Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario a récemment rendu public le rapport provisoire1 d’un groupe de travail chargé de présenter des recommandations sur 3 troubles de santé fondés sur des symptômes, qui ont à la fois des caractéristiques communes et des particularités distinctes (Encadré 1) : l’encéphalomyélite myalgique/le syndrome de fatigue chronique (EM/SFC), la fibromyalgie (FM) et les manifestations d’intolérance au milieu/de sensibilité chimique multiple (IM/SCM)2.
Symptômes typiques de l’EM/SFC, de la FM et de l’IM/SCM
Parmi les symptômes communs aux 3 problèmes de santé figurent les suivants :
Fatigue et, à divers degrés, douleurs, troubles du sommeil, et symptômes neurologiques et cognitifs
Les symptômes distincts selon le problème incluent les suivants :
La fatigue dans l’EM/SFC est chronique et profonde, et n’est pas soulagée par le repos, et un malaise est ressenti après un effort physique
La douleur musculosquelettique dans la FM est largement répandue
Les symptômes de l’IM/SCM sont provoqués par l’exposition à de faibles niveaux de multiples agents chimiques, biologiques ou physiques (souvent sans liens entre eux). Les symptômes sont habituellement de nature neurocognitive et peuvent toucher le système respiratoire ou d’autres systèmes. L’élimination des agents déclencheurs soulage ou améliore les symptômes
EM/SFC—encéphalomyélite myalgique/syndrome de fatigue chronique, FM‑fibromyalgie, IM/SCM—manifestations d’intolérance au milieu/de sensibilité chimique multiple.
Aucun de ces troubles ne produit des résultats physiques ou de laboratoire uniformes, et leur gravité varie en intensité. Les mécanismes biologiques sousjacents demeurent nébuleux. Comme c’est le cas avec de nombreux problèmes chroniques, les patients sont à risque d’anxiété, de dépression et d’autres symptômes psychologiques. De tels attributs, de même que l’absence de traitements éprouvés et de guides de pratique clinique, se sont traduits par des décennies d’incertitude entourant le diagnostic, des investigations inutiles, des traitements inefficaces et des souffrances non allégées.
Par ailleurs, comme le souligne le rapport, de récentes percées ont mis en évidence la nécessité et les possibilités de trouver des solutions. La première se situe dans les données probantes sur la prévalence de ces troubles au Canada et sur leurs effets sur le recours aux soins de santé et sur le travail. La deuxième consiste en des données probantes de plus en plus nombreuses pointant vers des mécanismes biologiques susceptibles de mener à des traitements efficaces. Ces percées, y compris celles résumées dans cet article, méritent d’être largement communiquées dans le milieu des soins primaires.
Prévalence et coûts
Des données tirées de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2014 par Statistique Canada indiquent que chez les Canadiens de 25 ans et plus, 5,5 % (1,3 million) ont signalé souffrir de 1 ou plusieurs de ces troubles : 1,6 % disaient avoir l’EM/SFC, 2,0 %, la FM et 2,7 % l’IM/SCM. Plus du double de femmes que d’homme étaient susceptibles de rapporter l’un ou l’autre de ces troubles. En comparant les répondants qui ont mentionné 1 ou plusieurs de ces problèmes avec ceux qui n’en avaient aucun, 16 % par rapport à 10 % ont signalé avoir consulté un médecin de soins primaires au moins 10 fois durant l’année précédente, 53 % par rapport à 32 % ont dit avoir eu au moins 1 consultation avec un spécialiste, 15 % par rapport à 8 % ont eu au moins 1 hospitalisation et 40 % par rapport à 26 % étaient sans emploi3. Les coûts économiques et humains de ces problèmes de santé semblent considérables.
Mécanismes biologiques : EM/SFC et FM
Certains progrès ont clairement été réalisés dans la reconnaissance de l’EM/SFC et de la FM, de même que dans la recherche sur ce sujet4–7, y compris des travaux par l’Institute of Medicine des États-Unis et des conseils aux patients de l’American College of Physicians. Ces avancées corroborent l’existence de ces troubles comme étant des problèmes incapacitants distincts qui touchent des millions de personnes et ont une cause organique ou physiologique probable. On soupçonne que le facteur déclencheur initial de l’EM/SFC serait une infection, et que des facteurs environnementaux et polygénétiques y contribueraient. Les données probantes se font plus nombreuses selon lesquelles des pathologies immunologiques et inflammatoires, une interruption des signaux neurotransmetteurs, des perturbations du microbiome et des anomalies métaboliques ou mitochondriales seraient en cause. Des études sur des jumeaux indiquent que l’hérédité pourrait expliquer 50 % des risques de développer la FM7. Certaines études font valoir la contribution de polymorphismes génétiques reliés au métabolisme des neurotransmetteurs impliqués dans la modulation de la douleur.
