Le recours accru à l’imagerie transversale, de même que l’amélioration de la qualité de l’image et de la résolution spatiale ont engendré une augmentation des détections fortuites (DF) dans les rapports de radiologie. Les détections fortuites, qui désignent les constatations sans lien avec l’indication clinique de l’examen exécuté par imagerie, pourraient poser des problèmes particuliers aux médecins de famille et à leurs patients lors de leur identification dans un rapport d’imagerie. Les débats font rage depuis longtemps à propos de la prise en charge excessive des résultats diagnostiques; en 1972, Rang décrivait le « syndrome d’Ulysse », dans lequel les patients font un long voyage à travers les arts de l’investigation et vivent un certain nombre d’aventures avant de revenir de nouveau à leur point de départ1, soulignant le fait que la plupart des DF se révèlent bénignes. Les patients présentant des DF qui ont fait l’objet d’examens inutiles sont qualifiés de victimes de la technologie de l’imagerie moderne (VOMIT en anglais2), tandis que le terme « application irréfléchie de constatations radiologiques » (BARF en anglais3) sert à qualifier la gestion des DF. Par ailleurs, la possibilité qu’une DF représente une découverte par hasard d’un problème pour lequel une prise en charge prudente présenterait un bienfait clinique évident et supérieur aux préjudices possibles fait valoir la nécessité d’une stratégie rigoureuse à l’endroit des DF.
Prévalence des DF
Des études démontrent que la prévalence des DF dans les milieux cliniques et de la recherche est réellement considérable. Dans une révision systématique de 44 études évaluant l’incidence des DF dans les populations cliniques, Lumbreras et ses collègues ont constaté que des DF s’étaient produites dans 31,1 % des examens par tomographie (CT) et dans 8,7 % des radiographies4. Il s’agissait de la détection de problèmes « majeurs » comme des anévrismes aortiques, des masses hépatiques solides ou des lésions osseuses lytiques; de problèmes « de gravité modérée » comme des malformations d’Arnold-Chiari, des hémangiomes hépatiques ou vertébraux, ou la splénomégalie; et de problèmes « mineurs » comme des kystes arachnoïdes, des kystes ovariens simples ou de petites calcifications rénales4. Dans une révision rétrospective d’études d’imagerie chez 1426 patients dans une population de sujets de recherche, des DF ont été faites dans environ 40 % de tous les examens par imagerie. Les examens qui ont produit la plus forte prévalence de DF étaient les CT de l’abdomen et du pubis (dans lesquels où une DF a été faite dans 60,9 % des examens), les CT du thorax (54,8 %) et l’imagerie par résonance magnétique de la tête (42,9 %)5. Étant donné que la prévalence des DF augmente avec l’âge du patient5 et que le profil démographique du Canada accuse une tendance à la hausse dans l’âge moyen, les répercussions potentielles des DF continueront de s’amplifier.
Approche uniforme aux DF
Les détections fortuites pourraient entraîner d’importantes conséquences indésirables pour les patients, comme des complications de biopsies ou de traitements inutiles, une exposition accrue aux rayonnements à la suite d’examens par imagerie en série, et plus d’anxiété et de confusion. Les détections fortuites pourraient distraire les cliniciens de leurs premières préoccupations cliniques, et augmenter leur charge de travail et le fardeau économique imposé au système de santé. Par conséquent, les DF sont de plus en plus considérées comme un problème systémique affligeant le système de santé et compromettant les soins aux patients.
La façon de réagir aux DF, allant de leur non-divulgation à l’exécution d’une investigation complète selon les constatations et les caractéristiques, ne fait pas l’unanimité. Des études démontrent que les radiologistes ne sont pas très cohérents dans leurs recommandations de suivi6. Par ailleurs, certaines DF ne peuvent tout simplement pas être ignorées. Dans une série de 1426 examens par imagerie en recherche, une DF avait été faite dans 567, dont 35 ont engendré des actions cliniques. Parmi ces 35 cas, les chercheurs ont déterminé que l’action clinique avait apporté des « bienfaits médicaux évidents » dans 6 cas, qu’elle s’était révélée « sans bienfait médical évident ou un fardeau » dans 26 cas, et un « fardeau médical potentiel » dans 3 cas5. Par conséquent, la possibilité d’une découverte par hasard d’un problème dont la détection précoce améliore les résultats oblige les médecins de famille à adopter une approche uniforme aux DF, qui fasse un juste équilibre entre les risques et les bienfaits de la prise en charge. Nous proposons les 3 impératifs suivants.
La possibilité d’une DF dans tout examen d’imagerie devrait être anticipée et discutée avec les patients.
On devrait utiliser les études sur la prévalence pour déterminer la possibilité d’une DF selon la modalité d’imagerie et informer les patients d’une DF éventuelle. L’utilisation de graphiques et d’illustrations peut être utile pour faciliter les discussions avec les patients à propos de la probabilité d’une DF et, reconnaissant les contraintes de temps dans les cliniques achalandées, il y aurait lieu d’élaborer des aides à la décision ou des feuillets d’information qui expliquent en langage simple les risques et les avantages d’être informés à propos de types précis de DF afin de permettre aux patients de mieux comprendre les DF et de s’y préparer7. Les médecins de famille devraient aussi discuter de la manière dont les DF seront communiquées et des préférences des patients quant au degré de renseignements qu’ils souhaitent recevoir dans l’éventualité d’une DF. Ces simples discussions avant l’imagerie peuvent engendrer moins d’anxiété tant chez les médecins de famille que chez les patients si une DF se produit subséquemment.
