Description du cas
Un homme de 37 ans se présente à l’urgence d’un hôpital régional se plaignant d’une raideur au cou, de ganglions enflés, d’anorexie, de fièvre et de trismus. Cinq jours auparavant, il a eu des signes précurseurs sous forme de céphalée, d’anorexie, de fièvre et de raideur dans les muscles paradorsaux du cou. La raideur au cou avait disparu avant qu’il vienne à l’hôpital. Il n’a pas de toux, mais il ne peut pas ouvrir complètement la mâchoire.
Il poursuit des études universitaires dans la région et dit ne pas avoir d’antécédents d’infections transmises sexuellement. Il n’a pas reçu tous ses vaccins quand il était enfant, en milieu rural albertain, mais il ne peut pas donner de renseignements plus précis à ce propos. Il n’a pas voyagé et n’a eu aucun contact avec des personnes infectées. Il n’y a pas d’éclosion connue d’oreillons ou de maladies causées par d’autres pathogènes au moment de sa consultation.
À l’examen, sa température est de 39,1°C et sa fréquence cardiaque, de 126 battements à la minute. Il a une enflure bilatérale évidente des glandes parotides (Figure 1) et une lymphadénopathie cervicale palpable; il ressent une sensibilité marquée des glandes parotides et sous-maxillaires et des ganglions lymphatiques cervicaux. Il n’y a pas d’exsudat aux amygdales ni de méningisme ou d’enflure génitale.
On amorce un traitement de soutien à l’acétaminophène et aux fluides intraveineux. Les résultats de la formule sanguine révèlent une lymphocytose. Quant aux résultats des tests de la fonction hépatique et des niveaux d’amylase, tout est normal et ceux du dépistage de la mononucléose infectieuse sont négatifs. Des écouvillons buccaux sont envoyés pour détection du virus des oreillons et des échantillons de sérum sanguin, pour une sérologie de dépistage de la présence d’anticorps contre les oreillons. Les résultats de l’amplification en chaîne par polymérase après transcription inverse (RT-PCR) n’indiquent pas la présence du virus ourlien, probablement en raison d’un mauvais écouvillonnage buccal ou d’une manipulation inadéquate du spécimen, ou encore du retard à le prélever. Les résultats de la sérologie sont positifs pour ce qui est de l’immunoglobuline (Ig), mais négatifs pour les anticorps IgM contre les oreillons. Un tel profil sérologique est plus probable chez une personne vaccinée ou antérieurement infectée, mais peut aussi se retrouver dans des cas aigus, à cause de la faible sensibilité des analyses d’IgM (variant de 25 % à 50 %).
Une tomodensitométrie par ordinateur de la tête et du cou montre une enflure diffuse et bilatérale des glandes parotides, avec de nombreux ganglions lymphatiques enflés (Figure 2). Il y a aussi une enflure bilatérale des glandes sous-maxillaires (Figure 3). Les ganglions lymphatiques sous-maxillaires et ceux de la chaîne jugulaire sont aussi enflés, surtout du côté droit. Les constatations de l’imagerie sont compatibles avec un diagnostic d’oreillons et d’autres possibilités aussi.
Oreillons: diagnostic difficile
Finalement, les analyses de laboratoire n’ont pas confirmé les oreillons dans ce cas; le diagnostic a été posé cliniquement. Ce cas ne se conforme pas aux critères nationaux d’un cas confirmé d’oreillons, mais il concorde avec ceux d’un cas probable (maladie clinique en l’absence d’une confirmation en laboratoire ou d’un lien épidémiologique établi avec un cas confirmé en laboratoire)1. Comme l’illustre ce cas, le diagnostic des oreillons, tant en clinique qu’en laboratoire, peut être difficile et poser des défis aux médecins de soins primaires. Heureusement, des lignes directrices pour le diagnostic en laboratoire des oreillons, publiées par l’Agence de la santé publique du Canada, procurent une certaine orientation2.
L’épreuve d’amplification par la polymérase après transcription inverse est un test fiable pour le diagnostic de certitude des oreillons; cependant, les résultats peuvent être influencés par le moment du prélèvement et le traitement des échantillons de salive qui, idéalement, devraient être effectués dans la région entourant le canal de Sténon, dans les 3 à 5 premiers jours suivant l’apparition des symptômes2. La présence d’anticorps de classe IgM spécifiques contre les oreillons a une faible utilité de prédiction diagnostique dans les cas aigus d’oreillons. Par conséquent, le RT-PCR et l’analyse des anticorps IgM ne suffisent pas pour écarter la possibilité d’un cas d’oreillons.
