Nous avons des préoccupations concernant l’importance clinique des recommandations et des données scientifiques en faveur de l’utilisation des inhalateurs combinant des β-agonistes à longue durée d’action (BALA) et des corticostéroïdes inhalés (CSI) présentées dans les directives de la Société canadienne de thoracologie pour la prise en charge de la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC)1:
[O]n a établi un lien entre la réduction du nombre de cellules inflammatoires clés et de certains marqueurs d’inflammation des voies aériennes dans des biopsies de la muqueuse de patients atteints de MPOC traités avec la combinaison SAML/FP [salmétérol-fluticasone] comparativement à un placebo1.
Si la «justification biologique» d’utiliser des inhalateurs combinés BALA-CSI permet peut-être de comprendre un mécanisme d’action possible, une réduction dans le résultat final secondaire, soit l’inflammation des muqueuses, pourrait être d’une importance clinique minimale. Quoique tous s’entendent pour dire que l’état clinique se détériore à mesure qu’augmente l’inflammation des voies aériennes, nous devons nous poser la question suivante: cette réduction de l’inflammation des muqueuses avec l’utilisation d’inhalateurs combinant des BALA et des SCI entraîne-t-elle une amélioration de l’état clinique? Autrement dit, la relation fonctionnet-elle à l’inverse? Le manque de validation et de corrélation de ce marqueur auxiliaire avec des résultats cliniques définitifs pertinents, comme la fréquence des exacerbations ou la mortalité, devrait être mis en évidence et discuté plutôt que d’être fourni comme fondement de la prise de décisions cliniques.
Cela nous amène à notre deuxième commentaire concernant la fréquence des exacerbations et l’état de santé, qui se base sur l’extrait suivant des directives concernant l’étude TORCH (Towards a Revolution in COPD Health)2:
Ce qui s’avère encore plus important: le traitement à la combinaison SALM/FP a réduit la fréquence des exacerbations sur le plan statistique, amélioré la fonction pulmonaire et l’état de santé comparativement aux sujets qui ont reçu le SALM et le FP seuls1.
L’étude TORCH comparait un traitement combiné BALA-CSI avec un placebo et des CSI ou des BALA seuls. Dans cette étude, de 34 % à 44 % des participants randomisés se sont retirés de l’étude et seules les exacerbations de ceux qui sont restés ont été comptées2,3. Les participants se sont retirés des divers groupes dans des proportions différentes (et pour différents motifs)2,3. Par conséquent, on ne peut pas présumer que les groupes de sujets selon le traitement étaient équilibrés, car on a seulement tenu compte des participants qui ont continué à participer. Ainsi, les différences dans les taux d’exacerbations entre les groupes ne peuvent pas être attribuées uniquement aux différences dans le traitement alloué; ces variations pourraient plutôt être le résultat de facteurs confusionnels.
Importance clinique par rapport à statistique
Les lecteurs doivent interpréter avec prudence les taux annualisés d’exacerbations et les réductions subséquentes3. Dans l’étude TORCH, les taux annualisés d’exacerbations au point de repère était d’environ 1 par année2. Après le traitement, les patients ayant reçu seulement des BALA avaient un taux de 0,97 par année et les patients traités aux BALA-CSI avaient un taux de 0,85 par année2. L’importance clinique d’une réduction statistique de 0,12 exacerbation par année est douteuse. Cela veut-il dire qu’il faut traiter un patient pendant 8 ans avec une thérapie combinée BALA-CSI pour prévenir une seule exacerbation additionnelle par comparaison avec des BALA seulement? Ce résultat est rapporté comme ayant un réduction du risque relatif de 12 % dans une récente étude par Cochrane, ce qui est trompeur2,3.