Les médecins de famille devraient connaître les lignes directrices cliniques qui existent sur la prise en charge des DF et s’en servir comme base pour des discussions centrées sur le patient à propos des investigations subséquentes des DF.
Parmi les premières approches à l’endroit des DF dans l’imagerie transversale figurent les recommandations de 1982 concernant les masses surrénaliennes cliniquement silencieuses par Glazer et collègues8 et la classification des kystes rénaux par Bosniak en 1986.9 Les critères pour la prise en charge des nodules pulmonaires de la Fleischner Society comptent parmi les lignes directrices en imagerie les plus reconnues depuis leur publication 200510. Les approches importantes les plus récentes aux DF ont été soulignées dans les livres blancs de l’American College of Radiology, publiés en 201011, en 201312 et en 2015,13 qui présentent des recommandations sur la prise en charge des DF communes dans les CT et l’imagerie par résonance magnétique du corps. Même si le comité de l’American College of Radiology n’avait pas nécessairement pour but de minimiser l’ampleur du suivi des DF, une étude subséquente a démontré que les radiologistes qui avaient lu le livre blanc de 2010 étaient moins enclins à recommander des études d’imagerie de suivi14. La connaissance de ces lignes directrices aidera à assurer que les patients et les cliniciens soient en mesure de prendre des décisions fondées sur des données probantes entourant les éventuelles investigations et le suivi, tout en veillant à l’optimisation des soins et à l’atténuation des risques de poursuite. Toutefois, il convient de souligner que s’il existe de nombreux guides de pratique pour aider les cliniciens à prendre en charge les DF, il faut des études plus approfondies pour comprendre la pertinence clinique des détections asymptomatiques pour élargir la base des données scientifiques sur lesquelles ces guides de pratique se fondent. En outre, divers groupes d’étude, comme celui sur la valeur pronostique des renseignements non sollicités en imagerie diagnostiques (PROVIDI), ont examiné l’importance des DF fréquentes, y compris l’hypersignal de matière blanche et les calcifications coronaires et aortiques, à titre de nouveaux marqueurs pronostiques15. Au cours de la prochaine décennie, il sera important d’amplifier nos bases de données probantes pour être en mesure d’utiliser de manière rentable la quantité grandissante de renseignements potentiellement utiles obtenus des études d’imagerie.
Il faudrait établir une claire délimitation des responsabilités et une hiérarchie des communications entre les hôpitaux, les pratiques de consultants et celles des médecins de famille en ce qui a trait à la prise en charge et au suivi des DF.
Même si une bonne partie des ouvrages publiés traitent de la prise en charge excessive des DF, de nombreuses études ont fait ressortir de faibles taux de suivi pour des DF, même lors de constatations potentiellement graves16–18. Dans les hôpitaux, des mesures d’amélioration de la qualité, comme la création d’un poste de « coordonnateur des DF » ou la délégation à d’autres professionnels de la santé, se sont révélés efficaces dans l’augmentation des taux de notification des patients, de suivi et de documentation dans les dossiers de l’hôpital19. Un système automatisé qui produit et transmet un rapport spécifique à chaque DF directement dans chaque dossier médical électronique a aussi été utile pour communiquer les DF aux patients et aux cliniciens20. Chaque établissement, département ou pratique de consultants qui demande une étude d’imagerie doit avoir des procédures en place de manière à ce que les DF soient prises en charge avant le congé du patient, que les patients fassent l’objet d’une demande de consultation auprès d’une autre spécialité ou que l’on demande aux médecins de famille de prendre en charge des DF potentiellement importantes. Même si la responsabilité de la prise en charge des DF incombe principalement au médecin qui a demandé l’étude d’imagerie, en raison de la relation longitudinale unique avec les patients qu’ont les médecins de famille, ces derniers ont aussi un rôle important dans la prise en charge des DF faites dans les études d’imagerie prescrites à l’hôpital ou par d’autres spécialistes. Par conséquent, nous proposons que les médecins de famille soient les champions en titre pour assurer que les DF potentiellement graves sont prises en charge de manière appropriée. L’inscription d’avis de suivi dans les dossiers médicaux électroniques aidera à rappeler les imageries de suivi aux intervalles nécessaires et à atténuer le fardeau des médecins de famille qui servent de « quarts arrières » pour leurs patients. Il faut prendre des mesures spéciales concernant les patients qui n’ont pas de relation avec un médecin de famille et pour lesquels il est essentiel d’avoir un plan de diagnostic ou de traitement avant de leur accorder leur congé.
Conclusion
Compte tenu des approches incohérentes à la prise en charge des DF, les soins aux patients sont compromis par une prise en charge soit excessive ou insuffisante, et le système de santé en subit des conséquences économiques considérables. Les médecins de famille, en tant que professionnels de première responsabilité dans les Centres de médecine de famille21, sont bien placés pour informer les patients au sujet d’éventuelles DF, déterminer les préférences du patient et diriger les plans appropriés de prise en charge et de suivi en collaboration avec les radiologistes et d’autres spécialistes. Les médecins de famille devraient travailler collectivement pour élaborer un ensemble d’outils sur la façon de traiter les les DF et promouvoir un ensemble uniforme de recommandations, de concert avec la communauté de l’imagerie médicale, de manière à ce qu’une stratégie cohérente de prise en charge des DF soit acceptée par les médecins de famille, les radiologistes et les autres spécialistes. S’il existe une approche ciblée et fiable aux DF, nous croyons que des DF spécifiques dans les rapports d’imagerie peuvent fournir de précieux renseignements pronostiques et diagnostiques susceptibles de servir à améliorer les soins aux patients.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2016 issue on page 541.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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