Stigmatisation et maigre financement : IM/SCM
Par contre, en Amérique du Nord, la reconnaissance de l’IM/SCM et la recherche au sujet de ces manifestations demeurent plutôt rares. (La seule exception se situe dans des travaux préliminaires réalisés par l’Unité de recherche sur l’hypersensibilité environnementale de l’Université de Toronto, qui ont révélé une validité discriminante dans 2 définitions de cas publiées7 et ont cerné des associations avec des polymorphismes génétiques connus pour altérer le métabolisme de certains produits chimiques9.) Une recension détaillée dans PubMed a permis de trouver seulement 320 références spécifiques à l’IM/SCM par rapport à 7453 références concernant l’EM/ SFC et 9846 références portant sur la FM, et un nombre relativement faible décrivant des recherches inédites. Aucune revue des données probantes entourant l’IM/ SCM n’a été réalisée depuis une déclaration en 1999 de l’American College of Occupational and Environmental Medicine10 et un atelier international en 200111, dont les conclusions dans les 2 cas indiquaient que des investissements substantiels en recherche étaient nécessaires. Ces investissements ne se sont pas concrétisés.
Le financement de la recherche sur ces 3 troubles s’est révélé minime ou inexistant. Par exemple, de 2012 à 2015, les Instituts de recherche en santé du Canada ont financé 2 subventions pour l’EM/SFC, 11 pour la FM et aucune pour l’IM/SCM, pour un montant total combiné de 1,8 million $, soit moins de 10 % du financement versé pour la recherche sur l’emphysème ou sur la sclérose en plaques et l’épilepsie, dont la prévalence est moins élevée.
La lenteur des progrès reflète probablement la stigmatisation sociale entourant ces troubles12,13. La situation est particulièrement grave dans le cas de l’IM/SCM, étant donné la nécessité continuelle pour les patients affectés d’éviter l’exposition aux articles qui déclenchent leurs symptômes, comme les parfums, les produits de nettoyage et les crayons feutres14. La stigmatisation accroît aussi le risque d’anxiété, de dépression et d’autres symptômes psychologiques qui peuvent être pris à tort pour des causes plutôt que des effets des maladies elles-mêmes. De plus, l’incertitude entourant les stratégies de prise en charge et, dans le cas de l’IM/ SCM, les batailles juridiques qui s’ensuivent souvent concernant des problèmes de causalité et d’évitement « refroidissent » sans contredit les ardeurs des cliniciens et des scientifiques, et découragent la participation aux soins cliniques et à la recherche.
Prochaines étapes
La situation pourrait changer. Par exemple, les Instituts de recherche en santé du Canada ont annoncé les résultats d’un concours pour l’obtention d’une subvention de planification et de dissémination concernant l’EM/SFC15, un signe précurseur d’un important financement potentiel futur de la recherche fondamentale. Les National Institutes of Health des États-Unis ont annoncé la création de 3 centres de recherche en collaboration sur l’IM/SCM et un financement de plus de 6 millions $ en 201716. Dans le cas de l’IM/SCM, un nombre grandissant d’études de recherche ont été publiées par des chercheurs en Europe et au Japon. Elles ont produit des données probantes étayant l’implication de facteurs de susceptibilité neurobiologiques17,18, métaboliques19 et génétiques20.
Enfin, dans son rapport provisoire, le groupe de travail du ministère de la Santé et des Soins de longue durée a proposé que des mesures concrètes soient prises pour établir le fondement d’un système de soins efficaces et centrés sur le patient en Ontario (Encadré 2)1. Il travaille présentement à convoquer des experts de ces 3 troubles de santé pour établir des définitions de cas et produire par la suite des guides de pratique clinique qui serviront quotidiennement à les reconnaître et à les prendre en charge, de même qu’à formuler un fondement pour la recherche.
