C’est un cas que les médecins de famille tout autant que les allergologues voient sans cesse. Une nouvelle maman veut prévenir les allergies alimentaires chez son bébé et demande «Quand devrais-je commencer à lui donner des aliments solides? Y a-t-il des aliments à éviter pour prévenir des allergies chez mon enfant?» Nous prenons une grande respiration et nous commençons la conversation.
La prévalence des maladies d’origine allergique augmente dramatiquement dans le monde occidental, nous incitant à nous concentrer plus sur la prévention que sur le traitement. L’hypothèse de l’hygiène nous a menés à divers cheminements dans la façon d’envisager la prévention des maladies atopiques, allant de la «saleté» avec l’exposition aux endotoxines jusqu’au rôle de notre propre microflore intestinale. Étant donné que les intestins sont un organe ayant une charge antigénique importante, on pourrait facilement conclure que l’âge où l’enfant est exposé aux aliments doit jouer un rôle dans la prévention des allergies ou la prédisposition à cette affection.
On a posé antérieurement l’hypothèse que le début précoce d’une alimentation solide pouvait accroître le risque d’allergies en raison de l’immaturité immunitaire et de la perméabilité intestinale durant l’enfance1. En 2003, la American Academy of Pediatrics (AAP) a publié une déclaration sur la prévention des allergies alimentaires chez les enfants, qui recommandait de retarder la consommation de lait de vache jusqu’à ce que l’enfant ait 1 an, des œufs jusqu’à l’âge de 2 ans et des arachides, des noix et du poisson jusqu’à 3 ans2. Cette recommandation se fondait sur 2 études antérieures, y compris 1 démontrant un risque accru de maladies atopiques si l’alimentation solide commençait à 3 au lieu de 6 mois3 et 1 autre qui faisait état d’une corrélation entre la diversité de l’alimentation avant l’âge de 4 mois et le risque d’eczéma4. En 2006, le American College of Allergy, Asthma and Immunology a emboîté le pas5. Après avoir examiné 52 études, ce collège a conclu que l’alimentation solide en très bas âge pourrait augmenter le risque d’allergies alimentaires et a convenu avec les recommandations de la AAP qu’il fallait retarder le moment de commencer certains aliments pour les enfants à risque. D’autres études ont appuyé ces recommandations, y compris 1 qui faisait valoir un risque plus élevé d’eczéma chez les enfants prématurés de parents ne souffrant pas de maladies atopiques s’ils prenaient des aliments solides avant l’âge de 10 semaines (après terme)6.
Les temps changent
Une étude rétrospective à partir d’une base de données sur tous les enfants nés en 1995 au Manitoba n’a relevé aucune augmentation du risque d’allergies alimentaires chez les enfants prématurés ou à faible poids à la naissance, laissant entendre que l’immaturité du tractus gastro-intestinal et du système immunitaire n’augmente pas le risque d’allergies alimentaires7. Cette étude, publiée en 2007, se penchait sur la question de savoir s’il est possible qu’une exposition précoce aux aliments puisse avoir des facultés de protection (p. ex. une plus grande tolérance aux aliments et la prévention des allergies alimentaires). En 2008, on a remarqué que la prévalence des allergies aux arachides en Israël (où on commence tôt à les introduire dans l’alimentation et où on en consomme plus fréquemment) était du dixième du taux observé au Royaume-Uni (où elles sont introduites plus tard et mangées moins souvent)8. Deux ans plus tôt, une autre étude faisait valoir que les enfants exposés aux céréales avant l’âge de 6 mois avaient un taux de prévalence plus bas d’allergie au blé que les enfants explosés plus tard9. Des études semblables en 2010 ont révélé que l’introduction précoce des œufs (à l’âge de 4 à 6 mois) était associée à une plus faible prévalence d’allergie aux œufs qu’un début plus tardif de cette pratique10 et que l’exposition précoce au lait de vache (durant les 2 premières semaines de vie par rapport à la fourchette d’âges de 105 à 194 jours) avait des effets protecteurs contre les allergies au lait de vache11. Une grande étude prospective d’une cohorte de plus de 2 500 nouveau-nés aux Pays-Bas a été analysée et les résultats ont démontré qu’une introduction tardive d’aliments était associée à de l’eczéma et à de l’atopie à l’âge de 2 ans12.
Ces études font valoir que l’introduction précoce de certains aliments pourrait en réalité avoir des effets protecteurs. Alors, ensuite, les lignes directrices ont changé. En 2008, la AAP a publié de nouvelles directives disant qu’il n’y a actuellement pas de données probantes à l’effet que le report de l’alimentation solide (y compris le poisson, les œufs et les arachides) au-delà de 4 à 6 mois ait des effets protecteurs contre les maladies atopiques13. De nouvelles lignes directrices publiées en 2010 par le National Institute of Allergy and Infectious Diseases sont en accord avec cette opinion et indiquent qu’il n’est pas nécessaire de retarder l’introduction d’aliments solides au-delà de 4 à 6 mois14. Toutefois, les données demeurent insuffisantes pour démonter de manière définitive que l’introduction précoce préviendra les allergies.
Le moment choisi importe-t-il?
Vous êtes confus? Nous aussi. Et nos patients le sont également. Sur le plan pratique, il semble que le moment choisi pour commencer à donner certains aliments pourrait avoir de l’importance. Il n’est pas clair pour quelles raisons les publications antérieures démontraient que de retarder l’alimentation solide pourrait avoir des effets de protection. L’aliment, la quantité, la fréquence, l’âge de la première exposition et les antécédents héréditaires de l’enfant pourraient aussi exercer des rôles importants. Et nous n’avons pas encore toutes les réponses.
À l’heure actuelle, il semble qu’il n’y ait qu’un seul cas où le report à plus tard de commencer des aliments solides soit recommandé. Chez les enfants dont les frères ou les sœurs plus âgés ont une allergie aux arachides, il y a presque 7 fois plus de risque qu’ils soient eux aussi allergiques aux arachides15. Dans une telle situation, nous préconisons un test cutané d’allergie avant que les parents envisagent de commencer à leur donner des arachides.
Si un enfant a une allergie alimentaire, il convient de signaler que des projets de recherche sont en cours pour trouver une «cure» à l’allergie (ou rendre l’enfant tolérant à cet aliment). Les études actuelles se concentrent sur l’immunothérapie par voie orale, les vaccins aux peptides alimentaires, les herbes médicinales et la thérapie à la cytokine16.
À la clinique, nous répondons habituellement aux questions des mères en leur donnant des conseils simples. L’allaitement maternel en début de vie est bon parce qu’il procure tant de nombreux bienfaits aux enfants (quoique nous ne puissions pas dire qu’il réduit le risque d’allergies). Chaque enfant est unique et les données scientifiques demeurent imprécises quant au moment propice pour commencer l’alimentation solide. Par conséquent, l’introduction d’aliments solides devrait être faite au cas par cas, en consultation avec un médecin.
Footnotes
-
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
-
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2013 issue on page 721.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
-
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada