Lorsque je donne de la nourriture aux pauvres, on me qualifie de saint. Lorsque je demande aux pauvres pourquoi ils n’ont rien à manger, on me traite de communiste.
Hélder Câmara
J’ai récemment eu une intéressante conversation avec une collègue. Elle venait d’être invitée à se joindre au comité d’une faculté de médecine chargé d’élaborer un cursus prédoctoral sur les meilleures façons de conseiller les patients à propos d’une saine alimentation et de l’activité physique. Le cursus était axé sur un cas (probablement pour rendre l’apprentissage plus réaliste et impliquer davantage les étudiants en médecine) et le contenu présenté était largement inspiré des guides de pratique clinique. Le cursus avait été élaboré par des collègues d’autres spécialités et ma collègue avait été invitée pour apporter la « perspective de la médecine familiale ». Ma collègue se demandait ce que je pensais du nouveau cursus. Encore une fois, j’ai été déçu de constater que l’obtention des points de vue du monde réel des généralistes dans l’élaboration des cursus était une réflexion après coup. Le scénario était clairement artificiel et alimenté par les éléments des lignes directrices axées sur les maladies, comme l’était l’intervention pédagogique. On avait complètement omis les répercussions profondes de l’insécurité alimentaire sur la santé de bon nombre de nos patients.
Une récente étude par Tarasuk et ses collègues1 a révélé l’ampleur du problème en Ontario et ses répercussions sur la santé. Ils ont constaté que l’insécurité alimentaire était un prédicteur convaincant de l’utilisation et des coûts des soins de santé chez les adultes ontariens en âge de travailler, isolément de tous les autres déterminants sociaux connus de la santé. De plus, ces effets étaient présents même lorsque les chercheurs excluaient les coûts des médicaments couverts par le Programme de médicaments de l’Ontario.
L’étude par Tarasuk et ses collaborateurs se penchait sur les effets sur la santé des adultes, mais qu’en est-il des répercussions de l’insécurité alimentaire sur les enfants et les adolescents? De bonnes données probantes démontrent que l’insécurité alimentaire touche environ 1 enfant canadien sur 6 et que ses effets sont à la fois tentaculaires et omniprésents2. Une carence prénatale en fer chez la mère nuit au développement neurologique et psychomoteur des enfants et entraîne des effets durables, comme la probabilité accrue d’un trouble de déficit d’attention avec hyperactivité et d’autres problèmes d’apprentissage2. Des études aux États-Unis révèlent que la faim chez les enfants est aussi un prédicteur de dépression et de pensées suicidaires à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte3. Une alimentation et une nutrition insuffisantes durant l’enfance entraînent aussi un risque accru d’obésité et de maladies chroniques plus tard dans la vie2.
Comment les médecins de famille devraient-ils réagir à de tels problèmes?
Le numéro d’avril du Médecin de famille canadien présente un guide pratique à l’intention des médecins de famille, élaboré par Goel et ses collègues, sur les façons d’aborder certains des désavantages socioéconomiques avec lesquels sont aux prises beaucoup de nos patients (page 299)4. Ils conseillent aux médecins de famille d’évaluer tous leurs patients sur les plans des revenus, de l’éducation, de l’emploi, de l’assurance-médicaments, du logement, des besoins juridiques, de la santé mentale et des problèmes de dépendance. Ils mettent en évidence de nombreuses possibilités pour les médecins de famille de recommander aux patients dans le besoin des ressources communautaires visant à répondre aux problèmes dans chacun de ces domaines.
Certains ont maintenu que les médecins de famille et d’autres professionnels de la santé devraient dépister chez les patients l’insécurité alimentaire et leur recommander, pareillement, des programmes alimentaires conçus pour la prévenir ou l’atténuer. Par ailleurs, le Canada n’est pas doté d’un nombre suffisant de programmes parrainés par le gouvernement et les banques alimentaires ad hoc ou autres programmes semblables n’ont pas la capacité voulue pour intervenir à large échelle et changer l’insécurité alimentaire dans les ménages. Comme le disent Tarasuk et ses collègues, les professionnels de la santé ont peu de chances de modifier les circonstances des patients au moyen de recommandations1.
Ce numéro de la revue présente aussi un commentaire inspirant par Roncarolo et Potvin (page e161) dans lequel ils affirment que l’insécurité alimentaire devrait être considérée comme un symptôme d’une maladie sociale et que les médecins de famille ont un rôle à jouer dans la résolution de ce problème, pas seulement 1 patient à la fois, mais aussi au niveau des politiques dans le but de promouvoir les changements sociaux nécessaires pour atténuer l’insécurité alimentaire dans nos communautés5. Certains pourraient ne pas être d’accord, mais le sujet est certainement matière à alimenter la réflexion.
Hélder Câmara, dont les propos sont cités dans l’épigraphe, est décédé à l’âge de 90 ans. Il a grandi dans une famille de 13 enfants, est entré au séminaire à l’âge de 14 ans et a été ordonné à 22 ans. Il a travaillé dans les favelas de Rio de Janeiro et est devenu archevêque d’Olinda et Recife dans la région défavorisée au nord-est du Brésil. Il est devenu un éloquent champion des pauvres, le critique de gouvernements militaires répressifs et a été en nomination pour le Prix Nobel de la paix6.
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