Le cancer du col est le troisième cancer le plus commun du système reproducteur chez les femmes canadiennes et les personnes ayant un col utérin1. En 2021, environ 1450 personnes ont reçu un diagnostic de cancer du col et 380 en sont décédées2. Presque tous les cancers du col sont causés par un sous-type à risque élevé du virus du papillome humain (VPH), et ils sont possibles à prévenir grâce à une combinaison de vaccination contre le VPH ainsi que de programmes de dépistage qui reposent sur le dépistage et le traitement précoces de la maladie au stade préinvasif3.
Même si chaque province au Canada a sa propre stratégie de dépistage du cancer du col, toutes se fient actuellement à la cytologie (soit le test traditionnel de Papanicolaou ou la cytologie en phase liquide). Le test de dépistage du VPH est plus coûteux que la cytologie, mais il est aussi plus sensible (89,9 c. 72,9 %) pour détecter la maladie au stade préinvasif4. La probabilité est moins grande que les patientes qui ont des résultats négatifs au dépistage du VPH reçoivent un diagnostic de néoplasie cervicale intraépithéliale de grade élevé dans les 48 mois suivants5. Même si le dépistage du VPH est largement réservé aux personnes à risque plus élevé, certaines provinces s’apprêteraient à utiliser les tests pour le VPH en dépistage primaire. Il existe actuellement au Canada une panoplie hétérogène de lignes directrices sur le dépistage; notamment, certaines provinces commencent le dépistage à 21 ans et d’autres à 25 ans chez les femmes ou les personnes ayant un col utérin qui ont eu leurs premiers rapports sexuels, et elles procèdent aux dépistages subséquents à intervalle de 2 ou 3 ans6-8. Depuis 2013, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs recommande de ne pas faire de dépistage systématique chez toutes les personnes sexuellement actives de moins de 25 ans, en raison des données limitées étayant ses bienfaits pour réduire la mortalité9. Quelque 9 ans plus tard, seules les provinces de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et de l’Île-du-Prince-Édouard ont mis en œuvre ces plus récentes recommandations10-13. Le rythme d’adoption des lignes directrices réformées révèle la lenteur des progrès dans l’actualisation du dépistage du cancer du col par rapport à d’autres pays.
En Ontario, au cours des 6 premiers mois de la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), le nombre moyen de tests de dépistage du cancer du col par mois a chuté de 63,8 % et le nombre d’anomalies cytologiques de grade élevé identifiées a baissé de 51 %14. Les perturbations causées par la pandémie de la COVID-19 aux soins primaires en personne ont mis en évidence des lacunes considérables dans l’infrastructure nécessaire à la continuité des mesures de dépistage; l’autoprélèvement pourrait se révéler une solution durant de telles périodes d’interruption. Même avant la pandémie de la COVID-19, il était évident que certaines populations rencontraient plus d’obstacles au dépistage systématique. Par exemple, les taux de dépistage sont plus faibles chez les personnes à revenu moins élevé, les personnes à mobilité réduite en raison d’une incapacité, les immigrants en milieu urbain et les patients en région rurale. Au Canada, chez les Autochtones, les taux de dépistage du cancer du col sont moins élevés et, selon la province, les risques d’un diagnostic de cancer du col sont de 2 à 20 fois plus élevés15. Au Manitoba, le taux de diagnostic de cancer invasif du col chez les Autochtones est 3,6 fois plus élevé que dans la population en général16. Les obstacles systémiques et sociaux combinés se traduisent par des taux de dépistage plus faibles dans ces communautés et par une présentation du cancer à des stades plus avancés. À l’heure actuelle, nous avons la technologie permettant aux personnes d’effectuer elles-mêmes un prélèvement pour dépister le VPH sans avoir besoin d’un examen avec spéculum ou d’une visite auprès d’un professionnel de la santé. L’intégration de l’autoprélèvement pour détecter le VPH comme option dans les programmes provinciaux de dépistage du cancer du col pourrait atténuer les obstacles à ce dépistage et régler certaines des iniquités actuelles dans la population sur le plan du dépistage et de l’incidence du cancer, de même qu’offrir une solution durant des perturbations considérables des soins préventifs.
