Les stages optionnels font partie du programme d’études prédoctorales en médecine et sont nécessaires aux demandes d’inscription aux programmes de résidence postdoctoraux. Partout au Canada, tous les programmes de formation médicale prédoctorale exigent des apprenants qu’ils consacrent un certain temps à des stages optionnels. Les étudiants décident en grande partie du contenu et du lieu de ces stages. Ce temps leur a toujours servi à explorer des options de carrière, à améliorer leur expertise clinique et à se créer des contacts1 dans des unités affiliées ou non à leur programme de médecine. On parle alors de stages locaux et hors faculté, respectivement. En outre, certains programmes de résidence mettent l’accent sur la nécessité d’avoir réalisé des stages optionnels dans le domaine visé afin de prouver leur intérêt.
En 2019, l’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC) a instauré la Politique en matière de diversification des stages optionnels pour les étudiants, qui établit à 8 semaines la durée maximale permise de ces activités de formation dans toute discipline de niveau d’entrée2. Cette politique a été mise en place pour inciter les apprenants à s’intéresser à une variété de disciplines durant leurs stages optionnels et les préparer à des choix de carrière potentiels. En encourageant les apprenants à envisager d’autres disciplines et à se préparer en conséquence, l’AFMC entendait réduire le risque, pour les diplômés en médecine, de ne pas trouver une place dans un programme de résidence par l’entremise du Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS).
Les commentaires rédigés à ce sujet par des médecins associés à des programmes canadiens de formation postdoctorale très en demande ont souligné ses avantages considérables pour les apprenants, notamment car de la Politique en matière de diversification des stages optionnels pour les étudiants encourage le développement de praticiens plus expérimentés et accroît la visibilité de certaines spécialités3-5. Toutefois, nous n’avons pas vu jusqu’à présent de publication examinant son incidence sur les candidatures en médecine de famille. Par conséquent, nous estimons important d’exprimer notre point de vue sur cette politique en tant que médecins de famille et apprenants en médecine associés à des programmes d’études prédoctorales et postdoctorales en médecine de famille à l’Université de Toronto, en Ontario. À notre avis, elle traduit peut-être une représentation inadéquate de la médecine de famille au sein de l’AFMC ou, du moins, une mauvaise compréhension des réalités de la pratique et des besoins pédagogiques dans ce domaine. Il s’agit là d’un point de vue important à faire valoir, étant donné que nous considérons que cette politique fait inutilement obstacle aux apprenants qui tentent d’explorer le plein champ de pratique de la médecine de famille, une spécialité qui correspondait à 46 % de toutes les places en résidence de première année en 20226. Nous craignons que cette politique n’engendre une baisse de l’intérêt des apprenants en médecine et, par voie de conséquence, une réduction des effectifs de médecins de famille. Dans les circonstances de la crise que nous traversons en médecine de famille, cette politique semble être une goutte de trop dans un vase sur le point de déborder.
Depuis son instauration en 2019, de nombreux étudiants en médecine nous ont dit que la politique les avait empêchés d’explorer réellement la médecine de famille. Ceci est principalement dû au fait qu’elle place tous les stages optionnels en médecine de famille sur le même pied d’égalité. Par conséquent, que l’apprenant soit en stage optionnel auprès d’un médecin de famille offrant des soins complets et globaux en ville ou en banlieue, pratiquant sa spécialité en milieu rural ou travaillant dans un domaine ciblé de compétences avancées (CA), ces expériences sont toutes englobées dans la même limite de 8 semaines consacrées à la médecine de famille. Cette décision a été prise, car l’AFMC estime que les programmes de CA exigent un jumelage secondaire après une formation en résidence de 2 ans et qu’ils devraient donc être comptabilisés dans le nombre maximum de semaines de stage optionnel du programme d’entrée directe principal. Une telle approche ne convient pas à la médecine de famille pour 3 raisons distinctes.
