De nos patients tristes nous faisons des déprimés
De nos patients tristes nous faisons des déprimé
La recherche médicale a fait des avances tellement extraordinaires qu’il ne reste presque plus de gens sains et normaux (Aldous Huxley, 1931).
La souffrance psychologique est-elle une maladie ?
Nous sommes au Canada face à une explosion du nombre de patients souffrant de « dépression ». La trajectoire psychologique et sociale de nos patients est devenue une riche source de « pathologies ». Autrefois, le diagnostic de dépression était réservé rares aux dépressions endogènes majeures. Les nombreux patients qui reçoivent aujourd’hui ce diagnostic étaient autrefois qualifiés de « tristes ».
Notre société moderne a regroupé en « maladies » les manifestations usuelles de désespoir, injustice, colère, épuisement et humiliation. Il serait anormal d’être triste, désespéré, insomniaque, déconcentré et fatigué face aux épreuves ? Il ne faut plus pleurer ? Pourtant, les souffrances psychologiques sont indissociables des questionnements fondamentaux sur le sens de notre existence, sentiments exacerbés par les épreuves de vie : les médecins ont-ils oublié ceci ??
Il n’y a rien de plus humain que le désespoir.
Ce sentiment remplace la rage, celle-ci devant être inhibée dans nos sociétés modernes. Le dépressif moderne est « en grève ». Il fait la grève de l’effort de s’affirmer, de s’ajuster ou de subir : grève du travail, grève du parent, grève du conjoint, grève des tâches, grève du rôle social. Un « ras le bol » acceptable socialement puisque la dépression est considérée comme un désordre organique extérieur à l’individu. La médicalisation des souffrances psychologiques étouffe les questionnements profonds à risque de déstabiliser une personne, une famille, une entreprise, un couple ou une société.
Le Canada est rendu au 3e rang de l’OCDE pour la consommation d’antidépresseurs : sommes-nous plus fragiles ou sur-traités ?
Après les antihypertenseurs, les antidépresseurs sont actuellement les médicaments les plus prescrits au Canada, alors qu’aucune donnée robuste ne supporte leur efficacité dans le traitement de la dépression légère à modérée, comparé au placébo.1,2 Plusieurs recherches ne démontrent pas plus de rechutes chez les patients traités par thérapie au lieu de la médication. 3,4 Plus la maladie est légère, plus faibles sont les preuves d’efficacité de la médication : ce sont pourtant ces patients qui font de plus en plus l’objet de prescriptions.
Des scores diagnostic suspects
Les recommandations actuelles proposent l’utilisation de «scores diagnostics » où seuls les symptômes sont pris en compte, regroupés dans des échelles numériques d’une simplicité suspecte, sans lien avec les multiples facettes complexes de notre personnalité qui font de nous des êtres heureux ou souffrants selon les aléas de la vie (timidité, générosité, naïveté, immaturité, narcissisme, désir de plaire, dépendance, besoin de contrôle, besoin de séduire, perfectionnisme, lâcheté, paresse, procrastination, passivité, agressivité, impulsivité, vantardise, etc.).
Qui enseigne aux médecins de famille que le diagnostic de « dépression légère à modérée » est remis en question puisqu’on ne connait toujours pas sa délimitation d’avec l’état normal ? Les médecins de famille canadiens font-ils fausse route ? Qui « profite » de ceci ?
Références
1. Morgan et al ; The Canadian RX Atlas ; 2013 ; UBC
2. Pecina, M et al ; Associations between placebo-activated neural systems et antidepressant responses ; JAMA psychiatry ; 2015; 72 (11):1087-1094.
3. Preventing Depressive Relapse and Recurrence in Higher Risk Cognitive Therapy Responders: A Randomized Trial of Continuation Phase Cognitive Therapy, Fluoxetine, or Matched Pill Placebo ; Jarret, R et al ; JAMA Psychiatry 2013 ; 70 :1152-1160
4. Vittengl JR, Clark LA, Dunn TW, Jarrett RB. Reducing relapse and recurrence in unipolar depression: a comparative meta-analysis of cognitive-behavioral therapy's effects. J Consult Clin Psychol. 2007; 75:475–488.