Malgré une demande grandissante de stages internationaux et les nombreux changements sociétaux actuels (interculturalisme, inégalités socioéconomiques croissantes) auxquels sont confrontés les médecins, les stages internationaux ne semblent pas suffisamment considérés dans les programmes canadiens de médecine1. Bien que les offres de stages internationaux en médecine soient rares, plusieurs travaux nous montrent que la participation à ces derniers favorise l’intérêt des résidents, notamment en médecine de famille2,3, pour la pratique avec des populations démunies. Par ailleurs, nous disposons de peu de données sur l’expérience vécue par les participants à de tels stages en matière de sensibilisation à l’équité en santé et de réflexivité, ainsi que sur leurs éventuelles répercussions sur la pratique de la médecine familiale dans un contexte de différence culturelle ou sociale4. Cependant, plusieurs auteurs5–7 suggèrent que les expériences médicales internationales auraient le potentiel de favoriser la compétence culturelle et les connaissances en santé globale, ainsi que l’engagement à soigner les personnes vulnérables. Participer à un stage international développerait la sensibilité culturelle du médecin en devenir, les valeurs humanistes et l’idéalisme, l’appréciation d’une orientation communautaire des soins de santé, ainsi qu’un intérêt accru pour les carrières en soins primaires de santé8.
Les données provenant d’une étude portant sur la compétence sociale des médecins de famille offrant des soins en contexte de pauvreté9 révèlent que, chez ces médecins de famille, la participation à un stage de formation internationale a été une étape marquante dans leurs choix et leurs parcours professionnels. Ces médecins considéraient que ces stages les avaient sensibilisés et outillés à intervenir auprès des clientèles vulnérables, tout comme les études respectives de Ramsey et coll.2, Bazemore et coll.3 et Godkin et Sauvageau8 l’identifient dans d’autres provinces où ces stages se déroulent. Il est en effet reconnu que la relation médecin-patient dans un contexte de différence culturelle ou sociale comprend plusieurs défis10. Le manque de connaissances sur la pauvreté, mais aussi les perceptions erronées de la pauvreté que développent les médecins ou les autres professionnels, influenceraient la qualité des interactions cliniques10–12. Cependant, nous connaissons mal les facteurs positifs qui permettent aux médecins de développer une alliance thérapeutique fructueuse lorsque leurs patients proviennent de milieux sociaux ou culturels différents.
L’objectif de cet article est de présenter les résultats sur les retombées perçues de l’expérience d’un stage en santé internationale des résidents en médecine de famille. Ces stages, qui se déroulent en Haïti, en Ouganda et au Mali, sont offerts à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke au Québec et sont d’une durée de 4 semaines. Lors de ces stages, les résidents sont amenés à collaborer avec des professionnels de la santé (médecins et infirmières) au sein d’un établissement de santé local (centre de santé communautaire ou clinique itinérante), et à répondre, sous la direction des superviseurs, à la diversité des problématiques de santé présentes au quotidien (maladies chroniques et aigües, suivi de grossesse, etc.). Ces stages visent à permettre aux résidents d’acquérir une compréhension de l’impact des déterminants sociaux et économiques sur la santé et sur la distribution des soins de santé, ainsi qu’à les sensibiliser à d’autres réalités ethnoculturelles et sociales.
