Les résidents en médecine familiale au Canada sont formés pour utiliser une méthode clinique centrée sur le patient lorsqu’ils évaluent des patients qui se présentent avec des symptômes particuliers1. Cette approche repose sur une évaluation biomédicale, de même que sur une prise en compte des points de vue et des préoccupations des patients. Par conséquent, les patients et les médecins s’engagent dans une prise de décisions conjointe concernant la prise en charge des symptômes en cause chez ces patients. Des données probantes de plus en plus nombreuses révèlent que plusieurs symptômes communs, et pourtant incapacitants, peuvent être traités par une thérapie cognitivo-comportementale (TCC). En intégrant les principes sous-jacents de la TCC, les médecins de famille pourraient être capables d’améliorer ces symptômes courants chez leurs patients. En revanche, les médecins de famille devraient recevoir une formation appropriée pour utiliser efficacement cette approche durant leurs soins aux patients au quotidien.
Les symptômes des patients
La douleur chronique non cancéreuse est le plus récent symptôme qui s’est révélé traitable par des thérapies psychocorporelles, y compris la méditation et la TCC2. Garland et ses collègues ont effectué une revue systématique de 60 études auprès de plus de 6000 patients dont la douleur était traitée par des opioïdes, et ils ont cerné une modeste association entre les thérapies psychocorporelles et la réduction de la douleur, de même qu’une légère association avec la réduction de la dose d’opioïdes chez les patients qui en prenaient déjà. Au Canada, la douleur chronique non cancéreuse est un problème incapacitant commun et, selon une étude, sa prévalence est estimée à un peu moins de 20 % de la population adulte; parmi les répondants à l’étude, la moitié ont signalé souffrir de leur douleur depuis plus de 10 ans, et un tiers ont décrit leur douleur comme étant très sévère3. La région lombaire était le site le plus fréquent et l’arthrite, la cause la plus commune3. On a avancé la théorie que le mécanisme d’action de la TCC et d’autres thérapies psychocorporelles pour traiter la lombalgie était lié à un virage émotionnel vers l’acceptation de l’information sensorielle et la réévaluation de ces sensations comme étant bénignes4.
Il a aussi été démontré que la TCC atténuait d’autres symptômes courants, mais incapacitants. La prévalence de l’anxiété et des troubles connexes était de 18 % dans une étude aux États-Unis5 (aussi élevée que 31 % durant toute une vie partout dans le monde6) et ces problèmes s’accompagnent d’une réduction considérable de la qualité de vie. Dans une étude canadienne, le taux de diagnostics erronés de l’anxiété se situait à 71 %7. Les patients souffrant d’anxiété répondent bien à la TCC et le nombre de sujets à traiter était de seulement 2 chez les adultes anxieux plus âgés pour bénéficier de la TCC8,9.
La prévalence de la dépression au Canada est d’un peu moins que 5 % (un peu plus de 11 % durant toute une vie)10. Le Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments recommande la TCC comme traitement de première intention pour la dépression légère et comme thérapie adjuvante pour la dépression de modérée à sévère11. La TCC axée sur un traumatisme est efficace pour réduire le stress posttraumatique12. L’insomnie est un autre symptôme fréquent au Canada, et sa prévalence se situe entre 20 et 25 % chez les Canadiens de plus de 65 ans13. Il a été démontré qu’une TCC à composantes multiples pour l’insomnie améliore la qualité du sommeil telle que perçue par les aînés14. Cette association est pertinente, parce que l’utilisation de médicaments hypnotiques dans ce groupe d’âge est problématique en raison du risque élevé d’effets indésirables15. Les patients qui ont des symptômes liés à la fatigue, à la fibromyalgie et au syndrome du côlon irritable répondent bien à la TCC16-18. Il est présumé que le mécanisme d’action dans le cas du syndrome du côlon irritable viendrait de changements dans la réactivité de l’intestin à des sensations physiologiques amplifiés par l’intermédiaire du système nerveux autonome. Le soulagement des symptômes du syndrome du côlon irritable par la TCC laisse présager des bienfaits potentiels dans le traitement d’autres symptômes gastro-intestinaux par des thérapies psychocorporelles19.
