Plus de 10 millions de Canadiens vivent actuellement avec le diabète1. De ce nombre, 90 % ont un diabète de type 2 (T2DM)1. Des médicaments par voie orale récemment mis sur le marché et connus sous le nom d’inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT2) ont été homologués par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis en 2013 pour le traitement du T2DM2. Santé Canada a donné son approbation en 20143. Il a été démontré que le traitement avec des inhibiteurs du SGLT2 (canagliflozine, dapagliflozine ou empagliflozine) améliorait la perte pondérale et le contrôle de la glycémie, et offrait une protection cardiovasculaire4. Étant donné le profil clinique favorable des inhibiteurs du SGLT2, les professionnels de la santé prescrivent de plus en plus ces agents antihyperglycémiants. Par ailleurs, la FDA et Santé Canada ont récemment lancé une mise en garde à propos de la possibilité que les patients développent une acidocétose en les utilisant5,6. Qui plus est, la plupart des cas d’acidocétose se sont produits dans des cas de glycémie légèrement élevée ou normale (c.-à-d. une acidocétose diabétique euglycémique [DKA])6. Nous rapportons un cas d’acidocétose chez un patient atteint de T2DM dont le taux de glucose sérique se situait à 11,9 mmol/l lorsqu’il s’est présenté à l’urgence.
Cas
Un homme de 51 ans ayant des antécédents connus de T2DM et d’hypertension se présente à l’urgence se plaignant de malaise, de toux et de dyspnée intermittente depuis 1 semaine. Il indique qu’au cours des 2 jours précédents, il a peu mangé ou bu, a fait de la fièvre et s’est abstenu de prendre ses médicaments antihyperglycémiants (canagliflozine et linagliptine-metformine). Il signale avoir eu 3 épisodes de vomissements clairs le jour où il s’est présenté à l’urgence. Il dit ne pas avoir eu d’autres symptômes ou de contacts avec des personnes malades, et ne pas avoir voyagé. Il n’a pas pris de drogue, d’alcool ou d’autres substances. Il n’est pas vacciné contre la grippe et ne prend pas d’insuline.
Au triage, ses signes vitaux se situaient dans la normale, mis à part un rythme cardiaque de 122 battements/minute. Le patient semblait bien portant et n’était pas en détresse aiguë. La seule constatation pertinente à l’examen physique était des crépitements à l’inspiration au lobe inférieur gauche à l’auscultation des poumons.
Un électrocardiogramme à 12 dérivations a révélé une tachycardie sinusale à 101 battements/minute. L’analyse sanguine initiale donnait comme résultats un taux d’hémoglobine de 159 g/l (valeurs normales de 130 à 170 g/l); une numération de leucocytes de 12,1 × 109/l (valeurs normales de 4,8 × 109/l à 10,8 × 109/l); un nombre de neutrophiles de 11,0 × 109/l (valeurs normales de 2,0 × 109/l à 7,0 × 109/l); une numération plaquettaire de 405 × 109/l (valeurs normales de 130 × 109/l à 400 × 109/l); une glycémie aléatoire de 11,9 mmol/l (valeurs normales de 3,9 à 11,2 mml/l); une concentration de sodium de 139 mmol/l (valeurs normales de 136 à 144 mmol/l); un taux de potassium de 5,0 mmol/l (valeurs normales de 3,5 à 5,5 mmol/l); un niveau de chlorure de 93 mmol/l (valeurs normales de 98 à 109 mmol/l); un niveau total de CO2 de 8 mmol/l (valeurs normales de 22 à 29 mmol/l); un trou anionique de 38 mmol/l (valeurs normales de 4 à 12 mmol/l); un taux d’urée de 9,3 mmol/l (valeurs normales de 1,7 à 8,3 mmol/l); un niveau de créatinine de 111 µmol/l (valeurs normales de 62 à 106 µmol/l); et un débit estimé de filtration glomérulaire de 61 ml/min. Étant donné le trou anionique anormal et le niveau total de CO2, on a prescrit une analyse des gaz sanguins veineux, une analyse d’urine et une mesure répétée des électrolytes. La gazométrie sanguine veineuse a révélé un pH de 7,15 (valeurs normales de 7,32 à 7,42), un pCO2 de 3,9 kPa (valeurs normales de 5,5 à 6,8 kPa) et un taux de bicarbonate plasmatique de 10 mmol/l (valeurs normales de 22 à 30 mmol/l). L’analyse d’urine a fait constater de fortes élévations des concentrations de cétones et de glucose, et une légère élévation des niveaux de protéines. Les résultats étaient négatifs sur le plan des nitrites et des leucocytes. Le niveau de cétones plasmatiques était très élevé. Les niveaux d’acide lactique, d’enzymes hépatiques, de créatine kinase et de troponine T étaient tous normaux. Les constatations aux radiographies thoraciques ont signalé ultérieurement « qu’un infiltrat précoce du lobe inférieur droit ne pouvait pas être exclu ».
