L’otite moyenne (OM) compte parmi les raisons les plus fréquentes de consulter un médecin de famille ou d’aller à l’urgence pour les enfants, ce qui coûte plus de 3 milliards de dollars chaque année aux États-Unis1,2. La plupart des enfants (de 50 % à 85 %) auront eu un épisode d’otite moyenne aiguë (OMA) avant l’âge de 3 ans3. Entre 2008 et 2009 seulement, on estime que 50 % des enfants canadiens de 2 à 3 ans avaient eu au moins 1 infection d’oreille4.
L’otite moyenne aiguë et l’otite moyenne avec épanchement (OME) sont 2 entités distinctes3. Malgré que ce soit un problème courant, on a constaté dans une étude auprès de 165 cliniciens qu’il y avait 147 différentes définitions cliniques décrivant l’OMA5. L’otite aiguë peut se définir par 3 composantes: une apparition soudaine (en moins de 48 heures), la présence de liquide dans l’oreille moyenne et des caractéristiques cliniques comme l’otalgie, la fièvre et la rougeur de la membrane du tympan5. La meilleure procédure diagnostique est l’otoscopie pneumatique6. L’otite moyenne avec épanchement est la présence de liquide dans l’oreille moyenne en l’absence d’inflammation aiguë5 et peut précipiter ou suivre une OMA; par contre, il importe de faire la distinction entre les 2 parce que leur traitement varie considérablement7.
Antihistaminiques et décongestionnants dans les cas d’OM
La pathogenèse de l’OM, quoiqu’elle ne soit pas bien comprise, est multifactorielle et implique le système immunitaire de l’hôte (adaptatif et inné), ainsi qu’une dysfonction de la trompe d’Eustache (TE), des facteurs environnementaux et une charge microbienne (bactérienne et virale)3.
Tant les virus que les bactéries peuvent produire des histamines, comme il a été démontré dans une étude portant sur 677 spécimens de liquide prélevé dans l’oreille moyenne de 248 enfants âgés de 2 mois à 7 ans8. Par conséquent, les antihistaminiques pourraient avoir un rôle dans la réduction de l’inflammation et, de ce fait, le potentiel de raccourcir la durée de l’OM. Le récepteur de type 1 en particulier a été associé à une inflammation allergique9. On croit aussi que les décongestionnants réduisent l’enflure de la membrane muqueuse par une vasoconstriction secondaire à leur action sur les récepteurs adrénergiques6.
On a étudié 3 interventions pour évaluer le rôle des antihistaminiques et des décongestionnants dans les cas d’OM: un décongestionnant seul, un antihistaminique seul et une combinaison de décongestionnant et d’antihistaminique.
Décongestionnant seul
On a étudié différentes doses et préparations pour cerner les effets des décongestionnants. Dans une étude américaine auprès de 196 enfants, chez environ les trois quarts des patients qui ont reçu de la pseudoéphédrine (34 sur 45) et chez les trois quarts des patients qui ont pris un placebo (36 sur 40), l’inflammation de la membrane du tympan s’est résorbée10. Dans une plus récente revue systématique Cochrane sur l’OME, comportant 16 études randomisées contrôlées (ERC), les groupes qui recevaient des décongestionnants seuls avait un risque relatif (RR) de 1,06 (IC à 95 % de 0,92 à 1,22) par rapport au placebo quant à la disparition des signes et des symptômes de l’OME dans un délai de 1 mois6, ayant pour conclusion l’absence de bienfaits.
Antihistaminique seul
La plupart des études jusqu’à présent portaient sur des antihistaminiques de première génération2,11,12. Dans une ERC au cours de laquelle 179 enfants souffrant d’une OMA et âgés entre 3 mois et 6 ans étaient traités avec de la ceftriaxone, l’échec du traitement (la nécessité de recourir à une thérapie aux antibiotiques au cours des 2 premières semaines) a été documenté chez 18 % de ceux prenant des antihistaminiques et chez 19 % ne prenant que des corticostéroïdes ou un placebo (P = ,93)11. De plus, malgré la taille plus petite de l’échantillonnage, les groupes prenant des antihistaminiques seulement dans la revue systématique Cochrane avaient un RR de 1,05 (IC à 95 % de 0,8 à 1,38) de persistance prolongée de l’OME6, ce qui laisse entendre que les antihistaminiques seuls pourraient avoir des effets négatifs sur les enfants ayant une OME.
Combinaison d’antihistaminique et de décongestionnant
Dans une récente revue systématique Cochrane portant sur 15 ERC qui évaluaient les traitements aux décongestionnants ou aux antihistaminiques pour des enfants souffrant d’une OMA, au sein du groupe prenant des antihistaminiques et des décongestionnants, le RR d’une OMA persistante après 2 semaines était de 0,76 (IC à 95 % de 0,60 à 0,96; ratio interventions/bénéfices = 10)13. Ce ratio, quoiqu’il soit significatif sur le plan statistique, avait peu d’importance clinique et pourrait avoir été influencé par des études ayant de faibles scores de validité et une dissimulation médiocre de l’allocation des traitements. Chez les enfants traités pour une OME, on n’a observé aucun bienfait dans le groupe prenant une combinaison d’antihistaminique et de décongestionnant, notamment un RR de 0,97 (IC à 95 % de 0,89 à 1,04) pour la disparition complète des symptômes en moins de 1 mois6.