Des symptômes médicalement inexpliqués sont l’objet d’un taux aussi élevé que 33 % des visites cliniques20. Ces symptômes sont fortement associés à la coexistence de l’anxiété et de la dépression, à une forte utilisation des soins de santé, à des investigations potentiellement coûteuses et à des rencontres difficiles avec les patients selon la perception des médecins. De plus, ces symptômes entraînent une baisse dans la qualité de vie semblable à celle vécue en raison de maladies médicalement définies21. Il a été démontré que la mise en application de la TCC de réattribution, une technique selon laquelle on donne aux patients une explication plausible et banalisante des symptômes en cause, améliore ces symptômes, de même que l’humeur des patients22. Cette technique est éprouvée pour atténuer les pensées des patients voulant que le problème soit purement physique23. D’autre part, une rassurance imprécise à propos des symptômes médicalement inexpliqués que les médecins ne peuvent expliquer de façon plausible peut avoir l’effet paradoxal d’exacerber les symptômes des patients24. Une analyse conceptuelle décrit une théorie mécanistique qui sous-tend les bienfaits du recours à une approche cognitivo-comportementale pour la prise en charge des symptômes sans explication médicale et autres25. En outre, une récente revue systématique décrit 3 études dans lesquelles il s’est produit une amélioration statistiquement significative des symptômes médicalement inexpliqués lorsqu’une TCC était dispensée par des médecins de soins primaires26. Il convient de signaler que la TCC effectuée par des médecins de soins primaires était aussi efficace que celle donnée par d’autres spécialistes.
La psychologie rencontre la médecine
Initialement décrite par Beck en 1976, la TCC explore les liens entre les pensées, les émotions et les comportements27. Cette technique thérapeutique vise à alléger la détresse du patient en l’aidant à prendre conscience de ses distorsions cognitives et de ses réactions émotionnelles, et en l’assistant dans le développement de pensées plus résilientes et d’un comportement adaptatif28. Avec les conseils d’un clinicien et au moyen de matériel standardisé en version imprimée ou électronique, le travail est principalement effectué par le patient, qui réfléchit à la rationalité des pensées automatiques, bien étayée par des données probantes, et évalue ses propres pensées. Pour la dépression, l’utilité de ce type de thérapie a fait ses preuves chez les patients de tous les âges, niveaux de scolarité et cultures11. Même quelques séances seulement de TCC effectuées par téléphone se sont révélées utiles pour traiter la dépression29.
La méthode clinique centrée sur le patient qu’on vient de décrire améliore de toute évidence de multiples problèmes de santé lorsque l’évaluation biomédicale du clinicien est combinée à une exploration des inquiétudes, des pensées, des sentiments et des attentes consciemment évaluées par le patient, et de leurs effets sur son fonctionnement30-35. Toutefois, la TCC concerne les attributs cognitifs du problème que présente le patient. Souvent, les patients ne sont pas entièrement conscients de ces attributs. Il est proposé ici que, si les médecins étaient en mesure de discerner les pensées automatiques du patient ou ses comportements dysfonctionnels durant une visite pour un problème donné, le fait de connaître les principes de la TCC les aiderait à mieux évaluer ce patient. En se fondant sur cette évaluation plus complète, les médecins pourraient mettre efficacement en application une approche cognitive pour aider à régler les symptômes du patient.
Le scénario suivant décrit comment une approche de TCC de réattribution pourrait contribuer à traiter le symptôme médicalement inexpliqué d’un patient. Imaginons un patient anxieux souffrant de céphalées non spécifiques sans qu’il y ait de constatations corroborant une cause à l’examen physique, mais qui est très inquiet parce qu’il a l’impression que sa tête va exploser. Le médecin pourrait expliquer de manière appropriée que l’examen fondoscopique révèle qu’il n’y a pas de pression sur le cerveau, mais que la tension musculaire sur le cuir chevelu pourrait raisonnablement expliquer un tel symptôme. Le point principal est qu’une explication plausible est donnée au patient plutôt qu’une rassurance élémentaire et inefficace. Un autre exemple clinique courant est celui d’un patient qui se présente avec une lombalgie aiguë. Si le patient dramatise ou adopte un comportement dysfonctionnel de surprotection concernant son mal de dos, le médecin pourrait, après avoir effectué de manière appropriée une évaluation physique détaillée et avoir répondu aux inquiétudes spécifiques du patient, discuter de l’évolution naturelle typique sans complication d’une lombalgie aiguë. En outre, le patient pourrait être informé qu’une réévaluation subséquente ne serait pas nécessaire, sauf à l’apparition de signaux d’alarme. Cette approche aide à remettre en question les pensées irrationnelles automatiques et le comportement dysfonctionnel. Une étude clinique sur la lombalgie a confirmé la réussite de cette approche, en ce sens que les mots précis prononcés par un médecin de soins primaires fiable lors de la première visite ont influencé le rétablissement du patient36. À cet égard, on pourrait s’attendre à ce que l’incidence de la douleur chronique soit réduite en incorporant simplement une approche cognitive à la première visite et à aux visites subséquentes pour une douleur aiguë. Comme en discutent Salkovskis et ses collègues25 dans leur analyse conceptuelle, une approche cognitive pourrait être utilisée pour aider à traiter de nombreux autres symptômes des patients, au point de service.