MÉTHODES
Cette étude reposait sur un devis de recherche qualitative mené en collaboration avec une équipe multidisciplinaire: un sociologue (C.L.), un anthropologue (T.G.) et 4 médecins superviseurs (C.V., F.C., R.W., P.M.R.) de stages internationaux en médecine de famille de l’Université de Sherbrooke. Tous les membres de l’équipe ont été impliqués à chaque étape de la recherche, de l’élaboration du protocole à la validation des interprétations des données. Le guide d’entrevue a été développé en équipe afin d’intégrer les préoccupations de recherche des médecins superviseurs à l’origine de la mise sur pied du stage à l’Université de Sherbrooke. Le guide couvrait 30 items traitant de 4 domaines: caractéristiques sociodémographiques des résidents, perception du stage à l’international, raisons et choix de suivre ce stage et de pratiquer en médecine de famille, et pistes d’améliorations de la formation médicale. L’échantillon mixte de convenance composé de résidents et de superviseurs a été retenu. En effet, nous souhaitions recruter des superviseurs de stages afin de recueillir leurs points de vue sur les retombées du stage pour les futurs médecins dans le but de favoriser une triangulation des données. Le coordonnateur des stages à l’Université de Sherbrooke nous a transmis les coordonnées de 25 résidents et de 15 superviseurs qui avaient participé à un stage international en médecine de famille entre 2009 et 2014. Parmi eux, 12 résidents et 9 superviseurs (N = 21) ont manifesté leur intérêt pour cette étude et ont complété un formulaire de consentement avant de participer à une entrevue. Un assistant de recherche (T.G.) formé en recherche qualitative a mené 6 entrevues en personne et 15 au téléphone en raison des contraintes de distance.
Les entrevues semi-dirigées ont été enregistrées à l’aide d’une enregistreuse numérique puis anonymisées. Les entrevues duraient entre 60 et 75 minutes. À la fin de chaque entrevue, l’assistant de recherche complétait et remettait un rapport d’entrevue aux cochercheurs. Les entrevues ont été retranscrites, codées et analysées à l’aide d’un tableau Microsoft Excel selon les thèmes abordés dans le guide d’entrevue (perception du stage, de la formation médicale, améliorations suggérées et motivations envers le stage). Pendant les retranscriptions, un premier tri des résultats a été réalisé en situant les points de divergence et de convergence entre chaque entrevue. Cette analyse préliminaire a touché à sa fin une fois la saturation des données atteinte (récurrence des thèmes, des expériences et des points de vue). La méthode d’analyse utilisée a été tirée d’une approche inductive qui reposait sur une grille d’analyse catégorielle13. Nous avons choisi de privilégier la récurrence fréquentielle des thèmes abordés par nos interlocuteurs. Enfin, cette étude a été approuvée par le Comité d’éthique et de la recherche de l’Hôpital Charles-LeMoyne.
RÉSULTATS
Comme indiqué dans le Tableau 1, les 12 résidents interviewés étaient toutes des femmes et seulement une d’entre elles avait plus de 30 ans. Parmi celles-ci, 8 n’avaient pas encore pratiqué la médecine de façon autonome lors de nos entrevues et 4 avaient une expérience professionnelle de 5 ans ou moins. Parmi les résidentes, 7 avaient réalisé leur stage international en Haïti, 4 au Mali et 1 en Ouganda. Sur les 9 superviseurs interviewés, 4 (3 femmes et 1 homme) étaient âgés de 51 à 60 ans. Parmi ces 4 superviseurs, 3 pratiquaient depuis plus de 15 ans et 1 depuis plus de 10 ans. Trois autres superviseurs (uniquement des femmes) avaient entre 31 et 40 ans et pratiquaient depuis au moins 6 ans. Enfin, 2 superviseurs avaient 30 ans ou moins et ne pratiquaient que depuis 5 ans. Les superviseurs avaient supervisé au minimum 2 stages et un maximum de 15 stages.
Tel que présenté à l’Encadré 1, les analyses nous ont permis d’identifier 5 principales retombées bénéfiques du stage international pour la pratique de la médecine de famille: le renforcement des compétences médicales, la sensibilisation aux dimensions socioéconomiques, la sensibilisation aux dimensions socioculturelles, la modification de leur perception des patients et la réflexivité sur leur propre pratique médicale. Ces retombées ont été perçues et partagées par les résidentes et les superviseurs.