On peut peut-être expliquer ces constatations par le rôle prédominant d’autres médiateurs et cytokines inflammatoires, de cellules inflammatoires, de l’immunoglobuline et du complément, ainsi que des antigènes bactériens dans l’OM11,14. Autrement, ce pourrait être attribuable au fait que la dose requise pour observer un effet devrait être plus forte que celles utilisées dans les études cliniques11. On a aussi émis l’hypothèse que les antihistaminiques ne réussissent pas à réduire considérablement les concentrations d’histamine, parce qu’ils ciblent les récepteurs de l’histamine de type 1 au lieu d’inhiber la libération des médiateurs de mastocytes12.
Innocuité des antihistaminiques et des décongestionnants
On a documenté des taux plus élevés statistiquement significatifs (11 %) d’effets secondaires (ES) dans le traitement de l’OME par rapport au placebo (RR de 2,70; IC à 95 % de 1,87 à 3,88; ratio interventions/préjudices = 9) 6. Parmi les effets secondaires figurent la sédation, l’irritabilité et des malaises gastro-intestinaux. De plus, les ES modérés les plus couramment signalés des antihistaminiques étaient la somnolence (22 % à 34 %), la nervosité (7 % à 20 %), la bouche sèche (16 % à 27 %), l’érythème fessier (7 % à 32 %) et un excrétion d’urine accrue (14 % à 27 %)11. Les antihistaminiques habituellement utilisés, soit la chlorphéniramine, la cétirizine et la loratadine, avaient tous au moins 2 ES à une fréquence de plus de 10 %6. Pour les décongestionnants les plus courants, la phényléphrine et la pseudoéphédrine, les taux globaux d’ES étaient de 24 % et de 6 %, respectivement6. Dans une étude réalisée au Royaume-Uni auprès d’enfants de 3 à 10 ans, on a constaté 12 syndromes de sevrage associés aux ES; 9 des 12 enfants qui prenaient de la pseudoéphédrine avaient eu des épisodes de «mauvaise humeur», d’irritabilité, d’étourdissement, de malaise général et d’insomnie15.
Certains ES causés par les antihistaminiques, y compris les altérations visuelles, sont secondaires à leur action sur les récepteurs antimuscariniques9. Les antihistaminiques de deuxième génération pourraient être meilleurs dans le traitement de l’OM parce qu’ils ne traversent pas la barrière sang-cerveau et sont moins sédatifs2,9. Ils ont aussi peu d’activité anticholinergique2.
Les antihistaminiques ont été associés à une durée prolongée de l’épanchement de l’oreille moyenne. La revue systématique Cochrane portant sur les décongestionnants et les antihistaminiques chez les enfants souffrant d’OMA a fait valoir que les patients traités aux antihistaminiques seuls étaient plus susceptibles d’avoir encore cette OMA 4 semaines après (RR 1,91; IC à 95 % de 1,01 à 3,64; ratio interventions/préjudices = 5,9)13. Il est possible que l’inhibition du fonctionnement de la TE en raison d’une réduction de la fonction mucociliaire et des propriétés anticholinergiques en soit la cause11. Il est aussi possible que les antihistaminiques augmentent la viscosité du liquide dans l’oreille moyenne en altérant la fonction des cellules sécrétoires de l’oreille moyenne et en influençant ainsi le drainage et l’absorption11.
Lignes directrices et recommandations
Dans le guide de pratique clinique de l’American Academy of Pediatrics de 2004, le recours aux antihistaminiques et aux décongestionnants n’était pas recommandé en raison de leur manque d’efficacité16. Cette recommandation est semblable à celle de la Société canadienne de pédiatrie17 et conforme à la plus récente revue systématique Cochrane portant sur l’OME et l’OMA6,13, ainsi qu’à des lignes directrices internationales18. Les plus récentes lignes directrices de l’American Academy of Pediatrics sur l’OMA ne mentionnent même pas les antihistaminiques ni les décongestionnants7.
Éléments à examiner en recherche
Par le passé, on a émis l’hypothèse que l’allergie avait un rôle à jouer dans l’OME16. Une étude randomisée en 2008 portant sur 15 rats allergiques signalait une différence statistiquement significative, en faveur d’un traitement, en ce qui concerne le volume de l’épanchement en 2 à 6 heures entre le groupe témoin et celui à qui on a administré de l’olopatadine (P = ,011) et de l’azélastine (P ≤ ,001)19. Cette constatation concorde avec celle d’une étude grecque sur des lapins20 et semble faire valoir un rôle pour les antihistaminiques dans la dysfonction de la TE causée par l’allergie. Même s’il faut d’abord régler les questions entourant la sécurité des patients, les futurs projets de recherche devraient examiner des doses plus fortes de ces médicaments. De plus, si la recherche porte sur des antihistaminiques de deuxième génération, des doses plus élevées de ces médicaments pourraient être utilisées parce qu’ils ont des profils d’ES moins élevés2.
Conclusion
Les données probantes actuelles ne favorisent pas l’utilisation systématique des antihistaminiques et des décongestionnants chez les enfants souffrant d’OM, mais ils pourraient être utilisés pour le traitement de certains patients en particulier, comme ceux dont l’OME est due à une allergie.
Notes
PRETx
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Dre Bonney est membre et Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
-
Cet article donne droit à des crédits Mainpro-M1. Pour obtenir des crédits, allez à www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro.
-
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2014 issue on page 43.
-
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
- Copyright© the College of Family Physicians of Canada