En ce qui a trait à notre patient, parce que ses antécédents de vaccination étaient incertains et que des cas et éclosions d’oreillons avaient été signalés récemment, les oreillons figuraient haut sur la liste des diagnostics différentiels. Parmi les autres maladies virales qu’il faudrait envisager comme diagnostics différentiels figurent le virus d’Epstein-Barr, le virus parainfluenza, l’influenza et le VIH. Les calculs, les troubles de l’alimentation, la malnutrition et des tumeurs peuvent aussi causer la parotidite.
On a discuté d’un diagnostic clinique provisoire d’oreillons avec le patient et on lui a conseillé de revenir dans 2 ou 3 jours pour un suivi. On a averti par téléphone les représentants de la santé publique et, par précaution, le patient a été avisé de ne pas aller à ses cours universitaires pendant 5 jours3. Lors du rendez-vous de suivi 2 jours plus tard, il ne faisait plus de fièvre et se sentait un peu mieux, quoique la parotidite soit encore présente. Quand il est revenu à nouveau 5 jours après, l’enflure des glandes parotides et salivaires avait commencé à baisser.
Présentation clinique et complications
Nous avons effectué une recherche documentaire à l’aide de MEDLINE en utilisant les mots-clés en anglais mumps, orchitis, meningoencephalitis, outbreak et vaccine pour préparer ce rapport de cas. Le site web de l’Agence de la santé publique du Canada a fourni des données sur de récentes éclosions au Canada4,5.
Au Ve siècle avant J.-C., Hippocrate décrivait une maladie qui comportait une enflure dans la région des oreilles et, parfois, des testicules4. Avant l’urbanisation généralisée, les oreillons, comme les autres maladies infectieuses, étaient fréquents chez les adultes dans les casernes, les pénitenciers, les orphelinats et d’autres milieux surpeuplés6. Au milieu du XXe siècle, les oreillons étaient une maladie infantile presque universelle dans les sociétés de plus en plus urbanisées.
Les oreillons sont causés par un paramyxovirus. La période médiane d’incubation est de 19 jours (variant entre 12 et 24 jours) et les patients sont contagieux de 7 jours avant jusqu’à 9 jours après l’apparition de la parotidite7. Étant donné la présence virale déclinante dans la salive pendant la durée de l’infection, ainsi que la conformité à des périodes d’isolement plus courtes, la durée d’exclusion de l’école ou du milieu de travail recommandée plus récemment se situe à 5 jours après l’apparition de la parotidite3.
La caractéristique clinique des oreillons est la parotidite, qui est bilatérale chez 70 % des patients. Une fois inhalé, le virus pénètre dans les voies respiratoires supérieures, se rend dans les ganglions lymphatiques environnants et se propage par voie hématologique vers les glandes parotides, salivaires et autres glandes épithélialisées8. L’inflammation des glandes salivaires peut causer un déplacement de l’angle de la mandibule ou un déplacement vers l’extérieur des oreilles et elle est habituellement douloureuse. La parotidite est souvent précédée d’un épisode avant-coureur de fièvre de faible intensité, de malaise, d’anorexie et de céphalée.
Les oreillons ne sont habituellement pas une maladie mortelle, et jusqu’à 30 % des infections ourliennes sont asymptomatiques. Par ailleurs, la maladie peut avoir des complications graves, comme la méningite aseptique, l’orchite, l’ovarite, la mastite, la pancréatite et la surdité. La méningite se produit dans jusqu’à 10 % des cas d’oreillons; elle est habituellement sous-clinique et résolutive. Les symptômes de la méningite reliée aux oreillons incluent de la fièvre, des maux de tête, des vomissements et une raideur au cou, qui atteignent leur apogée pendant une période de 48 heures avant de disparaître et qui peuvent faire leur apparition jusqu’à 1 semaine avant l’enflure des parotides9. Les symptômes neurologiques plus sérieux sont rares et causés par une encéphalite. La perte de l’ouïe à la suite d’une infection ourlienne est rare (1 cas par 2 000 à 30 000) et elle est habituellement de légère à modérée10.