Retombées d’une expérience de stage international en médecine de famille
Renforcement des compétences médicales
Meilleure connaissance des pathologies médicales
Amélioration de l’examen physique
Détachement des technologies
Sensibilisation aux dimensions socioéconomiques
Adaptation des ordonnances médicales selon le capital économique des patients
Aide aux patients pour se retrouver dans le système de santé
Sensibilisation aux dimensions socioculturelles
Attention portée à la gestuelle, aux codes culturels et au langage
Considération du pluralisme médical
Respect des interprétations de la maladie par le patient
Modification de la perception du patient
Appropriation de l’approche négociée
Attitude ouverte et collaborative avec le patient
Réflexion sur sa propre condition
Capacité à relativiser face à sa condition d’occidental
Identification d’une solidarité locale malgré la pauvreté
Réflexion critique sur l’aide humanitaire
Comparaison entre le statut de la femme au Canada et dans les pays du stage
Le renforcement des compétences médicales
Presque la moitié des résidentes et tous les superviseurs ont noté que l’expérience d’un stage à l’international avait renforcé leurs compétences médicales. Les résidentes ont précisé que la participation à un tel stage leur avait permis de mettre en pratique leurs connaissances des pathologies tropicales. Plusieurs ont fait remarquer que de se retrouver dans un environnement sanitaire moins équipé technologiquement et limité sur le plan des ressources matérielles les avait obligées à moins dépendre des examens médicaux complémentaires (laboratoires, imagerie) et à plus se fier à leur propre jugement clinique. En conséquence, les participants ont dit porter une plus grande attention à l’entrevue médicale et à l’examen physique lors de leur pratique. L’élargissement du diagnostic différentiel et du modèle explicatif du patient ont ainsi constitué des facteurs d’expertise que plusieurs résidentes et la totalité des superviseurs ont pu intégrer dans leur pratique médicale.
C’est sûr qu’il fallait se sensibiliser à une pratique avec les moyens du bord parce que, quand on était en village, on n’avait pas autant de moyens qu’on en a ici. Surtout de revenir ici après, puis de me rendre compte que, oui, on en prescrit beaucoup, ça a comme un peu relativisé cette chose-là, puis de faire plus confiance au jugement clinique. (Résidente 3)
La sensibilisation aux dimensions socioéconomiques
L’ensemble des participants s’entend sur un apport majeur lié à la participation d’un stage international, à savoir la sensibilisation aux dimensions socioéconomiques des patients et à leurs impacts sur la santé. Les dimensions socioéconomiques contribueraient à la production de conditions de vie précaires (revenu, logement, emploi, habitudes de consommation alimentaire). À cet égard, ils ont affirmé que cette confrontation avec une autre réalité que celle vécue dans des contextes québécois les incitait à mieux considérer les dimensions socioéconomiques des patients dans leur questionnaire médical et dans leur plan de traitement une fois rentrés au Québec. Par exemple et de façon récurrente, les résidentes (confirmant les discours des superviseurs) indiquaient être plus sélectives dans le choix d’examens complémentaires, puisque conscientes des coûts engendrés pour les patients ayant de faibles revenus. Quelques résidentes indiquaient aussi s’engager beaucoup plus auprès de patients démunis, notamment en s’impliquant davantage dans leur suivi médical, en les aidant par exemple, à mieux naviguer dans le système de santé (prise de rendez-vous téléphonique, suivis des dossiers médicaux pour des patients en forte vulnérabilité).
Oui, les patients qui sont ici, que je vois qui ont peut-être des difficultés psychosociales, des difficultés reliées à l’argent, je vais fouiller un peu plus loin, je pousse un petit peu plus creux à savoir comment ça se répercute dans leur vie. Puis je fais attention aux médicaments que je prescris aussi concernant les coûts, là. (Résidente 1)
La sensibilisation aux dimensions socioculturelles
L’expérience d’un stage international se caractérise par un certain degré d’immersion dans un autre milieu culturel. À cet égard, les contacts quotidiens avec des patients haïtiens, maliens ou ougandais ont eu un impact sur leur façon d’appréhender les interprétations et les conduites thérapeutiques de patients ayant d’autres systèmes de référence face à un même symptôme. Le rapport aux médecines dites traditionnelles a constitué un véritable défi pour plusieurs résidentes puisque bon nombre de patients y avaient recours. La confrontation avec ces pratiques dites « profanes » a produit, chez toutes les résidentes, des réflexions sur leur propre catégorie interprétative de la maladie.
