Vieillir : est-ce une maladie ?

Les aînés sont de plus en plus nombreux au Canada, au Québec surtout où la proportion de 65 ans et plus augmente rapidement (Perspectives démographiques du Québec et des régions, 2016-2066). Mais nous constatons en Occident que la prolongation de l’espérance de vie ne s’est pas produite dans la portion de notre vie en santé mais plutôt dans la dernière portion de notre vie, celle où les maladies surviennent. En d’autres mots, on vit plus vieux, mais plus longtemps malades. Le portrait de la multimorbidité au Québec révèle qu’un aîné (de 65 ans et plus) sur deux souffre d’au moins 2 morbidités. Difficile de parler ici de « l’âge d’or », expression qui fait ricaner nos patients âgés malades1 !
Le fardeau médical et social des maladies chroniques doublera d’ici 2060, incluant les démences dont l’incidence augmente de façon extraordinaire. On présente dans les médias les troubles cognitifs majeurs comme des catastrophes indignes, sans espace de compassion et d’acceptation de cette maladie très fréquente. Nombreux sont ceux en santé qui disent préférer mourir que de « perdre la tête ». Je dis plutôt à mes grands enfants, si je perds la tête, pas de drame SVP : faites-moi rire, faites-moi manger ce que j’aime et aimez-moi.
Nous voyons dans nos bureaux des nombreux « baby-boomers » surpris lorsque les maladies chroniques surviennent, tant ils se croyaient prémunis contre ces maux grâce à leur bonne hygiène de vie. Comment en ces années de « miracles de la médecine » leur expliquer doucement que «vieillir c’est souffrir » et que « vieillir c’est perdre progressivement sa santé » quand on leur a fait croire que la vieillesse allait être dorée et douce. Combien de reportages dans nos médias sur ces aînés exceptionnels de 88 ans qui courent des marathons ! Devant ces reportages optimistes, nos personnes âgées se sentent coupables lorsque la maladie les empêche de bouger. Un de mes patients, un irlandais de souche résilient, a résumé pour moi ce que je constate au quotidien: « You have to be tough if you want to age ».
Ezékiel Emanuel publia en 2014 dans la revue The Atlantic son article « Why I hope to die at 75 », publication qui avait scandalisé plusieurs. Il énonçait pourtant l’évidence :
- Qu’après 75 ans la prévalence des maladies chroniques incurables évolutives est très élevée.
- Qu’une minorité de personnes âgées de plus de 75 ans bougent sans douleur
- Qu’une minorité de personnes âgées de plus de 75 ans demeurent actifs (hormis certains politiciens américains …).
- Que la perte de mobilité et de santé est notre lot à tous lorsque l’âge avance.
Nous désirons vivre plus vieux que 75 ans : soit, mais il faudra alors ne pas désirer la perfection en santé. Vieillir n’est pas « l’âge d’or » tant promis mais plutôt, au travers des maladies chroniques, l’âge de la grâce : la grâce de s’ajuster sans drame à la perte de nos capacités physiques et/ou intellectuelles, la grâce d’accepter de vivre cette vie diminuée en concentrant notre bonheur sur la beauté de la vie et la beauté des relations interpersonnelles.
Vieillir c’est accepter avec sérénité l’inéluctable « décrépitude » associée aux maladies chroniques, le sort de la majorité d’entre nous après l’âge de 75 ans: la philosophie bouddhiste nous guide ici dans une acceptation sereine, éclairée et mâture, face aux inévitables changements dans notre vie de vieux qui vieillissent, puisque rien n’est permanent. Ni notre santé, ni notre vie.
1. Institut national de santé publique du Québec. La prévalence de la multimorbidité au Québec 2016-2017. Aout 2019