Durant leur formation, les étudiants en médecine et les résidents rencontreront toutes sortes de patients et tous ne seront pas faciles d’approche. Certains seront dépendants, autodestructeurs, vagues ou feront fi des conseils. Chaque fois que nos apprenants verront ces patients, ils éprouveront leur propre gamme d’émotions, allant de la colère à la frustration en passant par l’incertitude. En tant qu’enseignants et cliniciens expérimentés, nous tenons souvent pour acquis que les patients peuvent être argumentatifs - parfois hostiles - et qu’une partie de notre travail est d’apprendre à transiger efficacement avec des patients « difficiles »1–3.
Le présent article a pour but de proposer un cadre d’enseignement aux apprenants en médecine à apprécier les patients difficiles qu’ils rencontrent en leur offrant des outils qui leur permettront non seulement de survivre à ces consultations, mais aussi de se développer grâce à elles.
Patient difficile ou rencontre difficile?
Le langage qu’utilisent les enseignants est très important. Étiqueter les patients de difficiles n’est pas particulièrement utile ou approprié dans la plupart des circonstances. Il est juste de dire qu’une rencontre avec un patient a été difficile ou qu’une série de circonstances de la vie a amené le patient à se comporter comme s’il était difficile, mais l’étiquette générale appliquée à une personne est souvent injuste.
L’un des messages-clés à transmettre aux apprenants est que l’attitude et le comportement à la fois du médecin et du patient, ainsi que les antécédents de vie récents et anciens du patient, influencent tous dans quelle mesure la rencontre sera difficile4. Voici des exemples de stratégies pédagogiques utiles que les médecins peuvent mettre en pratique quand les apprenants sont aux prises avec des rencontres difficiles avec un patient.
Récapitulation efficace
Il est essentiel de discuter des rencontres difficiles avec les apprenants pour les aider à comprendre qu’ils ne sont pas les seuls - tous les médecins font l’expérience de visites qui se déroulent mal. Comme dans toutes les interventions d’enseignement, le message a plus d’impact si la rétroaction est donnée dans l’immédiat et si l’apprenant a la possibilité d’une autoréflexion5. La description de cas ci-dessous illustre ce point:
Vous êtes précepteur et vous passez en revue un cas avec un résident en médecine familiale qui vient d’avoir une discussion animée avec le père d’une fillette de 5 ans. Le père exige d’avoir une demande de consultation auprès d’un dermatologue pour une démangeaison bénigne. Le résident a fait un diagnostic de dermatite atopique et a suggéré un traitement approprié pour ce problème. Même si des renseignements appropriés ont été donnés au père, ce dernier insiste que le résident fasse une demande de consultation avec un spécialiste de la peau. Le résident devient frustré et répond avec colère: « Comme médecin, mon rôle est aussi d’assurer que les ressources du système de santé ne soient pas gaspillées. Votre fille n’a pas besoin de consultation en dermatologie ». Le père de la patiente exige de parler au superviseur du résident.
Discussion
Pour une occasion d’enseignement efficace, il faut inciter le résident à explorer sa propre réaction émotionnelle à la rencontre. Par exemple, commencez la discussion en disant: « Cette rencontre a semblé difficile. Pouvez-vous me dire ce que vous ressentez en ce moment? » Le résident pourrait répondre en disant qu’il se sent en colère, frustré ou qu’on lui a manqué de respect. Si vous demandez au résident de réfléchir à ses émotions, il peut s’ensuivre une très riche discussion sur le contretransfert et vous pourrez suggérer des façons qui auraient permis à la rencontre de se conclure autrement.