Peut-être plus justement chez les patients d’une ethnie différente, peut-être que ça change l’approche et peut-être que ça m’a permis de comprendre à quel point justement la santé c’est culturel d’abord et avant tout; la façon d’exprimer un problème, la façon de vivre des symptômes, même, est très, très en lien avec la culture. Oui, ça, ça m’a ouvert les yeux làdessus beaucoup. (Résidente 7)
D’après plusieurs superviseurs, les résidentes développaient au bout d’une dizaine de jours, de nouvelles habiletés et conduites interactionnelles qui témoignaient de leur adaptation à des patients d’origine culturelle différente. Cette adaptation se traduisait selon eux par une plus grande considération pour les croyances et les valeurs liées à l’environnement socioculturel des patients.
Dans la deuxième partie du stage, quand ils ont comme acquis confiance en leurs moyens physiques pour examiner un patient et leur jugement, là ils s’épanouissent. Mais au-delà des compétences techniques, je pense que le stage déconstruit beaucoup les préjugés autant sociaux que médicaux. (Superviseur 1)
La modification de la perception du patient
Dans une certaine continuité et de par leur confrontation à d’autres systèmes de pensées et de pratiques, l’ensemble des participants ont dit avoir modifié leur perception à l’égard des patients. Les résidentes ont noté qu’elles avaient évolué dans leur façon de percevoir, de dialoguer et d’interagir avec des patients, et ce, quelle que soit leur origine culturelle. En étant plus attentives aux gestes et au langage qu’elles portaient sur ces derniers, les résidentes ont renforcé leur approche du soin, en étant plus ouvertes aux négociations, aux refus et aux interprétations des patients. L’application d’une forme de collaboration est, dans une certaine logique, venue renforcer leur vision de la médecine de famille. Pour beaucoup de participants (superviseurs et résidentes), cette approche négociée, que peu d’entre eux avaient intégrée lors de leur formation universitaire, constituerait une dimension relationnelle inhérente à l’écoute et à l’ouverture.
J’étais toujours à dire: « ce qu’il y a de mieux pour le patient je le prescris »; mais maintenant quand le patient dit, « ah non, je ne veux pas, même si c’est ça le meilleur », je suis plus encline à accepter que les gens ne veulent pas nécessairement le meilleur traitement, mais plus le traitement qui est adapté à leur réalité à eux. (Résidente 5)
Réflexion sur sa propre condition
L’expérience d’un stage en santé internationale peut imprégner les participants à des degrés divers. Différentes variables influent sur la perception de cette expérience. L’âge, la classe sociale, la fréquence de voyages effectués à l’étranger antérieurement au stage, les stages de médecine avec des populations précaires et une certaine maturité acquise dans la lecture des phénomènes sociaux et sociétaux constituent des facteurs qui peuvent amener les participants à élaborer des réflexions sur leur propre position. À cet effet, une majorité de résidentes et tous les superviseurs s’étaient questionnés à la suite de leurs stages, sur leur mode de consommation, sur leur rôle de médecins en société, et sur le regard qu’ils portaient sur la médecine de façon globale. À cet égard, certains participants ont dénoncé la présence d’un néocolonialisme occidental dans les pays du Sud auxquels s’imposaient des interventions humanitaires souvent inefficaces dans l’amélioration des conditions de vie des populations touchées. Par ailleurs, les résidentes furent très marquées par la solidarité et les liens sociaux qui avaient lieu dans des contextes de pauvreté importants. Enfin, beaucoup ont réalisé combien les rôles et statuts des femmes dans les pays hôtes des stages étaient différents de la condition féminine au Québec.
Enfin, la participation des superviseurs à cette étude nous a permis de raffiner nos données en les confrontant avec les discours des résidentes. Globalement, les superviseurs ont validé les réponses des résidentes tout en les prolongeant par des points de vue témoignant d’une expérience de pratique et de supervision prolongée tel que présenté à l’Encadré 2. Les superviseurs expriment de manière distincte le sentiment d’humilité face à la médecine occidentale qui se développe avec l’expérience des stages internationaux et l’expertise à soigner des immigrants et réfugiés.
