Mourir vite, le nouveau paradigme québécois
Mourir vite, le nouveau paradigme québécois
Permettez-moi de partager ici une crainte ressentie quotidiennement depuis plus d’un an devant chaque nouveau patient en soins palliatifs à domicile : va-t-il me demander de le faire mourir plus vite ?
Trente années de soins palliatifs à domicile m’ont laissé une vision personnelle de la mort que je résumerais ainsi :
- Laisser la fin de vie aller à son rythme imprévisible, souvent lente et entrecoupée de « crises ».
- Intervenir très rapidement et efficacement dans les crises qui sont les manifestations normales d’un corps qui se défend désespérément (agonie en grec signifie combat). Ceci pour permettre au malade de vivre, mais surtout de vivre mieux, jusqu’à sa mort.
- Accepter d’être un témoin impuissant de la perte de l’intégrité et de la beauté physique du corps. Comme me disait un patient: quel que soit notre âge, à notre mort on est un vieillard.
Depuis le passage au Québec de la Loi québécoise concernant les soins de fin de vie1 tous s’affairent à donner rapidement l’accès à l’Aide médicale à mourir (le terme québécois qui désigne ce qui est appelé l’euthanasie ailleurs) à tous ceux qui y sont éligibles. Les journalistes, les grands gestionnaires, les médecins, les infirmières, les éthiciens, le ministère…tous dénoncent haut et fort lorsque l’aide médicale à mourir n’est pas disponible vite et partout. Mais cette dénonciation collective ne s’applique toujours pas aux soins palliatifs, souvent absents au Québec, à domicile surtout.
Pour quelles raisons les Québécois non mourants (ceux qu’on entend le plus) ne s’indignent toujours pas devant l’absence chronique de services palliatifs structurés dans tous les milieux de soins ? J’émets ici quelques hypothèses maladroites:
- La population québécoise est majoritairement « pour » l’euthanasie. Celle-ci fait maintenant partie des valeurs de base de notre société et de nos choix personnels dès l’annonce d’une condition terminale et même bientôt dégénérative. Cette solution possible réconforte celui qui reçoit un terrible diagnostic.
- Bien des Québécois rejettent la mort et surtout ce qui la précède car ils n’y ont pas été préparés. Ils n’envisagent pas de vivre en côtoyant la maladie invalidante et terminale, avec ses déformations et ses souffrances, les soins à donner, l’attente longue et souvent épuisante, l’interruption obligée des activités de travail et de loisirs, la perte de contrôle et surtout la hantise de « dépendre » d’autrui, une souffrance psychologique à la base de plusieurs demandes d’aide médicale à mourir. Au Québec, de plus en plus, la vie doit s’en aller vite et « en beauté » pour cadrer avec le mythe de la « belle mort ».
- La maladie avancée et la fin de vie ne doivent pas « déranger » : nombreux sont les patients qui disent « préférer mourir » plutôt que de demander l’aide de leurs proches.
Et tant pis pour ceux qui attendent des soins palliatifs, hors des hôpitaux surtout: ils devront continuer à attendre, sinon demander l’aide médicale à mourir puisque celle-ci oblige à offrir en premier lieu des soins palliatifs. La mort rapide est la priorité cette année au Québec.
1. http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/S-32.0001