecine, c’est de professer sa compétence en médecine et de l’utiliser principalement dans l’intérêt des patients et des communautés.
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Même s’il n’y a pas eu d’étude formelle visant à savoir si les MF s’entendent sur ce qu’est le professionnalisme, il y a des raisons de supposer qu’ils s’entendent sur le concept généralement expliqué dans les ouvrages et sur les normes morales associées avec l’idéal professionnel.
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Les médecins de famille pourraient ne pas s’entendre sur des applications particulières des normes morales qui constituent l’idéal professionnel, mais un tel désaccord est parfaitement compatible avec l’idée du jugement professionnel et, d’ailleurs, en fait partie intégrante.
Footnotes
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This article is also in English on page 968.
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Remerciements
Je tiens à remercier les membres du Comité d’éthique du Collège des médecins de famille du Canada de leurs précieuses discussions incessantes des questions d’éthique entourant le professionnalisme en médecine.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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