Le décès de Libby Zion en 1989 a déclenché un débat controversé au sein du monde médical concernant les règlements s'appliquant aux heures de travail des résidents. Dans l'opinion publique, cet incident marquant a été attribué à l'épuisement d'un résident. Par conséquent, en 2003, le Accreditation Council for Graduate Medical Education (ACGME) a mis en œuvre un horaire restreint des services de garde des résidents dans l'ensemble des États-Unis. Ces règlements interdisent aux internes de travailler plus de 16 heures consécutives à l'hôpital. Par ailleurs, les résidents plus seniors n'ont pas à se conformer à de telles restrictions, pourvu qu'ils ne travaillent pas plus de 80 heures par semaine selon une moyenne étalée sur un mois. À la suite d'un grief déposé par un résident de l'Université McGill en 2007, le gouvernement du Québec a décrété que le service de garde de 24 heures à l'hôpital constituait une violation de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, avec les meilleures des intentions et une interprétation essentiellement erronée des données factuelles, le Québec a rendu illégal pour tous les résidents de toutes les spécialités à compter de 2012 de faire des gardes de 24 heures à l'hôpital.
Après des périodes prolongées sans sommeil, un déclin précipité peut être observé dans la qualité du rendement et des tâches cognitives des médecins1. Ce sont ces observations qui ont donné l'élan à de plus grandes restrictions sur les heures de travail. Quoiqu'il en soit, les systèmes hospitaliers efficaces sont remplis de professionnels rigoureusement formés et hautement compétents. Ces experts et les systèmes de gestion du risque qu'ils mettent en œuvre déterminent les issues chez les patients, tandis que les stagiaires à titre individuel, ce que sont les résidents, ne le font pas2.Les effets néfastes de la fatigue des médecins sont réels et on doit transiger avec eux dans le contexte global des besoins de nos patients. Cependant, ceci ne devrait pas nous empêcher de former les médecins et les chirurgiens les plus compétents, les plus dévoués et les plus professionnels qui soient.
Examen des données probantes
Les directives de la ACGME sont implantées depuis près d'une décennie et la foule de données probantes obtenues aux États-Unis n'ont pas réussi à démontrer une amélioration dans la sécurité des patients depuis leur mise en œuvre. Une étude publiée dans JAMA en 2009 examinait les résultats de plus de 200 000 interventions chirurgicales et en obstétrique. Les auteurs ont ensuite comparé le taux de complications dans les interventions effectuées entre minuit et 6 h du matin avec celui des interventions faites le jour. Ils ont été incapables de démontrer des différences dans le taux de complications durant le jour et la nuit. Pareillement, la durée du temps en service, définie comme étant de plus de 12 heures par rapport à moins de 12 heures, n'était pas en corrélation avec le degré de complications3. Dans la même veine, Shetty et Bhattacharya n'ont constaté absolument aucun changement dans la mortalité ou le risque relatif de décès chez 243 000 patients en chirurgie après l'instauration des restrictions dans les heures de travail4. Une méta-analyse par Jamal et ses collaborateurs passait en revue 20 études de grande qualité examinant les effets de la restriction des heures de travail avant et après sa mise en œuvre, entre 2000 et 2009. Dans ce cas aussi, les auteurs n'ont cerné aucune amélioration dans les issues chez bien au-delà de 700 000 patients5. Collectivement, ces données ne corroborent pas la conclusion que la réduction des heures de service de garde par les résidents a un effet positif sur la sécurité des patients.
Dr Bates, professeur à Harvard et expert en faute médicale, a été cité comme ayant qualifié les résultats de ces études de décevants5. Cependant, la conclusion que la restriction des heures de travail des résidents n'a pas de corrélation avec de meilleurs résultats chez les patients n'est ni surprenante, ni inquiétante. De fait, elle indique la robustesse et les nombreuses contre-vérifications qui existent dans les systèmes de santé. Dans le contexte d'une supervision appropriée et d'un système hospitalier efficace, une erreur commise par un résident, quelle que soit la cause, ne devrait pas avoir d'effets sur les résultats de nos patients2. Les études qui font une équivalence entre le rendement d'un résident après un service de garde à celui avec un taux d'alcool sanguin de 10 mg par 100 ml, sont à tout le moins alarmistes7. De plus, elles omettent de prendre en considération le but ultime de la résidence. En chirurgie générale, ce but est de former un chirurgien compétent, sécuritaire et autonome dans un délai de 5 ans. La résidence représente la seule possibilité d'apprendre dans un milieu supervisé et il n'existe pas de substitut à l'apprentissage au chevet des patients.