Retombées de l’expérience d’un stage international selon les superviseurs
Renforcement des compétences médicales
Meilleure autonomie dans la pratique médicale
Sensibilisation aux dimensions socioéconomiques
Développement d’une conscience critique face au système politique et sanitaire
Intérêt pour les écrits critiques sur les inégalités sociales et économiques
Sensibilisation aux dimensions socioculturelles
Sentiment d’humilité face à la médecine occidentale
Modification de la perception du patient
Compétence accrue face aux patients migrants
Meilleure collaboration avec les interprètes
Réflexion sur sa propre condition
Conscience de jouer un rôle civique
Au niveau des compétences médicales, l’autonomie dans la pratique rapportée par les superviseurs corrélait avec le détachement des technologies remarqué par les résidentes. Par ailleurs, certains superviseurs avaient développé un intérêt pour les données probantes sur les inégalités sociales en santé. Leurs lectures et réflexions souvent critiques sur le productivisme, système d’organisation de la vie économique dans lequel la production est donnée comme objectif premier, étaient venues nourrir leur expérience de pratique en milieu vulnérable et les avaient aidés à mieux comprendre les liens entre les conditions de vie et la mauvaise santé de certains patients.
DISCUSSION
Cette recherche portait sur les retombées perçues d’un stage électif en santé internationale dans le processus d’apprentissage des résidents en médecine de famille. Notre approche de recherche collaborative nous a permis de mieux comprendre et étudier les bénéfices de l’expérience d’un stage international dans la formation des médecins de famille.
Il est important de mentionner que le stage n’était pas uniquement offert aux résidents de l’Université de Sherbrooke, mais à des résidents provenant d’autres facultés de médecine. Ce constat nous permet d’avancer que les résultats pourront informer le renouvellement des curriculums en médecine et générer des pistes pour renforcer la formation et mieux préparer les médecins de famille à intervenir dans un contexte de diversité socioculturelle auprès notamment des personnes démunies, marginalisées ou immigrantes. Par conséquent, les résultats obtenus pourraient inspirer les responsables de stages internationaux afin de renforcer la qualité des programmes en médecine sociale et préventive.
Comme plusieurs travaux le confirment14,15 l’expérience internationale, surtout dans des pays en voie de développement, constituerait un moyen de renforcer ou de développer des connaissances autant techniques (pathologies, examen physique) que relationnelles (interaction, habileté communicationnelle, collaboration). À cet égard, le concept de compétence culturelle16 a largement été développé dans la littérature portant sur les habiletés des praticiens à interagir dans un contexte de différence culturelle, ce que ces stages ont tenté de développer17,18. On entend par compétence culturelle un ensemble de comportements, d’attitudes et de politiques grâce auquel un système, un organisme ou un groupe de professionnels peut fonctionner efficacement en contexte interculturel19.
Les résultats de cette étude viennent appuyer les résultats d’études antérieures menées auprès de médecins spécialistes. En effet, ces stages internationaux permettent aux étudiants de développer ou renforcer des compétences culturelles et, le cas échéant, de favoriser le travail avec des populations démunies. L’acquisition de ces dernières se vérifierait par plusieurs attributs que nous avons pu identifier dans les discours des participants: autoréflexivité, ouverture à la diversité et au pluralisme médical ainsi qu’une volonté chez les praticiens de créer une relation plus égalitaire avec le patient. Enfin, et au-delà de ces confirmations, l’originalité de cette recherche se retrouve dans notre échantillonnage qui lie résidentes et superviseurs. En effet, les données issues des entrevues des résidentes ont trouvé un écho positif dans celles des superviseurs et ces derniers ont ainsi pu corroborer, mais aussi compléter par leur expérience plus riche. La pertinence de cette recherche se retrouve dans la prise d’opinion des super viseurs de stages qui, comme ce fut souvent mentionné par les résidentes, sont venus renforcer l’apprentissage des résidents durant les stages de par leur écoute et conseils, ainsi que par leur accompagnement tout le long du séjour. La place des superviseurs dans le stage constituait ainsi un soutien fondamental pour l’apprentissage autant technique que relationnel.
