Imaginez une épicerie où aucun produit ne porte d’étiquette de prix. Lorsque vous demandez les prix au caissier, il vous suggère de poser la question au gérant. Le gérant vous conseille d’écrire une lettre au siège social et l’on vous répond que le coût réel des produits est encore un peu incertain. À ce point, vous pourriez décider de magasiner ailleurs… sauf que c’est impossible, parce que c’est le seul commerce en ville. Si vous tentiez de gérer votre budget d’épicerie de manière responsable, vous trouveriez la situation plutôt difficile.
Une récente tentative de comparer les coûts de simples analyses de laboratoire s’est révélée tout aussi frustrante. Pour ne pas me laisser dissuader, j’ai décidé de compiler ma propre liste de référence des coûts des investigations souvent prescrites (Tableaux 1 et 2)1. J’ai délibéré sur la possibilité de les appeler les coûts « réels », mais l’exercice était plus compliqué qu’il en avait l’air initialement. Tout comme le prix des épiceries peut varier selon l’endroit où vous les achetez (p. ex. une pomme peut coûter beaucoup plus cher si vous l’achetez au Nunavut plutôt que dans le sud de l’Ontario), le coût d’une simple formule sanguine peut se situer entre 5 et 50 $ ou plus encore selon certaines variables comme la taille de l’établissement, la méthode d’analyse utilisée, le mode de financement (à l’acte ou global) et la distance du transport du spécimen. La prescription de 1 seule analyse à la fois coûte plus par test que si plusieurs sont prescrites, parce qu’il peut y avoir des frais distincts (15,62 $)1 pour chaque prélèvement. Les guides provinciaux des honoraires, là où ils existent, représentent probablement la façon la plus simple pour les professionnels de s’informer sur les coûts relatifs; par ailleurs, même ces prix ne sont que des valeurs négociées plutôt que des coûts réels (Dr Chris Naugler, communication écrite, mars 2013).
Transparence et prise de conscience
Il importe que les coûts des investigations soient plus transparents, et que les professionnels et les patients s’en rendent compte davantage, si vous voulons être des protecteurs efficaces du système de santé. Les médecins savent qu’ils connaissent mal le coût des tests et signalent que s’ils étaient mieux renseignés, ils changeraient probablement leurs habitudes de prescription2. Les coûts des investigations font l’objet d’une hausse hors de proportion par rapport aux autres coûts des soins de santé3, en partie en raison du fait qu’environ de 30 à 40 % de tous les tests (et de 20 à 95 % de certains tests en particulier) sont prescrits inutilement4. Une étude a fait valoir que les ordonnances d’analyses inappropriées ont entraîné des coûts inutiles moyens (écart type) de 66,53 $ (66,76 $) par visite périodique de maintien de la santé5. On estime que 1 milliard £ sont dépensés annuellement pour des tests inutiles au Royaume-Uni6.
Chaque jour, des médecins dépensent aveuglément sans compter et font grimper les dépenses en soins de santé sans se rendre compte des coûts imposés au système. La simple ordonnance d’un hémogramme de « routine » (10,96 $ + 15,62 $ = 26,58 $) coûte presque autant que la consultation du médecin elle-même. Une simple analyse d’urine « R&M, C&S » [routine et microscopie, culture et sensibilité], mais souvent inutile, coûtera 61,39 $. Un test sérique de grossesse coûte 30,36 $. La détermination du groupe sanguin et le dépistage d’anticorps, souvent répétés plusieurs fois durant chaque grossesse, coûtent 138,32 $1.
