Soyons bilingues

Une jeune résidente en stage me résume le cas de Mme White. A sa grande surprise, je lui demande de le faire devant la patiente: « Il s’agit d’une patiente de 49 ans souffrant d’hyperménorrhée et de dysménorrhée depuis 6 mois avec coïtalgie et asthénie ».
J’interrompt Mélanie doucement pour lui demander de répéter son histoire «en français de tous les jours » pour que Mme White puisse la comprendre. Après tout, nous parlons d’elle. Devant son étonnement, je lui explique combien j’aime personnellement comprendre chaque mot de mon dentiste avant d’accepter un traitement, et qu’il en est de même avec mon garagiste qui n’obtiendra rien de moi avant que je ne comprenne le « diagnostic » du bruit de vieille casserole que fait mon auto depuis 2 semaines. Lorsque qu’on me soigne, je veux tout comprendre : il ne faut pas croire que nos patients diffèrent de nous dans leur désir de comprendre ce qui les concerne.
Mélanie se reprend plusieurs fois en tentant de traduire son histoire de cas « en français ». Je dois le faire à sa place: « Il s’agit d’une femme de 49 ans avec des menstruations abondantes et douloureuses depuis 6 mois, qui a de la fatigue et des douleurs à la pénétration lors des rapports sexuel ». Je lui explique qu’une discussion franche devant un patient de son état de santé peut l’amener à se motiver pour certains changements et traitements1.
Mélanie m’informe de son malaise : elle n’avait pas pratiqué ceci au cours de ses 7 années de formation médicale et se sent donc plus à l’aise pour discuter des patients hors de la présence de ceux-ci.
Comment, en cette ère moderne de formation des étudiants en médecine en « partenariat médecin avec le patient et ses proches » avons-nous échoué à préserver un minimum de communication réciproque limpide avec nos patients ? Uniquement en raison de mauvaises habitudes faciles à changer :
- En utilisant constamment comme cliniciens un vocabulaire scientifique commun où les mots usuels de notre langue (fatigue, douleur, menstruations, relations sexuelles avec pénétrations) sont disparus. Ces mots simples et clairs sont perçus comme « non scientifiques » avec la crainte pour certains de passer pour des illettrés scientifiques.
- En discutant des patients loin d’eux, ce qui entraîne un risque accru d’inexactitudes puisque l’histoire clinique est couvent corrigée et améliorée par ceux-ci.
Enseignons de façon systématique (sauf rares exceptions) à discuter « du cas » devant le patient lui-même, en vérifiant sa compréhension et l’exactitude de notre histoire: ce faisant, nous économisons du temps puisque nous évitons des erreurs dans l’histoire médicale.
Encourageons les médecins à parler aussi en « français » et non seulement en « langue médicale », cette dernière procurant une aura de fausse supériorité et une complexité inutile et désagréable en cette ère de partenariat avec le patient. Cette langue peut certes économiser plusieurs lignes dans un dossier médical et être utile entre nous, mais elle est rarement plus précise dans la description des symptômes que l’histoire « en français ». Et surtout, oralement, cette langue médicale nous fait perdre l’essentiel d’une bonne communication avec les patients.
Soyons bilingues !
Référence
1. Entretien motivationnel; Miller W.R. et Rollnick S. L’entretien motivationnel – Aider la personne à engager le changement, trad. par LECALLIER D., MICHAUD P., Paris, Inter Editions, 2013, pp.12.L’entretien motivationnel est un style de conversation collaboratif permettant de renforcer la motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement
https://www.afdem.org/entretienmotivationnel/