Combler les lacunes par l’autoprélèvement comme solution de rechange
Des tests de détection du VPH par autoprélèvement pourraient être distribués dans les milieux de soins de santé ou ailleurs. La trousse de test pourrait être fournie et utilisée dans une clinique médicale; autrement, elle pourrait être envoyée par la poste, utilisée par la personne à la maison et retournée par la poste au laboratoire. Les trousses peuvent comprendre des instructions en plusieurs langues sur la façon de prélever un spécimen. Il a été démontré dans des programmes pilotes au Mexique, en Argentine, en Australie et dans divers pays européens que ces types de trousses d’autoprélèvement augmentent la participation au dépistage du cancer du col17. Un programme expérimental de test de détection du VIH par autoprélèvement à Ottawa (Ontario) en 2020 a démontré que les tests d’autoprélèvement envoyés par la poste sont utiles pour aider à maintenir l’accès au dépistage durant des interruptions dans les soins continus, comme celles causées par une pandémie18. De nombreuses provinces, dont l’Ontario et la Colombie-Britannique ont déjà l’infrastructure voulue pour poster du matériel de dépistage du cancer aux personnes admissibles; il suffit de penser, par exemple, aux tests immunochimiques des selles postés à des millions de personnes au pays19,20.
L’option de l’autoprélèvement aiderait aussi les personnes déjà confrontées à des obstacles à l’accès à des services de soins primaires, comme celles à faible revenu, les immigrantes en milieu urbain, les Autochtones vivant loin des services de santé, ou les parents incapables d’avoir un moyen de transport ou un service de garderie pour se présenter à la clinique1. En outre, 6,7 % des personnes vivant en Ontario n’ont pas de médecin de soins primaires, ce qui est un facteur essentiel dans le dépistage systématique du cancer21. Grâce à la collaboration d’autres professionnels de la santé, la distribution des trousses d’autoprélèvement pour le VPH par les pharmacies et les centres communautaires dans les districts urbains ou à faible revenu pourrait contribuer à éliminer ces obstacles. Il faudrait aussi que l’autoprélèvement soit soutenu par un service au sein du programme de dépistage du cancer, qui se consacre à faire le suivi des résultats anormaux pour les personnes qui n’ont pas de fournisseurs de soins primaires, à organiser les soins subséquents appropriés ou à les aider à trouver un médecin.
Les examens par autoprélèvement peuvent aussi offrir une option plus rassurante et plus centrée sur les patientes. Les personnes qui hésitent à subir un test de Pap par pudeur, ou pour des raisons religieuses ou culturelles, pourraient choisir de faire elles-mêmes le prélèvement. Il est peu probable que les patients transgenres fassent l’objet du dépistage du cancer du col recommandé, et certains d’entre eux, ayant été identifiés de sexe féminin à la naissance, ont rapporté que les tests de Pap représentent une expérience anxiogène que, par conséquent, ’ils évitent22. Dans une étude par Reisner et ses collègues, on a constaté que les spécimens vaginaux prélevés par les patientes transmasculines étaient une option jugée considérablement plus acceptable, ce qui vient étayer la notion selon laquelle l’autoprélèvement est un moyen de dépistage du cancer davantage centré sur le patient23. En plus des aspects pratiques de l’administration du test à domicile, l’autoprélèvement peut aussi servir de solution de rechange plus sensible aux traumatismes à l’intention des personnes qui évitent les tests de Pap parce qu’ils déclenchent des rappels traumatisants24, sans compter qu’il constitue une expérience plus rassurante pour les personnes à mobilité réduite ou ayant une incapacité qui ont vécu des moments déplaisants durant des rendezvous antérieurs25.
Si les lacunes dans le dépistage étaient comblées, il serait possible d’augmenter la participation au dépistage, de détecter plus tôt le cancer, de prévenir la détection tardive du cancer et, avant tout, de réduire la morbidité et la mortalité grâce à une intervention précoce. En plus de l’utiliser dans la prévention secondaire du cancer du col, l’autoprélèvement peut aussi être combiné à la détection des infections transmises sexuellement, le cas échéant26. Pour faciliter l’autoprélèvement, le test pour le VPH doit être intégré comme méthode primaire de test dans les programmes de dépistage provinciaux du cancer du col, et il faut aussi mettre sur pied une infrastructure appropriée au sein du système de santé provincial. À l’heure actuelle, seules les patientes à risque élevé ont accès au test de détection du VPH. Les lignes directrices concernant la détection du VPH devraient être actualisées pour offrir à l’ensemble de la population admissible au dépistage la possibilité d’un autoprélèvement.