La pratique complète et globale et la pratique en CA sont très différentes en médecine de famille
Les différences se situent notamment au niveau de la portée de la pratique, de l’emplacement, des populations desservies et des méthodes de rémunération. L’exposition aux expériences cliniques, aux enseignants et aux mentors que proposent les deux types de pratique, avec leurs variations potentielles, compte beaucoup dans le processus de prospection de carrières des étudiants. Qui plus est, ces expériences acquises lors des stages optionnels durant la formation médicale prédoctorale sont essentielles à la planification de la carrière des résidents, étant donné que ceux qui se spécialisent en médecine de famille doivent décider relativement vite et avec peu de possibilités de stages optionnels au cours de leur première année de résidence s’ils souhaitent s’inscrire à des programmes de CA. Puisque le processus de demande d’inscription à ces programmes commence au début de leur deuxième année, les résidents disposent de très peu de temps pour décider de la pertinence que pourrait revêtir une formation en CA dans leur future pratique et pour déterminer si cette voie serait profitable aux communautés qu’ils veulent desservir. Il est important de souligner que, dans d’autres spécialités, comme la médecine interne et la pédiatrie, les apprenants disposent de limites distinctes pour les stages optionnels en pratique générale et ceux dans les diverses sousspécialités telles que la cardiologie ou l’endocrinologie. Collectivement, nous nous interrogeons sur cette disparité d’approche dans des programmes qui ont des points communs avec celui en médecine de famille.
Il existe des programmes de formation en CA à entrée directe
Les programmes de formation en compétences avancées ont évolué au cours des dix dernières années et demeurent l’objet de débats houleux dans les milieux universitaires. Plus récemment, un tel programme intégré a été créé à l’Université Dalhousie de Halifax, en Nouvelle-Écosse. Le programme intégré de résidence en médecine de famille et en médecine d’urgence permet aux apprenants de s’engager dans un programme de CA directement dès le jumelage CaRMS, ce qui contredit le point de vue de l’AFMC selon lequel la formation en CA est réservée aux jumelages secondaires.
La médecine de famille en milieu rural diffère de celle exercée en ville ou en banlieue
Souvent, les médecins de famille des régions rurales offrent une gamme de soins plus étendue et travaillent dans un plus large éventail de milieux. En outre, la médecine de famille est la seule spécialité dans laquelle les apprenants peuvent s’inscrire directement dans un volet rural, une perspective d’apprentissage très différente d’une formation localisée dans un centre universitaire. D’ailleurs, on pourrait avancer qu’en disposant de possibilités limitées de faire l’expérience de la discipline dans ces milieux distincts, les étudiants en médecine sont mal préparés à présenter une demande dans l’un de ces programmes.
Afin de comprendre l’incidence de cette politique, nous avons examiné les données locales pour en dégager les tendances liées à l’intérêt envers la médecine de famille chez les apprenants qui réalisent des stagiaires optionnels durant leurs études médicales prédoctorales. Le Département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto propose une gamme diversifiée de stages optionnels, y compris des expériences auprès de médecins de famille prodiguant des soins complets dans la région du Grand Toronto ou par l’entremise du Programme de formation à la médecine dans les communautés rurales de l’Ontario, ou encore auprès de médecins ayant une pratique ciblée, par exemple en médecine des toxicomanies, en soins palliatifs ou en médecine d’urgence. Les données fournies par le bureau des stages optionnels du programme de médecine de l’Université de Toronto indiquent que, dans l’ensemble, l’intérêt envers les stages en médecine de famille augmente. Au cours des 4 dernières années, les étudiants en médecine de l’Université ont consacré collectivement de 600 à 700 semaines par année en moyenne au travail auprès de médecins de famille durant leurs stages optionnels. Ils ont passé environ la moitié de ce temps dans des cabinets de soins complets et l’autre moitié dans des cabinets spécialisés. Étant donné que le nombre de stages optionnels disponibles dans le cadre du Programme de formation à la médecine dans les communautés rurales de l’Ontario est limité et que leur durée est fixée à 4 semaines, seulement 20 apprenants par année environ y participent.