L'élimination de la garde de 24 heures a été mise en œuvre de manière uniforme sans tenir compte des besoins de chaque spécialité. En chirurgie générale, une heure passée à travailler à 14 h est dramatiquement différente d'une heure passée à 2 h et, fréquemment, le continuum complet des soins peut prendre jusqu'à 36 heures. Les résidents n'ont pas eu d'autres choix que de se plier à des horaires stricts et inflexibles, les forçant à abandonner leurs patients durant des rencontres cliniques, nuisant en définitive à leur autonomie et à leur sens du devoir. Ces arguments ont tous 2 été cités comme des facteurs importants motivant des infractions aux restrictions imposées aux heures de travail aux États-Unis8.
Changement réel
L'atténuation des effets nuisibles de la fatigue des médecins est une tâche louable et nécessaire. Par contre, l'application universelle de règles rigides et simplistes à des modèles de formation qui ne sont peut-être pas capables de s'adapter si rapidement va à l'encontre des intérêts de nos patients. En chirurgie générale, le nombre de transferts des soins est passé de 1 à 3 par jour. Le transfert des soins représente effectivement une période critique pendant laquelle des erreurs sont commises et, même si ces erreurs peuvent être réduites grâce à des procédures de transfert standardisées, un établissement doit avoir assez de temps pour les mettre en œuvre9. D'autre part, les dossiers électroniques sur la médication et la santé peuvent réduire les erreurs de médicaments associées à la fatigue, un point important soulevé par Landrigan et ses collègues10. Mais ces changements peuvent être implantés conceptuellement bien plus rapidement et facilement que des changements de culture. En définitive, il importe d'adopter une approche fondée sur des données probantes à la fatigue des médecins. Par ailleurs, il faut le faire en fonction des besoins de chaque spécialité et faire un juste équilibre entre la formation des résidents et leur bien-être. Au Québec, cet équilibre a été brisé. Le pendule est allé trop loin et la formation des chirurgiens a été compromise par des règles sans vision et inflexibles.
Notes
CONCLUSIONS FINALES
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Les restrictions imposées aux heures de travail des résidents sont implantées depuis près d’une décennie aux États-Unis et une foule de données probantes n’ont pas réussi à démontrer qu’elles amélioraient la sécurité des patients. Si le but des réductions des heures de travail des résidents était de rehausser la sécurité des patients, elles ont échoué. Les systèmes de santé sont complexes et comportent de nombreuses mesures de contrevérification. Il est donc improbable qu’une simple modification aux heures de travail des résidents change substantiellement la façon dont les soins de santé sont dispensés dans leur ensemble. D’autre part, cette modification a des effets considérables sur la formation des résidents.
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Les effets nuisibles de la fatigue des médecins sont réels et doivent être abordés au moyen de changements dans les hôpitaux à l’échelle du système qui visent à atténuer le potentiel de préjudices aux patients. Parmi eux, sans s’y limiter, figurent les dossiers médicaux électroniques et la surveillance électronique des prescriptions. Par ailleurs, ces modifications doivent tenir compte de l’importance de former des médecins et des chirurgiens compétents, dévoués et professionnels.
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Les exigences de la formation varient d’une spécialité à l’autre. Le but de la résidence est de former des médecins et des chirurgiens compétents, autonomes et sécuritaires. Certaines spécialités dispensent des soins imminents à des patients dont les problèmes surviennent de manière imprévisible sans égard à la durée des quarts de travail ou aux heures du jour. Les résidents diplômés doivent pouvoir offrir des soins imminents susceptibles de sauver la vie en fonction des besoins de leurs patients et leur formation doit prendre en considération cette réalité. Avec les restrictions au service de garde, les résidents n’ont pas d’autre choix que de se conformer à des horaires stricts et inflexibles qui ne reflètent peut-être pas la réalité de leur future pratique. Ils sont, par conséquent, forcés d’abandonner leurs patients durant des rencontres cliniques et, en définitive, de nuire à la qualité des soins qu’ils dispensent, à leur éducation et à leur sens du devoir.
Footnotes
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Intérêts concurrents: Aucun déclaré
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Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans des réfutations accessibles à www.cfp.ca. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses à www.cfp.ca.
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