L’orchite se produit de 4 à 8 jours après l’apparition de la parotidite et elle est une complication courante qui touche 20 % des hommes qui contractent les oreillons après la puberté11. De ce nombre, 40 % développeront une atrophie testiculaire et 30 % auront des changements durables dans la numération, la motilité et la morphologie des spermatozoïdes11.
Récentes éclosions des oreillons
Avant l’homologation et l’instauration du vaccin, les oreillons étaient une infection infantile généralisée. Les données de l’époque précédant la vaccination indiquent que 90 % des enfants avaient eu l’infection avant d’atteindre 14 ou 15 ans12. Durant les années 1950 au Canada, le nombre moyen de cas signalés chaque année atteignait 34 00013.
L’instauration du vaccin contre les oreillons dans les pays développés s’est traduite par une considérable réduction de l’incidence des infections ourliennes. À la suite de l’introduction du vaccin monovalent contre les oreillons, en 1969, le taux d’infection a immédiatement baissé. D’après l’âge de notre patient, il aurait probablement reçu une seule dose du vaccin contre les oreillons après sa naissance, en 1971.
Durant les années 1990, le Comité national consultatif de l’immunisation a adopté un régime de 2 doses du vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) comme mesure de contrôle de la rougeole, ce qui a amélioré encore plus l’efficacité du vaccin contre les oreillons. On comptait moins de 400 cas par année au début des années 1990 et, en 2004, on atteignait le plus petit nombre record de 32 cas signalés13. D’autres pays qui ont instauré un programme de 2 doses du vaccin ont connu une réduction de plus de 99 % des taux d’incidence des oreillons12. De nos jours, l’incidence des oreillons est devenue si faible que la plupart des jeunes médecins et étudiants en médecine canadiens n’ont jamais vu de cas - mais la situation pourrait changer.
En dépit de la réussite des vaccinations systématiques, on a connu une résurgence des infections ourliennes au cours de la dernière décennie, notamment des éclosions signalées au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis (Tableau 14,5,14–18). Les éclosions canadiennes ont été documentées en Colombie-Britannique (1997), au Québec (1998), en Alberta (2002) et en Nouvelle-Écosse (2005). En 2007, dans l’ensemble du pays, on a rapporté 1 284 cas d’oreillons, la plupart en Nouvelle-Écosse et en Alberta, et 37 autres cas additionnels au Canada durant le premier semestre de 20084,5.
Les éclosions au Canada ont touché principalement des adolescents et de jeunes adultes, en partie parce que ces personnes étaient trop jeunes pour avoir acquis une immunité naturelle à la suite d’une exposition durant leur jeunesse, mais trop vieux pour avoir bénéficié des 2 doses de vaccin ROR.
L’éclosion au Royaume-Uni impliquait surtout des personnes non vaccinées en Angleterre et au pays de Galles, et elle a atteint son sommet en 2005, avec 56 390 rapportés17. Les États-Unis, durant une éclosion en 2006 touchant 8 États du Centre-Ouest, ont signalé 6 584 cas d’oreillons, surtout chez de jeunes adultes d’âge universitaire, entre 18 et 24 ans, y compris des personnes qui avaient reçu 2 doses du vaccin contre les oreillons18. L’éclosion au Royaume-Uni était prolongée, tandis que celles qui se sont produites aux États-Unis et au Canada étaient régionales et se sont résorbées d’elles-mêmes. L’incidence élevée des oreillons en 2007 et 2008 au Canada laisse toutefois présager une vulnérabilité grandissante probable dans la population.
Facteurs à envisager dans des programmes de vaccination
La question la plus évidente et la plus importante du point de vue d’un programme d’immunisation est de savoir si une dose additionnelle du vaccin contre les oreillons est maintenant nécessaire pour contrôler cette maladie. Selon les données de la surveillance postérieure à la mise en marché, le vaccin est efficace à 90 % après 2 doses; par contre, le niveau de protection qui existe actuellement dans divers segments de la population n’a pas été quantifié19. Un grand nombre des enfants plus âgés ont reçu une deuxième dose du vaccin contre la rougeole durant les années 1990 dans le cadre d’un programme de «rattrapage» pour contrôler les éclosions de rougeole; la deuxième dose était sous forme de vaccin monovalent contre la rougeole sans composante contre les oreillons. Ces personnes doivent se fier à la seule dose du vaccin ROR administrée durant leur jeunesse pour les protéger contre les oreillons le reste de leur vie.