Nous nous préoccupons aussi de l’insistance dans les directives voulant qu’il y ait un bienfait clinique associé avec la thérapie combinant des BALA-CSI par rapport aux BALA seuls en ce qui concerne l’état de santé. Nannini et collaborateurs signalent une amélioration selon les résultats du St George’s Respiratory Questionnaire (SGRQ) de −1,64 point (intervalle de confiance à 95 % −2,28 à −1) dans 4 études (N = 4 700)3–5. Par ailleurs, on estime que la différence minimale cliniquement importante dans le SGRQ est d’au moins 4 points5. Selon nous, les cliniciens doivent être avertis du fait que bien que les études aient pu montrer une amélioration statistique dans les résultats du SGRQ avec la thérapie combinée aux BALA-CSI, cette différence pourrait ne pas être perceptible sur le plan clinique. Une fois de plus, étant donné les taux différentiels de retrait, les différences statistiques dans les résultats de SGRQ (état de santé) pourraient être attribuables à des facteurs confusionnels et ne pas être reliés à l’intervention. De plus, même s’il y a une différence statistique dans les résultats au SGRQ entre les patients recevant une thérapie combinant des BALA-CSI et ceux traités aux BALA seulement, les données probantes sont insuffisantes pour appuyer un changement cliniquement important dans l’état de santé3.
Une synthèse critique par Cochrane3 met en évidence la contribution de l’étude TORCH et d’une étude antérieure, TRISTAN (TRial of Inhaled STeroids ANd long-acting β2 agonists)4, qui a produit des résultats semblables à ceux de l’étude TORCH, à l’ensemble des données scientifiques en faveur de l’utilisation des inhalateurs combinant les BALA-CSI chez les patients atteints de MPOC. Ces études représentaient 70 % de la pondération totale des 5 études incluses concernant les résultats en matière de fréquence des exacerbations et d’état de santé2–4. Par conséquent, nous devrions examiner avec une attention rigoureuse les résultats et l’analyse par les auteurs des résultats utilisés dans ces études en particulier.
Les directives1 énoncent ce qui suit concernant le recours à la thérapie BALA-CSI en combinaison avec du tiotropium6:
Chez les patients qui ont une MPOC variant de modérée à sévère, des symptômes persistants et des antécédents d’exacerbations… on recommande une combinaison tiotropium plus BALA avec un produit thérapeutique CSI… pour améliorer la bronchodilation et la déflation pulmonaire, réduire la fréquence et la gravité des exacerbations et améliorer l’état de santé des patients1.
Nous présumons que les données tirées de l’étude Optimal6 servent de fondement aux recommandations de ces directives. L’étude Optimal se penchait sur l’ajout d’une thérapie combinant des BALA-CSI, des BALA ou un placebo à des patients qui recevaient du tiotropium6. Les auteurs ont conclu que l’ajout d’une thérapie au fluticasone-salmétérol à un traitement au tiotropium n’a pas influencé statistiquement les taux d’exacerbations de la MPOC, mais a amélioré la fonction pulmonaire, la qualité de vie et les taux d’hospitalisation chez les patients atteints d’une MPOC de modérée à sévère6.
Les problèmes expliqués précédemment concernant les différences dans l’importance clinique par rapport à l’importance statistique, ainsi que l’absence de prise en compte des résultats chez les patients qui se sont retirés de l’étude, s’appliquent aussi à l’interprétation de l’étude Optimal. La recommandation des directives ci-haut est incorrecte, parce que l’étude Optimal n’a pas démontré de différence significative dans la fréquence et la sévérité des exacerbations entre tous les groupes de traitement6. De plus, il semble que la thérapie combinant des BALA-CSI au tiotropium améliore plus l’état de santé que le placebo avec le tiotropium (−4,1 points dans le SGRQ)6. Par contre, cette analyse est difficile à interpréter étant donné le nombre de patients qui n’ont pas été évalués en fonction de ce résultat à la 52e semaine, les lacunes au chapitre des intervalles de confiance entourant le changement dans les points obtenus au SGRQ dans chaque groupe de traitement et le fait qu’il ne semblait pas y avoir de différence cliniquement importante quand on comparait tous les autres groupes de traitement4.
Conclusion finale
Les guides de pratique clinique sont une ressource essentielle pour les cliniciens de première ligne. Par contre, pour que les recommandations «décisives» des directives aient un effet positif sur les soins aux patients, nous devons faire en sorte que ces recommandations reposent sur des différences significatives sur le plan clinique plutôt que statistique dans les résultats.
Footnotes
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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This article is also in English on page 149.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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