Les étudiants en médecine et les résidents ne doivent pas se limiter à évaluer seulement le comportement du patient. Ils doivent aussi être capables de bien évaluer leur propre comportement et leurs émotions et de comprendre comment ces facteurs peuvent influencer l’issue des rencontres difficiles. Il est important que l’enseignant explique que, même s’il n’est pas nécessaire ni même à conseiller de réprimer ses émotions, si ces dernières sont exprimées devant le patient, on peut s’attendre à ce que la rencontre ne finisse pas bien. Dans le scénario en cause, il est essentiel de donner de la rétroaction sur le ton adopté par le résident avec le père, d’une manière directe sans toutefois être menaçante, afin de prévenir qu’une même situation se reproduise.
Enseigner aux apprenants à dire non plus efficacement
Dans bien des cas en pratique médicale, refuser ce que demande le patient est la bonne chose à faire. Apprendre à dire non de manière à ce que le patient sente qu’il participe encore à la décision rend les rencontres même les plus difficiles plus faciles à gérer. Dans le cas ci-dessus, comment l’apprenant aurait-il pu répondre différemment à l’exigence répétée d’une demande de consultation?
Discussion
Refuser immédiatement au père une demande de consultation ne fait certainement qu’augmenter sa frustration. L’apprenant devrait s’assurer de faire un bilan complet et un examen physique rigoureux avant d’en arriver à la décision de ne pas faire de demande de consultation.
Quand les patients essuient un refus avant même d’avoir eu la chance d’être écoutés, ils ont parfaitement le droit d’être mécontents et de partir avec le sentiment que le médecin n’a pas compris leur point de vue. Une réponse efficace au père exigeant dans ce cas aurait pu être la suivante: « Je comprends que vous soyez préoccupé par le problème de peau de votre fille et je le suis aussi. C’est pourquoi je suggère de faire un bon effort avec tous les traitements que j’ai suggérés aujourd’hui et de prendre un rendez-vous de suivi dans 2 semaines pour voir les progrès. Si le problème ne s’améliore pas, nous pourrons discuter alors d’une demande de consultation en dermatologie. »
Avec ce genre d’énoncé réflectif, l’apprenant en médecine a exprimé au père qu’il comprend ses préoccupations et que la demande de consultation est toujours une possibilité, même si elle n’est clairement pas appropriée au moment présent. En fait, l’apprenant a dit non d’une façon que ce patient auparavant « difficile » peut maintenant accepter.
Comprendre le patient
Pour que les apprenants comprennent à quoi sont attribuables certains comportements des patients, ils doivent prendre le temps d’interpréter chaque visite dans le contexte de la vie de la personne. Les patients difficiles ont souvent vécu une jeunesse difficile. Quand on connaît les événements marquants de sa vie (comme un divorce, avoir été victime de violence, le décès d’un ami, etc.), on a un meilleur aperçu de ce qu’est la personne en réalité et des raisons pour lesquelles elle a de la difficulté dans ses relations avec autrui, y compris son propre médecin. En voici un exemple:
Jesse est un homme de 45 ans atteint d’hépatite C qui a un problème de dépendance aux médicaments d’ordonnance. Il se présente avec une poussée aiguë de douleur au bas du dos. L’une de vos résidentes le voit aujourd’hui pour la première fois et la visite commence par une demande plutôt bourrue d’oxycodone. Il se fait persistant, condescendant et parle fort, mais votre résidente gère la situation très efficacement. Elle a appris à faire une anamnèse complète et fait un examen physique approprié avant de donner des conseils thérapeutiques. Elle a demandé au patient ce qui serait selon lui le meilleur traitement pour ses maux de dos et quelles ont été les stratégies utilisées par le passé. Elle se retient de dire non immédiatement, même si elle est presque certaine qu’en raison des antécédents de toxicomanie et de la nature de la blessure apparente de cet homme, on ne lui prescrira pas d’oxycodone aujourd’hui. Enfin, la résidente explique calmement et assurément que l’oxycodone n’est pas une thérapie efficace pour son problème actuel et suggère une série d’autres choix thérapeutiques appropriés. Le patient devient agité et insulte la résidente en disant: « Vous ne savez même pas de quoi vous parlez. Si vous aviez mal comme moi, vous seriez en train de supplier pour avoir de l’aide vous aussi! » Il se lève et sort en trombe du bureau.