Le patient décrit dans le présent rapport de cas pourrait n’avoir jamais reçu de vaccin (un cas potentiellement évitable) ou encore il serait un exemple de l’échec du vaccin à la suite d’une seule dose, présumant que les oreillons étaient bel et bien le bon diagnostic. Pour régler la deuxième situation, il serait utile de savoir si des doses additionnelles du vaccin sont nécessaires, comme ce fut le cas avec la rougeole.
Les éclosions qui se sont produites au Canada sont probablement le fait de l’échec primaire du vaccin contre les oreillons (étant donné la vulnérabilité des vaccins à virus vivant à une rupture dans la chaîne du froid) et aussi peut-être d’un échec secondaire en raison d’une immunité fléchissante, puisqu’on n’a pas offert de dose de rappel. Il pourrait être possible de connaître le niveau actuel de protection dans la population au moyen d’une recherche sérologique. Quoiqu’elle soit imparfaite, puisqu’un certain nombre de personnes aux États-Unis infectées durant les éclosions avaient reçu 2 doses du vaccin et avaient des anticorps IgG (un indicateur de protection à long terme)19, cette approche permettrait de comparer plus précisément le niveau de susceptibilité dans ces populations et donnerait une indication plus claire de la nécessité éventuelle d’une deuxième dose du vaccin pour prévenir de futures éclosions.
À défaut d’avoir de tels renseignements, on ne peut que supposer la susceptibilité de la population en se fondant sur la survenance d’éclosions de temps à autres. Jusqu’à présent au Canada, même quand des éclosions d’oreillons surviennent, elles touchent bien moins de gens par rapport aux flambées considérables de rougeole des années 1990. Par ailleurs, sans données sur la susceptibilité, la recommandation d’une dose additionnelle devient simplement une décision de politique en fonction du degré de dérangement causé par les éclosions actuelles d’oreillons. Les décideurs devraient tenir compte des inconvénients causés par les mesures de quarantaine utilisées pour contrôler les éclosions plutôt que de se baser uniquement sur les faits scientifiques publiés. L’Ontario a pris une telle décision et donne une seconde dose du vaccin ROR à tous les étudiants des milieux postsecondaires depuis le début de 200920.
Il importe d’assurer que les programmes de vaccination s’appuient sur des données scientifiques. Il est clair qu’il faut plus de recherche centrée sur les programmes pour fournir les données nécessaires à des décisions véritablement fondées sur les faits. Le Québec est devenu un chef de file dans ce domaine, et la Colombie-Britannique et l’Ontario suivent le pas. D’autres provinces doivent aussi devenir des partenaires enthousiastes dans la recherche sérologique, de manière à ce que les décisions sur les programmes d’immunisation reposent sur les vrais niveaux de susceptibilité et de risque dans la population.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
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Les oreillons sont difficiles à diagnostiquer en soins primaires; de plus, de nombreux professionnels de la santé n’ont jamais rencontré de cas, en raison du succès des programmes de vaccination entrepris au milieu du XXe siècle.
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Les médecins de famille devraient se familiariser avec les indices cliniques et les résultats de laboratoire signalant les cas d’oreillons, puisqu’il y a eu plusieurs éclosions de la maladie au cours des dernières années.
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Les éclosions au Canada pourraient être attribuables à l’échec primaire des vaccins contre les oreillons ou à l’échec secondaire dû à l’immunité fléchissante dans la population. Il faudrait d’autres projets de recherche sérologique et de recherche axée sur les programmes pour déterminer le degré actuel de protection dans la population et pour savoir si une seconde dose du vaccin est nécessaire pour prévenir de futures éclosions.
EDITOR’S KEY POINTS
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Mumps is a challenging disease to diagnose in primary care; moreover, many health care providers have never encountered a case owing to successful immunization programs in the latter half of the 20th century.
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Family physicians should familiarize themselves with the clinical and laboratory indications of mumps, as there have been several outbreaks of the disease in Canada over the past few years.
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The outbreaks in Canada might be a result of primary mumps vaccine failure or secondary failure due to waning immunity in the population. Further serologic and program-based research is required to establish the current level of protection in the population and to determine whether a second dose of vaccine is necessary to prevent future outbreaks.
Footnotes
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Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien de Mainpro.
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This article is in English on page 786.
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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Intérêts concurrents
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