J’ai vécu cette année un de ces moments d’illumination soudaine concernant une question qui me laissait perplexe depuis des années. J’ai souvent qualifié notre travail de médecins de famille comme «une zone grise». Il n’est pas facile de trouver les mots pour décrire les subtilités de la prise en charge des patients à long terme - c’est une zone grise. Mon illumination s’est produite à une conférence des Instituts de recherche en santé du Canada sur les soins primaires. Brenda Zimmerman, professeure d’administration à la York University, présentait une séance sur la complexité et les soins de santé1. Sa description de la complexité visait juste. Elle a su expliquer ce que j’essayais de décrire par zone grise. En présentant la théorie de la complexité, elle me faisait comprendre la médecine familiale à un niveau différent.
Mme Zimmerman a décrit 3 approches dans les soins aux patients: simple, compliquée et complexe. L’approche simple ressemble à une recette - travailler avec le «connu». Nous connaissons le problème. Nous connaissons la solution. Nous voyons un patient qui a une lacération. Nous faisons des points de suture. La lacération guérit; c’est simple et direct.
Il y a ensuite l’aspect compliqué. Nous commençons avec l’inconnu et, avec notre savoir et nos habiletés en médecine, nous allons de l’inconnu au connu. Nous commençons avec une douleur abdominale, nous faisons un bilan, un examen physique et des analyses pour poser un diagnostic, puis nous choisissons une intervention qui entraînera probablement la guérison ou le contrôle. C’est le monde de plusieurs de nos collègues spécialistes. Ils transigent avec le compliqué, et leur monde implique d’aller de l’inconnu au connu. C’est le monde des guides de pratique clinique et d’une bonne part de la médecine factuelle. En termes simples, c’est le monde du corps-machine où l’on trouve ce qui est brisé pour le réparer.
Passons maintenant à la zone grise - l’aspect complexe - le monde des médecins de famille et des soins primaires. C’est le monde de l’impossible à savoir. Combien de fois voyons-nous des problèmes impossibles à diagnostiquer exactement? Combien de fois, avec notre ami dans le diagnostic qu’est le temps, ce qui clochait a-t-il pu se régler et disparaître - réglé et à jamais indéfini? Mme Zimmerman compare cela à l’éducation d’un enfant. Il n’y a pas de livre, de recette, de magie pour transiger avec le complexe. Il y a trop de permutations et de computations différentes pour contrôler et comprendre. Nous faisons de notre mieux au meilleur de nos connaissances et sommes confiants à l’égard de notre compréhension qu’élever un enfant est complexe et que la réussite dépend principalement des relations.
Les soins aux patients en médecine familiale sont complexes. Les guides de pratique clinique ne conviennent souvent pas en raison de la nature subtile et entrecroisée des problèmes médicaux, rendant presque impossible de les cerner un à un. Le contexte où vit le patient, celui de sa maladie, n’est pas à traiter non plus, comme s’il n’influençait pas les soins ou ne contribuait pas aux résultats, alors que pourtant, tout importe. Tout influence ce qui se passe et doit se passer.
La littérature médicale traite de la théorie de la complexité depuis un certain temps. Je ne crois pas qu’elle soit enseignée dans les facultés de médecine, pourtant je n’ai rien trouvé de mieux pour bien expliquer ce que nous faisons comme médecins de famille et la valeur que nous apportons au système. Pendant des années, nous avons été relégués à l’aspect simple et on nous a proposé les meilleures pratiques relatives aux soins primaires bien que, au pire, elles soient liées au compliqué. Pendant des années, nous nous sommes efforcés d’expliquer aux étudiants et aux collègues les subtilités et les ambigüités grises que nous vivons en pratique familiale. Maintenant, nous avons la théorie de la complexité qui apporte de la clarté dans notre monde. Ce n’est pas le monde du corps-machine, mais plutôt un monde qui considère le corps du patient comme un système complexe, la vie complexe du patient dans un environnement complexe et le contexte comme étant essentiel aux soins.
Je crois que c’est terriblement important dans nos efforts pour faire comprendre ce que nous faisons aux gouvernements, aux collègues, aux facultés de médecine et à d’autres. Nous sommes des généralistes. Nous valorisons les relations et la continuité. Notre définition ne repose pas sur une partie du corps, elle se fonde sur les relations. Nous recevons tout le monde et traitons tous les problèmes. Aucun autre professionnel de la santé ne peut se substituer à la valeur que nous apportons. Nous sommes les gestionnaires du complexe.
Nous devons embrasser ce rôle et continuer de nous concentrer sur les soins complets. Les médecins de famille sont les mieux formés pour gérer la complexité. Nous faisons un bon travail et pouvons apprendre à le faire mieux. Nous devons revendiquer les outils pour améliorer et évaluer ce rôle important.
J’espère que vous partagerez avec moi ce moment de «aha!» - transformer la zone grise en complexité - et célébrerez les compétences requises pour faire ce travail et la valeur fondamentale de notre relation avec nos patients. Si nous devions nous complaire de temps à autre, que ce soit exclusivement dans la zone grise. La complexité peut être stimulante. Nous devrions être fiers de notre discipline. Je suis fière d’être maître en complexité et spécialement fière d’avoir servi le Collège durant cette dernière année. Je vous remercie.
Footnotes
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This article is also in English on page 1081.
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