Recommandations du Groupe de travail sur la santé environnementale du MSSLDO
Faire évoluer les discussions et favoriser une meilleure compréhension et une reconnaissance accrue de ces troubles
Recommandation 1.1 : Faire une déclaration officielle afin de reconnaître l’EM/SFC, la FM et l’IM/SCM
- Le groupe de travail recommande que le MSSLDO fasse une déclaration afin de reconnaître l’EM/SFC, la FM et l’IM/SCM, de souligner le caractère débilitant de ces troubles, de contrer la perception selon laquelle ces troubles seraient de nature psychologique, et de prendre l’engagement d’améliorer les soins, la formation et le soutien à l’intention des personnes soignantes
Recommandation 1.2 : Créer des chaires universitaires axées sur l’EM/SFC, la FM et l’IM/SCM
- Le groupe de travail recommande que le MSSLDO finance des chaires universitaires spécialisées en santé environnementale clinique, axées spécifiquement sur l’EM/SFC, la FM et l’IM/SCM
Recommandation 1.3 : Moderniser le code d’honoraires K037 du Programme d’assurance-santé de l’Ontario afin d’y inclure ces 3 troubles
- Le groupe de travail recommande que le MSSLDO relance le processus de modernisation du code K037, en collaboration avec des médecins et des experts du milieu des patients, afin de veiller à ce que ces 3 troubles soient reconnus
Favoriser une compréhension commune de l’EM/SFC, de la FM et de l’IM/SCM
Recommandation 2.1 : Élaborer des définitions de cas cliniques et des lignes directrices de pratique clinique visant à assurer des soins normalisés, de haute qualité et axés sur le patient
- Le groupe de travail recommande que le MSSLDO mette sur pied un comité d’experts afin d’établir un consensus concernant des définitions de cas cliniques et des lignes directrices de pratique clinique pour chacun des 3 troubles de santé
Établir les fondements d’un système de soins axé sur la personne
Recommandation 3.1 : Établir des parcours de soins cliniques détaillés afin de favoriser la création d’un système de soins fondé sur des données probantes
- Le groupe de travail recommande que le MSSLDO fournisse des fonds dans le but d’appuyer l’élaboration de parcours de soins cliniques à l’intention des personnes atteintes d’EM/SFC, de FM et d’IM/SCM, et de concevoir un système de soins approprié et axé sur les patients en Ontario.
Recommandation 3.2 : Rendre les hôpitaux sécuritaires pour les personnes atteintes d’EM/SFC, de FM et d’IM/SCM
- Le groupe de travail recommande que le MSSLDO travaille avec ses partenaires, comme l’Association des hôpitaux de l’Ontario, et avec des experts du milieu des patients, des soignants et des médecins afin de veiller à ce que les hôpitaux se conforment, le plus rapidement possible, aux dispositions législatives pertinentes en matière d’accessibilité et de mesures d’adaptation
Recommandation 3.3 : Rendre les foyers de soins de longue durée sécuritaires pour les personnes atteintes d’EM/SFC, de FM et d’IM/SCM
- Le groupe de travail recommande que le MSSLDO travaille avec ses partenaires, comme les organismes fournisseurs de soins de longue durée, et avec des experts du milieu des patients, des soignants et des médecins afin de veiller à ce que les foyers de soins de longue durée se conforment, le plus rapidement possible, aux dispositions législatives pertinentes en matière d’accessibilité et de mesures d’adaptation
Accroître le nombre de fournisseurs de soins de santé bien renseignés
Recommandation 4.1 : Poursuivre le financement du programme de perfectionnement des compétences des résidents de troisième année en santé clinique environnementale
- Le groupe de travail recommande que le MSSLDO poursuive le financement de ce programme jusqu’à ce que le groupe de travail fasse d’autres recommandations relatives à la formation supérieure spécialisée dans les domaines de l’EM/SFC, de la FM et de l’IM/SCM
EM/SFC—encéphalomyélite myalgique/syndrome de fatigue chronique, FM‑fibromyalgie, IM/SCM—manifestations d’intolérance au milieu/de sensibilité chimique multiple, MSSLDO—ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario. Adaptation du Groupe de travail sur la santé environnementale du MSSLDO1.
Étant donné la nature répandue de ces problèmes à l’échelle du pays et le fardeau des souffrances qui leur sont inhérentes, il importe que tous les cliniciens, et en particulier les médecins de soins primaires aux premières lignes, en prennent bien note. Nous lançons aussi un appel à un effort national pour accroître la recherche concernant ces 3 troubles en tant qu’entités distinctes, tout en réalisant les efficiences associées au fait de les étudier ensemble.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 413.
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