Malgré ces chiffres encourageants qui signalent peut-être un regain d’intérêt, les données du CaRMS laissent plutôt entendre qu’en réalité, la tendance est à la baisse. En 2021, 207 places en médecine de famille sont demeurées vacantes à la fin du premier tour de jumelage7. Ce résultat décevant semble s’être répété au cours de l’année de jumelage de 2022 du CaRMS. Lors du premier tour, à travers le Canada, 225 places en médecine de famille n’ont pas été pourvues, ce qui représentait 72 % de toutes les places en résidence vacantes6. En outre, malgré une hausse substantielle du nombre de candidats aux programmes de médecine de famille au cours des dernières années, qui a culminé autour d’environ 2000 diplômés en médecine canadiens, le nombre de candidats pour qui la médecine familiale constituait le premier choix a diminué6. Notre groupe estime que cette situation s’explique sans doute par une augmentation du nombre de candidats qui préfèrent un autre programme, mais choisissent la médecine de famille en deuxième ou troisième recours pour éviter de ne pas être jumelés.
Conclusion
L’AMFC a accompli d’excellents premiers pas pour faire en sorte que les étudiants en médecine bénéficient équitablement d’expériences d’apprentissage diversifiées lors de leurs stages optionnels. Malgré les modifications apportées au processus de sélection de stages durant la pandémie de COVID-19 (c.-à-d. la restriction des stages hors faculté), et bien que les données sur la mise en œuvre de la Politique en matière de diversification des stages optionnels pour les étudiants n’aient pas encore été publiées, nous sommes convaincus que celle-ci aura une incidence positive sur les apprenants qui présentent leur candidature à de nombreuses spécialités. Nous saluons par ailleurs l’idée d’inciter les apprenants intéressés par la médecine de famille à s’exposer à d’autres spécialités qui soutiennent le développement de compétences cliniques dans des domaines qui les aideront plus tard à offrir des soins complets et globaux en médecine de famille. Cela dit, nous nous inquiétons de l’effet possible de cette politique sur l’intérêt des apprenants, les taux de jumelage et, à la longue, sur la disponibilité des effectifs et la satisfaction professionnelle des médecins de famille.
Nous savons tous que le Canada souffre d’une pénurie de médecins de famille. Qui plus est, la médecine familiale universitaire connaît actuellement de multiples changements, y compris l’introduction de l’évaluation de choix professionnel en médecine familiale comme exigence obligatoire pour les personnes qui postulent à 13 programmes de résidence en médecine familiale au Canada8 et la transition vers un programme de formation de 3 ans en médecine familiale. Visiblement, nous devrions concentrer nos efforts pour encourager les apprenants à choisir notre discipline plutôt que leur mettre des bâtons dans les roues. Nous craignons que, dans sa forme actuelle, la politique n’engendre une baisse d’intérêt des apprenantes envers la médecine de famille.
En notre qualité d’éducateurs et de cliniciens, nous soutenons que la formation de médecins de famille compétents et satisfaits exige que les apprenants fassent vraiment l’expérience de notre discipline dans toute son ampleur, sans être restreints par des limites. Nous recommandons fortement à l’AFMC qu’elle voie la médecine familiale d’un même œil que la médecine interne et la pédiatrie, où les stages optionnels dans les sous-spécialités ont une durée maximale distincte de ceux effectués dans la pratique complète et globale. Ainsi, les apprenants bénéficieraient de plus d’occasions d’explorer amplement la médecine de famille et d’apprécier la valeur des médecins de famille à titre d’experts médicaux hautement qualifiés, de défenseurs d’intérêts, de collaborateurs, de chefs de file, d’enseignants et d’érudits capables de s’adapter aux besoins de leurs patients et de leurs communautés dans une multitude d’environnements cliniques et de milieux.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 8.
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