Comme dans tous les tests autoadministrés, l’exactitude est une préoccupation importante. Tant les cliniciens que les patientes ont signalé des inquiétudes entourant l’exactitude des tests autoadministrés de détection du VPH27. Bien que les tests pour le VPH soient plus sensibles que la cytologie des tests de Pap (89,9 c. 72,9 %), cette sensibilité est tributaire d’une administration correcte du test, ce qui exige des patientes qu’elles suivent bien les instructions4,17. Dans une méta-analyse, Arbyn et ses collègues ont constaté une concordance et une exactitude semblables entre les spécimens obtenus par les médecins et ceux prélevés par les patientes pour la détection du VPH28. Il est possible d’atténuer les inquiétudes entourant le risque de résultats faux négatifs en raison de spécimens prélevés de manière inappropriée en fournissant des instructions très claires.
Le coût des tests de détection du VPH pour le dépistage du cancer du col compte aussi au nombre des facteurs qui ont retardé leur adoption. La rentabilité continue d’être une considération importante dans la mise en œuvre de changements aux lignes directrices sur le dépistage. Par ailleurs, la littérature scientifique indique que les tests pour le VPH peuvent être plus rentables que notre système actuel de dépistage. Dans une étude rétrospective aux États-Unis portant sur 99 549 personnes, 3 groupes étaient comparés : celui qui recevait un dépistage par cytologie de Pap suivi d’un test pour le VPH si indiqué; celui qui recevait à la fois le dépistage par cytologie et le test pour le VPH; et celui qui recevait le test pour le VPH comme dépistage primaire. L’étude a démontré que l’utilisation du test pour le VPH comme dépistage de première intention était la plus rentable, en partie parce que ce test était plus spécifique et entraînait moins de colposcopies inutiles29. Ces résultats ont été répliqués dans d’autres pays; une revue systématique sur les programmes d’autoprélèvement pour la détection du VPH dans divers pays a signalé que 14 des 16 études examinées faisaient valoir que l’autoadministration du test pour le VPH était rentable30.
L’envoi par la poste des trousses d’autoprélèvement peut atténuer les iniquités pour certains groupes, mais cette approche omet de répondre aux besoins d’autres groupes démographiques, notamment ceux dont le logement est précaire ou en itinérance. Pour les personnes qui se préoccupent surtout du besoin urgent de trouver un abri et d’être en sécurité, le dépistage du cancer du col ne figure assurément pas parmi leurs grandes priorités. Il faut élaborer des stratégies délibérées pour assurer le dépistage dans ces groupes, et assurer un suivi approprié chez les personnes dont les résultats de dépistage sont positifs, même si elles n’ont pas de médecin de soins primaires.
Enfin, on se préoccupe beaucoup du fait que le transfert des services de santé des cliniques vers les soins à domicile se traduise par la disparition du rendezvous routinier pour un test de Pap comme moyen d’ancrer la prestation d’autres services de soins primaires31. Les rendez-vous pour un test de Pap peuvent servir d’occasions pour aborder d’autres éléments de la santé, administrer des vaccins et repérer d’autres inquiétudes sur le plan de la sécurité. De plus, cette occasion donne aux patientes la possibilité d’interagir avec leur médecin de soins primaires et de renforcer la relation de confiance patiente-médecin. Le transfert du dépistage du cancer du col des cliniques vers le domicile des patientes menace véritablement d’autres services de soins primaires intégrés aux rendez-vous pour un test de Pap. Pour cette raison, l’autoprélèvement ne devrait pas remplacer les tests de Pap effectués par les médecins, mais devrait être offert aux personnes comme une option.
L’avenir est individualisé
Une tendance générale se dégage en faveur de l’autodépistage du cancer du col de l’utérus et d’autres problèmes de santé sexuelle. L’Australie et les Pays-Bas ont intégré les tests d’autodépistage du VPH dans leurs programmes nationaux de dépistage30. Le Canada a approuvé des trousses d’autoprélèvement pour le VPH, et la Colombie-Britannique a récemment lancé un projet pilote visant leur utilisation32.
L’incorporation de l’autoprélèvement dans les programmes de dépistage du cancer du col peut atténuer les obstacles à un traitement équitable et augmenter la participation au dépistage. Son intégration en tant qu’option offerte aux personnes peut améliorer les soins et augmenter la détection précoce.
Footnotes
Intérêts concurrents
La Dre Amanda Selk est présidente de la Société canadienne des colposcopistes. Il ne s’agit pas d’un poste rémunéré. Les auteures n’ont pas d’autres conflits d’intérêts à déclarer.
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