Les médecins prescrivent souvent des analyses, des traitements et des interventions malgré les données convaincantes soutenant qu’ils n’aident pas les patients et pourraient même leur nuire7. Il est plus rapide et facile de prescrire des investigations que de faire une anamnèse rigoureuse et un examen physique complet. Cette pratique nous donne (et donne aux patients) l’impression que nous avons accompli quelque chose et laisse le temps à de nombreux problèmes résolutifs de se régler. Même si les études ne signalent pas de corrélation entre la quantité de tests prescrits et les poursuites pour faute professionnelle, de nombreux médecins continuent de croire qu’en prescrivant plus d’analyses, le risque de « manquer quelque chose » diminue7. Les milieux universitaires, où sont apprises les habitudes de pratique, peuvent subtilement renforcer les comportements de prescriptions inappropriées en récompensant les stagiaires perçus comme étant « rigoureux »8. Ces habitudes difficiles à modifier, combinées aux attentes des patients, font en sorte que de nombreux patients en très bonne santé, subissent annuellement une batterie de 20 tests de laboratoire ou plus, même si les guides de pratique sur le dépistage ne recommandent que peu ou pas d’investigations systématiques. De plus en plus, les lignes directrices sur des maladies précises recommandent un dépistage précoce, le diagnostic des signes avant-coureurs des maladies8 et la « surveillance » systématique (pas nécessairement fondée sur des données probantes) de ceux qui ont été « diagnostiqués », et on offre même des incitatifs aux médecins qui s’y conforment, que les patients bénéficient réellement ou non des tests7.
Améliorer les pratiques d’ordonnance
Il a été démontré qu’une indication du coût des tests sur les réquisitions de services de laboratoire ou dans les dossiers médicaux électroniques avait réduit les taux des investigations dans une proportion de 27 à 36 %9,10. Les dossiers médicaux électroniques pourraient avoir une caractéristique « Ajouter au panier » permettant d’additionner les coûts au fur et à mesure que des tests sont prescrits durant une visite. Cette pratique pourrait être particulièrement efficace si on la combinait avec d’autres stratégies éprouvées comme efficaces pour aider les médecins à transposer les recommandations fondées sur des données probantes dans leurs habitudes de prescription. Parmi les stratégies les plus prometteuses à cet égard figurent les systèmes électroniques d’aide à la décision clinique qui peuvent réduire les ordonnances inappropriées d’environ 28 %6,11. Une autre approche serait d’imposer des directives restrictives régissant les moments et les indications appropriés pour de telles investigations, comme la mesure de la vitamine D (61,32 $), de l’antigène prostatique spécifique (32,95 $) et du taux de sédimentation des érythrocytes (10,61 $). En Ontario, on prévoyait que la simple restriction des analyses du taux de vitamine D épargnerait 64 millions $ par année12. Quoique certains médecins n’aiment pas la réglementation parce qu’elle est perçue comme une menace à l’autonomie, d’autres croient qu’elle épargne aux médecins de famille bien des débats avec les patients à propos des services qui coûtent cher sans avoir de bienfaits cliniques13. Les programmes de vérification et de rétroaction ont aussi été assez efficaces7, comme celui en Colombie-Britannique, où les médecins reçoivent un profil de leur pratique comparé à celui de leurs pairs sur le plan des investigations, des demandes de consultation et ainsi de suite. Le programme largement publicisé Choisir avec soin est une excellente ressource éducative pour les cliniciens et les patients. Aux médecins de famille, Choisir avec soin recommande
... d’éviter les radiographies thoraciques systématiques préopératoires, la tomodensitométrie de la tête pour des céphalées, l’imagerie pour des lombalgies sans drapeau rouge, des tests de Pap sauf dans les groupes d’âges ciblés de 21 à 65 ans, les inductions inutiles du travail, les électrocardiogrammes, les épreuves à l’effort et la surveillance quotidienne de l’hémogramme et des analyses chimiques en milieu hospitalier8.
Immenses possibilités
Tandis que les Canadiens déplorent les coûts sans cesse croissants et apparemment insoutenables des soins de santé, les médecins devraient se rappeler que presque tous ces coûts, à part les consultations à l’initiative du patient, ont les médecins pour origine. Cette réalité offre à chacun de nous d’immenses possibilités de contrôler les coûts sans nuire aux soins dispensés aux patients. En nous renseignant davantage à propos des investigations et de leurs implications financières, et en examinant soigneusement chaque clic, nous pouvons être plus confiants que chaque élément que nous « ajoutons au panier » sera approprié.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 937.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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