Ce mois-ci, Le Médecin de famille canadien vous présente les résultats d’un sondage réalisé auprès de médecins de famille belges visant à connaître leur attitude face à la prescription des benzodiazépines (BZD) et les barrières qu’ils ont à l’égard des méthodes non pharmacologiques comme alternatives au stress, à l’anxiété et à l’insomnie (page e399). Anthierens et collab.1 nous rappellent à quel point l’usage des BZD est répandu: en Belgique, 1 patient sur 3 prend des BZD quotidiennement et de façon chronique; en Europe, une enquête révélait que près de 10 % de la population prenaient des BZD sur de longues périodes; au Canada ce taux était de 3,4 %. Les auteurs rappellent aussi qu’il est bien difficile de se sevrer de ces médicaments, une fois commencés.
Parmi les 948 médecins de famille sondés, près de la moitié (40 %) ne voient pas de problème à prescrire des BZD; approximativement le quart considèrent que leur usage chronique est justifié, dans la mesure où les patients fonctionnent mieux et n’éprouvent pas d’effets secondaires et 71 % croient qu’il est correct d’en prescrire pour une semaine. Ce sont les médecins les plus âgés qui considèrent le plus l’emploi des BZD comme étant justifié.
Aux dires des auteurs, de telles révélations sont troublantes, particulièrement si l’on considère les méfaits associés à la prescription de ces médicaments: « Les bienfaits associés à une utilisation à des fins sédatives sont marginaux et surpassés par les risques, surtout chez les personnes de plus de 60 ans.… L’usage à long terme, même à doses thérapeutiques, a été relié à la tolérance, à la dépendance et à des effets de sevrage »1.
Devant pareils constats, nous serions en droit de demander pourquoi ces médicaments ne sont-ils pas retirés du marché, puisqu’ils sont si préjudiciables? D’autant plus qu’on nous rabat depuis des années qu’ils sont employés de façon abusive et inappropriée et que leur usage est néfaste. Comme l’affirment Anthierens et collab. « Il est maintenant généralement accepté que la prescription de BZD comportent de nombreux risques, y compris la tolérance, la dépendance et l’usage abusif, ainsi que la dépression, les troubles cognitifs et psychomoteurs »1.
Avis contradictoires
Or, contrairement à ces affirmations et aux croyances couramment véhiculées, la littérature n’est pas aussi catégorique quant aux effets délétères des BZD. Dans d’autres articles publiés, on affirme ce qui suit:
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L’usage chronique des BZD à dose stable pour la prise en charge de l’anxiété et des troubles de la panique n’est pas associé à des déficiences neuropsychologiques, ni cause-t-il des problèmes chez la majorité des patients2.
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L’expérience clinique a démontré que, même sur de longues périodes d’usage quotidien, les BZD ne perdent habituellement pas leur efficacité et ne causent pas de problèmes considérables pour la plupart des patients3.
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On a exprimé de sérieuses préoccupations non reliées à la dépendance, y compris la possibilité d’une atrophie cérébrale et de changements de la personnalité4; toutefois, en dépit de l’usage généralisé et à long terme de ces agents jusqu’à présent, aucune donnée probante n’a été présentée à l’effet que ces inquiétudes étaient pertinentes sur le plan clinique5.
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Les personnes souffrant de troubles d’anxiété qui prennent des BZD se plaignent parfois d’une perte de mémoire subjective. Un examen attentif des effets de l’usage prolongé des BZD pour les troubles de la panique a révélé des données factuelles non cliniquement significatives de déficience neuropsychologique6,7.
Par ailleurs, si on analyse les données probantes à l’appui des affirmations d’Anthierens lorsqu’il souligne les effets délétères des BZD, force est d’admettre que les niveaux de preuve sont plutôt pauvres et discutables. En effet, l’affirmation « il est généralement reconnu que les BZD comportent des risques de tolérance, de dépendance et de mauvais usage, tout comme les BZD induisent dépression, troubles cognitifs et psychomoteurs » repose sur des références qui, pour certaines, datent de plus de 20 ans et pour d’autres, ne sont pas vraiment contributives.
Qui a raison?
Ceux qui prétendent que les BZD devraient être proscrits ou ceux qui affirment qu’on exagère leurs torts?
Une chose est sûre, il est raisonnable de penser que les BZD devraient être prescrits avec circonspection et prudence. Cependant, de là à dire que leur usage devrait être proscrit et que seules les méthodes non pharmacologiques pour traiter le stress, l’anxiété ou l’insomnie devraient être privilégiées, il y a une marge qu’il faudrait éviter de franchir. Les BZD ont certainement leur place dans l’arsenal thérapeutique. Les médecins belges questionnés l’ont d’ailleurs bien compris et fort bien exprimé.
Footnotes
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This article is also in English on page 1097.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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