Le jour du souvenir

J’aimerais vous parler de la Normandie. J’aimerais vous parler d’une histoire qui m’a été racontée pendant un voyage de vélo que j’y ai fait l’an passé. Voyage difficile que celui-là. En Normandie, il pleut souvent et beaucoup, en tout cas pendant que j’y étais. C’est le nord. Ceux qui font du vélo savent que la pluie et le vélo ne font pas bon ménage. Les pieds mouillés, les doigts gelés et les lunettes embuées. Pire encore lorsqu’il s’agit de vélo-camping! Le Goretech qui suinte, la tente qui coule et le duvet tamponné. Et surtout, le découragement à fleur de peau.
L’histoire m’est venue d’une participante du voyage (disons Liliane), Liliane, la sœur de Jean, la belle-sœur de Suzanne avec qui j’ai pédalé pendant tout le trajet. Liliane, Jean et Suzanne ont « sauvé » mon voyage. Ils m’ont sorti de ma morosité. Je n'avais qu'à suivre Jean qui avait téléchargé « Maps.me » ce qui nous permettait de sillonner les plus beaux trajets de la région. Je n'avais qu'à suivre, regarder, écouter et humer. Je n'avais qu'à pédaler et écouter les encouragements de Liliane. C’est beau la Normandie.
En cette période de l’année, il y avait des centaines de milliers de coquelicots qui poussaient partout dans les champs normands. A perte de vue. Autant de coquelicots là-bas que de pissenlits chez nous au printemps. À voir ces champs couverts de ces petites fleurs rouges, j’ai alors compris la signification de la boutonnière que plusieurs d’entre nous arborons le 11 novembre. Comme si ces innombrables fleurs gardaient le souvenir de tous ceux qui ont péri pendant les conflits. Là et ailleurs.
L'histoire m'a été racontée par Liliane. Au fur et à mesure que nous parcourions la campagne normande et que nous allions de plages en plages - ces plages aux noms évocateurs : Sword, Juno, Gold, Omaha et Utah (Les plages du débarquement couvrent des centaines de kilomètres – c’est immense!) et que les photos des jeunes soldats morts durant la guerre, accrochés aux lampadaires, défilaient sur notre trajet, Liliane m'a parlé de son père qui avait participé au débarquement en Normandie. Le jeune homme qu’il était alors – il n’avait même pas 20 ans- s’était enrôlé avec son ami Roger (son vrai prénom). Ils étaient partis pleins d'espoir et gonflés à bloc par leurs idéaux. Quel désenchantement et quelle horreur qu’ils ils ont dû vivre le jour J.
Ayant survécu miraculeusement aux premiers jours du débarquement, le père de Liliane se mit alors à écrire à sa fraiche épouse (ils s’étaient unis juste avant qu’il ne parte pour la guerre) demeurée au Québec. Il écrivait tous les jours, autant qu'il le pouvait, aussi souvent qu'il le pouvait, en sachant très bien que ses lettres étaient scrutées par les autorités et censurées au besoin.
Roger, lui, était seul. Seul à vivre la peur, la solitude, le gouffre. Un jour, le père de Liliane lui proposa de communiquer avec sa belle-sœur, la sœur de sa femme. Une femme qu’il n’avait jamais vue, ni connue, ni rencontrée. Qu’importe! Roger se mit donc à écrire à cette inconnue. Pendant toutes années que durèrent la guerre. Des centaines de lettres.
Or, vous savez quoi…?
Les deux copains survécurent et revinrent de la guerre, sains et saufs.
Et Roger rencontra alors la belle inconnue, sa confidente, sa complice et celle dont il rêvait incessamment. Ils se marièrent et eurent des enfants. Les cousins de Liliane.
Oui, je sais. Une histoire à l’eau de rose. Et pourtant...
En ce jour du souvenir, où l’on se souvient de toutes ces guerres et de tous les malheurs qu’elles ont engendrés, où l’on nous rappelle les millions de morts, combattants et civils, les atrocités, les blessures, les syndromes post-traumatiques et les suicides, l’histoire de Roger apparaît comme un baume sur ces souffrances et toutes celles que nous éprouvons.
A la mémoire de la 11ième minute, de la 11ième heure, du 11ième mois.
A la mémoire de Roger et de tous les autres.