On a promptement administré au patient des fluides intraveineux et une perfusion d’insuline en attendant son transfert aux soins intensifs pour la prise en charge d’une acidocétose.
Un examen rétrospectif du dossier a révélé que le patient avait reçu un diagnostic de T2DM 8 ans auparavant. Il prenait 100 mg de canagliflozine par jour au départ, dose qui avait été augmentée à 300 mg par jour il y a 8 mois. Depuis le commencement de la thérapie, aucune DKA ou autre complication n’avait été documentée. Au nombre de ses autres médicaments figuraient une combinaison par voie orale de linagliptine (2,5 mg) et de metformine (1000 mg), à raison d’un comprimé 2 fois par jour; 8 mg de périndopril par voie orale par jour; 20 mg d’atorvastatine par voie orale par jour; et 81 mg d’acide acétylsalicylique par voie orale par jour.
Discussion
L’acidocétose diabétique est une urgence diabétique sérieuse. Elle se produit principalement chez les patients atteints de diabète de type 1 et se caractérise par une triade d’hyperglycémie (> 13,9 mmol/l), d’élévation des concentrations de cétones urinaires et sériques, et d’une acidose avec trou anionique élevé (pH sanguin artériel < 7,3)7. Typiquement, les taux de bicarbonate sérique sont inférieurs à 15 mmol/l7. La DKA euglycémique, qui désigne une DKA sans hyperglycémie marquée, est considérée rare, quoique ce puisse être attribuable au fait qu’elle ne soit pas toujours reconnue ou signalée2,6,8. Sans traitement, la DKA peut entraîner de graves complications, dont une hypokaliémie, des lésions rénales aiguës, un œdème cérébral, un syndrome de détresse respiratoire aigu, un choc et même la mort9. C’est pourquoi un traitement sans délai est crucial et comporte une prompte administration de fluides intraveineux, une perfusion régulière d’insuline et la surveillance des anomalies dans les électrolytes. Blouin a donné des détails plus approfondis sur la prise en charge de l’acidocétose diabétique chez l’adulte dans un numéro antérieur du Médecin de famille canadien7.
Les inhibiteurs du SGLT2 sont disponibles sur le marché nord-américain depuis 20132. La canagliflozine a d’abord été homologuée au Canada en 2014, suivie par la dapagliflozine et l’empagliflozine, qui l’ont été en 20153. Ces médicaments agissent sur les tubes contournés proximaux du rein et préviennent la réabsorption du glucose venant de l’urine primaire2. Une récente étude randomisée contrôlée sur les inhibiteurs du SGLT2 a fait valoir une efficacité semblable ou même supérieure dans la réduction de la glycémie à jeun, du poids corporel, des taux d’hémoglobine A1c et de la pression artérielle par rapport aux agents habituels (metformine, sulfonylurées et sitagliptine)3. De plus, l’étude EMPA-REG OUTCOME (étude concernant les effets sur les paramètres cardiovasculaires de l’empagliflozine chez les patients atteints de diabète de type 2) fait valoir une réduction remarquable dans la mortalité cardiovasculaire et toutes causes confondues avec l’empagliflozine3. Leurs effets indésirables courants sont les infections génito-urinaires et l’hypotension orthostatique. Parce que leur mécanisme d’action ne dépend pas de l’insuline et que le risque d’hypoglycémie est faible, les inhibiteurs du SGLT2 sont considérés comme de précieux agents adjuvants dans la prise en charge du T2DM8. Toutefois, selon la FDA, entre mai 2013 et juin 2015, 73 cas d’acidocétose exigeant une hospitalisation ont été signalés chez des patients prenant des inhibiteurs du SGLT26. Le délai moyen avant l’apparition des symptômes était de 43 jours (entre 1 et 365 jours)6. Depuis, un plus grand nombre de rapports ont été publiés et documentent ce phénomène, notamment que la plupart des cas présentaient des glycémies de moins de 13,9 mmol/l (moyenne de 11,7 mmol/l)6,8. Les facteurs déclencheurs potentiels de l’acidocétose n’ont été identifiés que dans la moitié des cas seulement4,6. Il s’agit, entre autres, d’une maladie aiguë, d’une infection urinaire, d’un traumatisme, d’un faible apport alimentaire, d’une hypovolémie, d’une insuffisance rénale aiguë et de la consommation d’alcool6,8,10. Pareillement, une recherche dans la Base de données en ligne des effets indésirables de Canada Vigilance a recensé au total 106 cas d’acidocétose (88 avec la canagliflozine et 18 avec la dapagliflozine) qui se sont produits entre décembre 2014 et décembre 201511. Cette situation a déclenché la diffusion d’un avis de santé publique et une étude par Santé Canada, amorcée en juin 2015, pour déterminer si des changements étaient nécessaires dans la prescription de cette classe de médicaments5. En mai 2016, Santé Canada a publié un avis insistant sur le lien entre les inhibiteurs du SGLT2 et la DKA et travaille avec les fabricants pour mettre à jour les monographies des produits12.