En récapitulant le cas avec la résidente, vous voyez bien qu’elle est bouleversée. Elle explique qu’elle a tout fait pour prendre la bonne approche et, pourtant, l’issue a été négative. À son avis, le patient est un « chercheur de drogue qui n’était là que pour avoir des pilules » et elle ne veut plus le voir parce qu’on « ne peut rien faire pour l’aider ».
Discussion
Ce patient poserait un défi même au clinicien le plus expérimenté. La séance de récapitulation procure une excellente occasion pour raconter un peu plus l’histoire du patient ou mettre au défi la résidente d’essayer d’en savoir plus à son propos à la prochaine visite. L’apprenante doit apprendre, entre autres, à mieux comprendre de tels cas dans un contexte global. Qui est Jesse? Qui sont ses soutiens dans la vie? La résidente savait-elle qu’il avait été victime d’abus sexuels de la part d’un membre de sa famille quand il était enfant, qu’il n’avait jamais appris à lire ou à écrire, ou encore qu’il n’a pas contracté l’hépatite C en s’injectant des drogues illicites mais bien à la suite d’une transfusion de sang contaminé?
En comprenant mieux qui sont les gens en réalité et ce qu’ils ont vécu, les médecins n’excusent pas les comportements mauvais ou antagonistes, ils essaient plutôt de mieux les interpréter. En ce sens, il est bon de faire savoir aux apprenants que chaque rencontre difficile avec un patient est une opportunité, une possibilité de mieux comprendre la condition humaine, d’en apprendre plus sur la personne et de mieux déterminer comment l’aider.
Notes
CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT
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Les étudiants en médecine et les résidents peuvent acquérir d’excellentes compétences en pratique à la suite de rencontres difficiles avec des patients, en enrichissant leur expérience de la pratique, pourvu qu’ils apprennent comment gérer de telles situations de manière appropriée.
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On devrait inciter les apprenants à évaluer leurs propres émotions et comportements ainsi que ceux de leurs patients et à utiliser l’autoréflexion pour reconnaître comment leurs sentiments peuvent influencer l’issue des rencontres.
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Enseigner aux apprenants à dire non efficacement, sans clouer le bec du patient ou l’aliéner, est une stratégie importante pour désamorcer une rencontre difficile potentielle; il faut encourager les apprenants à faire une anamnèse et un examen physique complets avant de suggérer une autre solution que celle proposée par le patient pour lui montrer qu’on l’a bien écouté sans pour cela compromettre la décision du médecin.
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Il faudrait conseiller aux apprenants de chercher à connaître le contexte global du patient (p. ex. ses antécédents, son éducation, les facteurs qui ont mené à son problème et les événements marquants de sa vie) pour mieux prévoir et comprendre certains comportements et lui dispenser plus efficacement des soins.
TEACHING TIPS
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Medical students and residents can learn excellent practice skills from difficult patient encounters, enriching their practice experience, provided they learn to handle such situations appropriately.
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Learners should be challenged to evaluate their own emotions and behaviour as well as those of their patients, and use self-reflection to recognize how their feelings can affect patient encounter outcomes.
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Teaching learners to say no effectively, without silencing or alienating patients, is a key strategy in deflecting potential difficult encounters; encouraging learners to take a full history and physical examination before suggesting an alternative route to the one suggested by the patient is a way to show the patient he or she has been heard without compromising the physician’s decision.
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Learners should be advised to uncover the patient’s global context (eg, their background, their upbringing, factors leading to their condition, and any meaningful life events) in order to better predict and understand certain behaviour and more effectively provide care.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en insistant sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Allyn Walsh, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement à walsha{at}mcmaster.ca.
Footnotes
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This article is also in English on page 506.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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