Ces nombreux travaux de recherche sur les thérapies cognitives et psychocorporelles portent à conclure que des facteurs psychologiques influent sur de nombreux symptômes des patients. En outre, en abordant ces facteurs durant les visites cliniques, les médecins peuvent contribuer à soulager les symptômes de leurs patients. Les médecins de famille occupent une position idéale pour ce faire, puisqu’ils sont souvent le premier point de contact pour les patients qui présentent de tels symptômes. En combinant une approche centrée sur le patient avec une technique cognitive, les médecins de famille seraient mieux préparés pour traiter les symptômes de leurs patients. Toutefois, dans certains cas, des séances formelles de TCC seront peutêtre nécessaires. À
Si l’on se fie à la popularité des ateliers sur la TCC durant le Forum annuel en médecine familiale, les médecins de famille canadiens souhaitent beaucoup développer des habiletés en TCC. Selon les dossiers du Forum en médecine familiale, il y avait un nombre de participants excédentaire lors d’une séance en grand groupe sur la TCC à la conférence de 2019. Les cliniciens de soins primaires reconnaissent les bienfaits de la TCC, mais ils rapportent des contraintes de temps et une rémunération insuffisante comme étant des obstacles à son application dans les soins cliniques37-39. Par ailleurs, les données probantes présentées dans cet article démontrent que les principes de la TCC fondée sur la cognition peuvent être mis en pratique de manière efficace et efficiente au point de service. La durée des consultations n’était pas plus longue lorsque la TCC de réattribution était utilisée par les médecins de soins primaires pour les patients qui présentaient des symptômes sans explication médicale24. Une étude a révélé que dans les 4 premières minutes d’une visite clinique (ou les 2 premières, s’il s’agissait d’une visite subséquente pour un même problème), les médecins étaient capables d’assurer que le symptôme que présente le patient resterait sans explication médicale24. De plus, la nécessité de multiples visites de suivi et d’investigations en serait réduite, d’où un montant considérablement réduit de temps de suivi. La plus grande satisfaction du patient et du médecin qui en découlerait constitue un bienfait additionnel susceptible d’améliorer l’efficacité des soins. Si un médecin juge qu’une TCC complète et exhaustive est nécessaire, il demeure essentiel, comme première étape, qu’il explique au patient la nature des pensées automatiques et des comportements dysfonctionnels, et qu’il lui fournisse des ressources fondées sur des données probantes. Il convient de signaler que si une TCC formelle est recommandée, les patients préfèrent faire un suivi auprès d’un clinicien de confiance, même s’ils suivent des programmes de TCC en ligne efficaces, recommandés par le clinicien11. Cependant, s’il n’est pas possible pour un médecin d’offrir une TCC complète en raison de contraintes de temps, il devrait y avoir au sein du centre de médecine de famille du patient un autre professionnel adéquatement formé pour offrir la TCC. Cette recommandation a déjà été mise en évidence dans le traitement de la douleur chronique, étant donné le degré élevé d’efficacité de la TCC pour traiter ce problème incapacitant2.
Les implications pour la formation en médecine familiale
Les Objectifs d’évaluation pour la certification en médecine de famille du Collège des médecins de famille du Canada mettent l’accent sur l’importance du fait que les résidents acquièrent des compétences en prestation de soins cliniques à l’aide d’une approche centrée sur le patient41. Ces objectifs recommandent aussi la mise en pratique de la méthode clinique décrite par Stewart et ses collègues en utilisant cette approche41. Cependant, cette méthode n’inclut pas l’exploration des pensées automatiques ou des comportements dysfonctionnels du patient, qui serait une habileté nécessaire si les cliniciens souhaitaient intégrer ces approches ou thérapies cognitivo-comportementales dans la pratique. Il existe de nombreux ateliers offerts au Canada pour initier les stagiaires à ces compétences fondamentales42-44. Une étude au Royaume-Uni a fait valoir que seulement 3 séances de 2 heures étaient nécessaires pour que les médecins de soins primaires se sentent en confiance de donner une TCC de réattribution45. L’approfondissement de l’expérience de la TCC en milieu de formation en pratique familiale améliorerait la mise en application efficace de ces techniques par les médecins de famille dans leur future pratique autonome.
Conclusion
Maintenant qu’un corpus grandissant de recherche démontre les nombreux bienfaits d’une approche cognitive pour aider à améliorer de nombreux symptômes communs, il nous incombe, en tant que médecins de famille, de suivre une formation pour comprendre et appliquer ces approches dans la pratique. Les personnes consultent initialement leur médecin de soins primaires pour des symptômes courants qui les préoccupent et qui doivent être rigoureusement évalués cliniquement par une approche biomédicale et centrée sur le patient. Selon la présentation, l’intégration d’une approche cognitivo-comportementale a le potentiel d’améliorer le traitement de multiples symptômes observés couramment. Par ailleurs, les médecins de famille ont besoin de formation pour utiliser une approche cognitivo-comportementale et mettre ces techniques thérapeutiques en pratique de manière compétente.
Footnotes
Remerciements
Cet article est un bref résumé d’un document de réflexion plus détaillé présenté au Collège des médecins de famille du Canada recommandant une formation de base en psychologie dans les programmes de résidence en médecine familiale.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the February 2022 issue on page 93.
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