Personne dans le secteur de la santé n’ignore que la population canadienne est vieillissante. Le nombre de patients de plus de 75 ans ayant des problèmes de santé complexes augmente de façon spectaculaire. À l’unité hospitalière de réadaptation gériatrique où je travaille, il est fréquent de voir 25 % des lits occupés par des personnes de plus de 90 ans. Au Canada, on estime qu’il y a plus de 4 000 centenaires, et que les 80 ans et plus forment le groupe d’âge dont la croissance démographique est la plus grande1. Étant donné cette population vieillissante, comment les médecins de famille arrivent-ils à donner des soins de grande qualité? Les défis sont énormes, mais il y a aussi de nombreuses réussites sur lesquelles miser.
Il y a clairement une pénurie de spécialistes en gériatrie au Canada. Ce qui est moins évident, c’est le rôle essentiel que jouent les médecins de famille dans les soins aux personnes plus âgées. Les médecins de famille dans les cliniques, les hôpitaux et les urgences font l’expérience de cette démographie changeante. Non seulement les Canadiens vivent-ils plus longtemps, mais ils sont aussi indépendants et actifs plus tard dans leur vie - et ils revendiquent davantage leurs droits que les générations précédentes d’aînés. Même si les pénuries de médecins de famille se sont atténuées dans certaines régions du pays, les patients plus âgés comptent beaucoup sur la disponibilité des médecins de famille. Bon nombre d’entre eux sont fortement affectés par le manque de médecins de famille. De plus, il est rare de pouvoir faire appel à des médecins de famille qui ont une formation additionnelle en soins aux personnes âgées (SPA).
Compétences, formation et éducation
En réponse à la population croissante de personnes âgées, des facultés de médecine et programmes de résidence ont accru l’expérience des stagiaires en soins gériatriques. Cependant, il faudrait faire plus de représentations encore pour améliorer l’exposition à tous les niveaux de la formation, et le cursus en gériatrie varie considérablement d’un programme à l’autre2–5. Les classes plus nombreuses rendent moins probables les expériences cliniques dans des services spécialisés, étant donné le petit nombre de cliniciens suffisamment expérimentés pour agir en tant que précepteurs. Par ailleurs, je trouve que les médecins de famille en pratique active et les stagiaires sont plus motivés à fournir les meilleurs soins possibles que lorsque j’ai commencé ma carrière. Nous avons beaucoup de chemin à faire avant que tous les étudiants en médecine et les résidents aient de l’expérience et des connaissances dans les principes et la pratique des SPA, mais la situation s’améliore.
En raison des différences d’un cursus à l’autre, la Société canadienne de gériatrie (SCG) a élaboré des compétences essentielles nationales à l’intention des étudiants en médecine6. Elles serviront de fondement aux objectifs d’apprentissage en médecine familiale (élaborés par la SCG et le Programme des soins aux personnes âgées du Collège des médecins de famille du Canada) pour veiller à ce que les résidents soient exposés à une gamme de problèmes gériatriques dans le contexte des compétences CanMEDS–médecine familiale. Ces objectifs devraient donner la motivation nécessaire pour que tous les résidents en médecine familiale travaillent avec des cliniciens compétents dans des milieux diversifiés, y compris des foyers pour personnes âgées.
Un énoncé de position, produit par le Programme des soins aux personnes âgées7, insiste sur la nécessité que les départements universitaires de médecine familiale recrutent des professeurs ayant une expertise reconnue en soins gériatriques ou une formation additionnelle en SPA, et que les médecins de famille - qui jouent un rôle prépondérant dans les soins aux aînés - participent à l’élaboration des cursus prédoctoraux et postdoctoraux en gériatrie. On a aussi souligné l’importance d’une formation dans une diversité de milieux, parce que l’exposition clinique influence les cheminements professionnels et améliore la confiance. Il est difficile de dire combien de ces recommandations ont été adoptées, mais le Programme des soins de santé aux personnes âgées doit continuer à travailler avec les dirigeants de la formation en médecine familiale pour faire en sorte que les départements donnent suite concrètement aux recommandations.