L’objectif de ces stages internationaux, tout comme l’acquisition de compétences culturelles, ne serait pas d’accumuler des connaissances quantifiables et finies (comme une langue ou un ensemble de traits culturels). Ainsi, comme le souligne Paashe-Orlow20, la compétence culturelle irait au-delà d’une sensibilité culturelle et serait plus à même de prendre la forme d’une humilité culturelle21. À cet effet, plusieurs superviseurs ont prolongé les discours des résidentes en notant l’importance de leur rôle de citoyen en tant que médecins. Ces stages sembleraient avoir apporté un espace de réflexion sur leur statut à la fois de médecin et de citoyen. Les superviseurs et les résidentes de cette étude ont ainsi reconnu faire preuve d’une plus grande humilité dans leur pratique, notamment sur les plans du partage des savoirs et de la remise en question de leurs propres modèles explicatifs de la maladie.
Limites
Dans le cadre de cette recherche, il existe un biais de sélection possible induit par le fait que le stage n’était pas obligatoire et que seulement des femmes constituaient notre sous-échantillon de résidents. Ainsi, nous pouvons présumer que les résidentes ayant participé à notre recherche puissent être plus ouvertes et sensibilisées au départ que les autres résidents et médecins.
Conclusion
La participation à des stages internationaux apporte de nombreuses retombées à la fois pour les résidents et pour les médecins superviseurs dans la pratique en médecine de famille. Les futurs médecins de famille seraient plus sensibilisés aux réalités socioéconomiques des patients et à l’importance de l’apport des valeurs culturelles dans l’appréhension des états de santé chez les patients. L’expérience d’un stage en médecine de famille favoriserait le développement de la compétence sociale au sein de différentes spécialités. À cet effet, l’attention portée aux dimensions sociales propres à la médecine de famille dans le cadre de cet article contribuerait à réduire le manque d’intérêt pour la médecine sociale dans l’éducation médicale. D’autres études, incluant des méthodes quantitatives et des observations ethnographiques, sont à considérer pour renforcer les connaissances sur les effets de ces stages internationaux pour la pratique de la médecine.
Remerciements
Nous tenons à remercier le Collège des médecins de famille du Canada et le Fond d’innovation pédagogique de l’Université de Sherbrooke pour leur soutien dans la réalisation de ce projet de recherche. Nous souhaitons aussi remercier le Dr Oumar Samb, post-doctorant à l’Université de Sherbrooke, pour ses précieux commentaires concernant la révision de cet article.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
Les stages internationaux ne semblent pas suffisamment considérés dans les programmes canadiens de médecine. Pourtant, pour ceux qui y participent, ces stages représentent une étape marquante dans leurs choix et dans leurs parcours professionnels.
Grâce à leur participation, les futurs médecins de famille sont plus sensibilisés aux réalités socioéconomiques des patients et à l’importance de l’apport des valeurs culturelles dans l’appréhension des états de santé chez les patients. La sensibilité culturelle, les valeurs humanistes, l’idéalisme, l’appréciation d’une orientation communautaire des soins de santé, ainsi qu’un intérêt accru pour les carrières en soins primaires de santé sont autant de retombées positives d’un tel stage.
L’originalité de cette recherche se retrouve dans un échantillonnage qui lie résidentes et superviseurs.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2016 issue on page e699
Contributions
Tous les coauteurs ont contribué de manière notable à cet article. Mme Loignon a dirigé la rédaction du protocole de recherche, supervisé la collecte des données et contribué aux analyses ainsi qu’à la rédaction de l’article. M. Gottin a réalisé la collecte des données et l’analyse des résultats; il a rédigé une première ébauche et a contribué à la finalisation de l’article. Les Drs Valois, Couturier, Roy et Williams ont apporté leur expertise à toutes les étapes-clés: élaboration du protocole, recrutement des participants, validation des interprétations de données et rédaction de l’article.
Intérêts concurrents
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