De multiples théories sont proposées pour expliquer le lien entre les inhibiteurs du SGLT2 et l’acidocétose. L’une d’entre elles l’attribue à une baisse de la sécrétion d’insuline par les cellules pancréatiques en réaction à la diminution de la glycémie par excrétion urinaire2. Ce mécanisme entraîne une baisse de l’insuline dans la circulation et de son activité antilipolytique, d’où une augmentation de la production d’acides gras libres2. D’autres données probantes font valoir que les inhibiteurs du SGLT2 stimulent la production de glucagon qui exerce une contrerégulation, ce qui en retour contribue à la production de corps cétoniques13,14. Une autre étude sur des sujets animaux suggère que les inhibiteurs du SGLT2 pourraient réduire la clairance rénale des corps cétoniques2. Le résultat net est une stimulation de la cétogenèse et une augmentation des cétones sériques qui prédisposent le corps à une acidocétose. L’effet est aggravé en présence de facteurs de stress physiologique incluant, par exemple, la privation d’aliments ou la déshydratation6,8,10. Même si la recherche sur la pathophysiologie est actuellement en cours et qu’aucune cause définitive n’a été établie, l’association entre les inhibiteurs du SGLT2 et la DKA ne peut pas être ignorée.
Revenant à notre cas, il convient de faire remarquer que l’acidocétose dans le contexte d’une thérapie avec un inhibiteur du SGLT2 peut être difficile à diagnostiquer. Notre patient présentait des signes, des symptômes et des résultats initiaux d’analyses sanguines qui laissaient présager une infection des voies respiratoires supérieures. Ses signes vitaux étaient stables et son taux de glucose sanguin mesuré aléatoirement était légèrement élevé (11,9 mmol/l). Étant donné qu’il s’agissait d’un patient atteint de T2DM qui prenait des médicaments strictement par voie orale, la suspicion clinique d’une DKA était plutôt faible. Si seule la glycémie avait été prise en compte sans répéter les profils biochimiques et obtenir les concentrations de cétones, un diagnostic provisoire de pneumonie aurait été posé et le patient aurait obtenu son congé avec des antibiotiques oraux. Ainsi, le diagnostic d’acidocétose aurait passé inaperçu, ce qui aurait pu causer les résultats dommageables mentionnés plus tôt. Heureusement pour le patient, il s’est présenté à l’urgence, où des investigations plus poussées étaient aisément accessibles. À la suite de la confirmation d’une acidocétose, le patient a été admis aux soins intensifs et pris en charge de manière approprié. Son acidose et son trou anionique s’étaient corrigés après 2 jours. Il a reçu son congé avec une prescription d’insuline sous-cutanée, et ses antihyperglycémiants ont été discontinués jusqu’à ce que son endocrinologue fasse une évaluation plus approfondie. Le cas a été signalé à Santé Canada.
Conclusion
L’acidocétose est un effet secondaire rare mais sérieux des inhibiteurs du SGLT2. Quoiqu’elle ne se produise que dans moins de 1 % des cas, elle est de plus en plus signalée parce que ces médicaments deviennent plus communément utilisés dans la pratique médicale. Sa présentation atypique et sa survenance dans un état relativement euglycémique peuvent induire les médecins en erreur. Jusqu’à ce que d’autres études de recherche clarifient ce problème, les cliniciens doivent demeurer hautement vigilants et ne pas hésiter à obtenir les concentrations de cétones chez les patients qui prennent des inhibiteurs du SGLT2. C’est particulièrement le cas lors de l’amorce récente de la thérapie, d’une maladie aiguë ou de signes et symptômes laissant présager une DKA. Une telle suspicion assurera un diagnostic et un traitement sans délai de ce problème menaçant pour le pronostic vital, interventions qui pourraient autrement être omises si l’on ne se fie qu’à la glycémie.
Notes
POINTS DE REPÈRE DU RÉDACTEUR
La pathophysiologie de l’acidocétose dans le contexte de l’utilisation d’un inhibiteur du cotransporteur sodium-glucose de type 2 n’est pas claire et le problème peut être difficile à diagnostiquer.
Il ne faut pas être rassuré par des signes vitaux tables, des symptômes non spécifiques et une glycémie relativement normale, mais plutôt obtenir les concentrations de cétones dans tous les cas d’acidocétose diabétique soupçonnés.
Il y a lieu de surveiller étroitement les patients qui prennent des inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 et de les conseiller quant aux symptômes (nausée, vomissements, douleur abdominale, tachypnée, léthargie) et aux déclencheurs (consommation d’alcool, infection, réduction de l’apport alimentaire) de l’acidocétose diabétique.
Footnotes
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous sur www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the September 2016 issue on page 722.
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