Obstacles au recrutement
Le recrutement dans des domaines axés sur les soins aux personnes âgées est plutôt faible dans toutes les disciplines. Fait particulièrement inquiétant en médecine familiale, il y a une pénurie de médecins de famille qui offrent des soins dans les centres d’hébergement et un très petit nombre de médecins qui ont une formation additionnelle dans des programmes agréés en SPA. Partout au Canada, il est difficile d’embaucher des médecins dans les foyers pour personnes âgées. Ceux qui y travaillent sont souvent en fin de carrière8 et, étant donné la hausse de la population de «personnes très âgées»1, il est crucial d’accroître le recrutement de médecins dans ce domaine. S’il est bon d’augmenter l’exposition des résidents en médecine à des expériences positives en soins de longue durée, les incitatifs financiers pour recruter et maintenir en poste les médecins ont été identifiés comme une stratégie à privilégier.
Même si le Collège des médecins de famille du Canada ne tient pas de liste de médecins de famille ayant une formation en SPA, on sait qu’il y en a moins de 200. Malgré leur petit nombre, les médecins formés en SPA ont assumé des rôles de leadership en éducation, en recherche et en soins cliniques9. Il y a de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi les résidents en médecine familiale vont directement en pratique plutôt que de suivre une formation additionnelle, mais l’obstacle le plus important est d’ordre financier. La formation développe des habiletés et des connaissances susceptibles d’exiger plus de temps auprès des patients, sans toutefois procurer d’incitatifs financiers, comme des codes de facturation spécifiques. De plus, les départements de médecine familiale n’insistent pas tous sur le recrutement de médecins ayant une formation en SPA, et les possibilités de travailler au sein des divisions en médecine gériatrique ou dans des services spécialisés en gériatrie sont souvent limitées par la « concurrence » des internistes gériatriques. Assurément, les rôles des gériatres et des médecins de famille formés en SPA se complètent, et tous doivent travailler ensemble plutôt qu’à l’encontre les uns des autres pour répondre aux besoins en matière de ressources humaines de la santé. Les restrictions sur le plan du financement empêchent souvent les médecins en SPA d’élaborer des modèles de soins tels que des services de consultation, des programmes de visites à domicile ou des modèles novateurs au sein de pratiques de soins complets.
Les médecins en pratique qui veulent parfaire leur formation en SPA doivent trouver des remplaçants et faire face à une réduction substantielle de leurs revenus durant cette formation. De plus, plusieurs provinces exigent des promesses de service post-formation pour avoir accès à certains postes. J’ai eu d’excellents candidats qui se sont privés de formation en SPA en raison des exigences de travail dans des régions mal desservies. C’est d’autant plus frustrant que les soins gériatriques sont eux-mêmes mal desservis dans la plupart des centres! L’Initiative pour le recrutement et l’éducation en gériatrie, une collaboration nationale multidisciplinaire parrainée par la SCG, travaille avec les organisations d’aînés pour faire des représentations auprès des gouvernements afin d’atténuer les obstacles à la formation additionnelle en SPA.
Réforme et collaboration
Partout au Canada, la réforme des soins primaires a eu des répercussions importantes sur les soins aux personnes âgées. Dans les modèles traditionnels de rémunération à l’acte, les patients gériatriques complexes ne se conforment pas au modèle d’un problème par visite, et des approches flexibles en matière de facturation peuvent aider à compenser les médecins de manière plus appropriée pour composer avec des problèmes compliqués. Les soins interdisciplinaires sont essentiels pour les aînés frêles, et l’accès à d’autres disciplines offre plus de services aux aînés sans qu’ils aient à consulter des services spécialisés avant que ce ne soit absolument nécessaire. Mes collègues ont indiqué que la réforme des soins primaires leur permet de pratiquer conformément à la formation qu’ils ont reçue: donner des soins complets et avoir des liens vers les ressources nécessaires.
De nombreuses équipes en santé familiale de l’Ontario ont collaboré avec des programmes spécialisés en gériatrie pour optimiser la promotion de la santé, le dépistage systématique et l’accès aux soins à domicile pour les aînés. Une collaboration productive est essentielle, mais elle est souvent entravée par des problèmes de communication, le manque de dossiers médicaux électroniques communs et une fragmentation des systèmes d’ordonnance. Même si la situation s’améliore, il reste beaucoup à faire pour l’intégration et la coordination des soins et la collaboration.
Voir au-delà des rides
Étant donné le vieillissement de la population et la hausse relativement faible du nombre de médecins de famille, nous devons faire mieux pour prévenir la santé fragile et les problèmes courants des personnes âgées. Il faudrait commencer bien avant l’âge « magique » de 65 ans. Les déterminants de la santé revêtent beaucoup d’importance dans un vieillissement en santé, et les médecins de famille peuvent intervenir en faisant la promotion de la santé et de la prévention. La promotion de modes de vie sains auprès des jeunes, des adultes et même des « jeunes vieux » influencera le vieillissement, et ce, des décennies plus tard. Elle pourrait éventuellement atténuer la morbidité, ce qui est le but caché des soins gériatriques. À moins de changer le processus du vieillissement chez les baby boomers, nous courons le risque d’être inondés - même avec un meilleur recrutement en médecine familiale et en SPA.
J’ai demandé à des collègues qui ont des pratiques de médecine familiale ciblées et complètes de quelles façons les soins aux aînés pourraient être améliorés. En très grande majorité, les commentaires portaient sur le fait de «voir au-delà des rides» et d’apprécier les interactions comme une partie toute spéciale des soins médicaux. Beaucoup ont insisté sur la bonne communication avec la famille. Le rôle de la famille en soins gériatriques est parfois considéré de manière négative, mais il est important et habituellement satisfaisant s’il est abordé avec tact. De bonnes habiletés en communication sont essentielles et amélioreront les résultats, tout en atténuant la frustration chez les familles et les patients. Mes collègues ont aussi souligné l’importance d’examiner la médication pour optimiser la santé et minimiser les maladies iatrogènes. Malgré les problèmes qu’ont les médecins de famille à faire le suivi de ce que prennent réellement leurs patients, ils sont bien placés pour réduire les maladies iatrogènes découlant des médicaments.
Quelques médecins de famille ayant un intérêt particulier ou une certification en SPA ont produit une série sur les soins gériatriques pour Le Médecin de famille canadien. Elle débute avec les articles présentés ce mois-ci (page 1115 et 1123)10,11 et a pour but de proposer des approches pratiques aux problèmes gériatriques courants. Lorsque je me suis mis à la recherche d’auteurs, personne n’a refusé sous prétexte d’autres engagements ou d’un manque d’intérêt, et tous se sont portés volontaires avec enthousiasme. Cet enthousiasme est notre plus grand espoir pour l’avenir des SPA. De plus en plus, les médecins prennent conscience de la nécessité d’optimiser leurs habiletés dans les soins aux personnes plus âgées, et il y a un bassin grandissant de médecins de famille qui ont la passion d’améliorer les soins sur les plans local, provincial et national, et d’agir comme chefs de file à divers niveaux. Cette passion émane des défis intellectuels que présentent les soins gériatriques, du plaisir de travailler en équipes et de la satisfaction à améliorer le fonctionnement ou la qualité de vie d’une personne plus âgée. Nous devons miser sur cette passion pour la gériatrie afin d’influencer les politiques et les cursus, et pour assurer que tous les médecins de famille fournissent les meilleurs soins possibles à leurs patients plus âgés.
Footnotes
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This article is also in English on page 1101.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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