Jerry, résident de deuxième année en médecine familiale, débordait de confiance. Nous étions sur le point d’annoncer à un patient et à sa conjointe un diagnostic de démence. Jerry savait-il comment annoncer de mauvaises nouvelles? «Bien sûr, dit-il, je l’ai vu faire à maintes reprises.» Je lui ai suggéré de faire un exercice de pratique avec moi. Jerry s’est assis et, après une pause de réflexion, a commencé: «Et bien, M. Dupont, vous avez une démence et il n’y a rien qu’on puisse faire pour cela.»
C’était une très bonne occasion d’enseignement. D’abord, l’exercice a démontré l’importance d’assurer que les apprenants sont préparés adéquatement pour le rôle de communicateurs de mauvaises nouvelles. Deuxièmement, les apprenants ont besoin qu’on leur enseigne à donner de mauvaises nouvelles avec délicatesse et de façon à inspirer un espoir réaliste. Troisièmement, il est très utile de faire pratiquer au préalable les apprenants au moyen d’un jeu de rôles.
Entière franchise
La plupart des apprenants ont hâte d’assumer la responsabilité des soins aux patients, croyant qu’il est préférable d’apprendre sur le tas que par l’observation. Même si nous apprenons tous en repoussant les limites de nos capacités et par nos inévitables erreurs, en tant qu’enseignants, nous devons assurer que les apprenants sont bien préparés pour les rencontres avec leurs patients. Il aurait été utile de demander à Jerry ce qu’il savait de la démence et ce qu’il avait l’intention de dire au patient. Dans le cas présent, un court exercice de jeu de rôles a révélé qu’il était mal préparé pour son rôle de communicateur de mauvaises nouvelles.
Même les médecins d’expérience trouvent difficile d’annoncer un diagnostic de démence. Des études réalisées au cours de la dernière décennie font valoir que la divulgation d’un diagnostic de démence n’est pas faite de manière uniforme et que jusqu’à 50 % des cliniciens omettent systématiquement de révéler un diagnostic de démence1. Pourtant, la plupart des patients âgés souhaiteraient savoir qu’ils ont un diagnostic de démence pour planifier, régler les affaires familiales et voyager tant qu’ils le peuvent2. Selon les guides de pratique actuels, la question n’est plus de savoir s’il faut ou non divulguer un diagnostic de démence, mais plutôt comment et quand le faire. La divulgation devrait se faire selon une approche centrée sur le patient, qui respecte l’intégrité de la personne et inspire un sentiment d’espoir3.
On ne peut pas trop insister sur la nécessité de faire preuve de délicatesse. La démence est une maladie progressive mortelle, mais à l’encontre d’autres maladies terminales, elle a souvent des implications sociales. Poser un diagnostic de démence a été décrit à la fois comme un processus médical et un acte social qui transporte le patient dans un nouveau groupe social fortement stigmatisé. Les patients qui en sont aux stades précoces de la maladie d’Alzheimer disent éprouver de la honte, vivre la discrimination, le rejet, l’isolement social et la perte du sens de contrôle, et avoir une image altérée de soi4.
Approche centrée sur le patient
Il importe d’enseigner aux résidents en médecine familiale comment annoncer un diagnostic de démence avec compassion sensibilité, à l’aide d’une approche centrée sur le patient. Les conseils suivants se sont révélés utiles.
Déterminer ce que le patient sait de la démence et démystifier les idées fausses
Les patients et les membres de leur famille ont souvent vécu des expériences négatives ou angoissantes avec d’autres personnes qui ont souffert de démence. Connaissent-ils une personne qui avait la maladie d’Alzheimer? Comment était-ce? Quels sont les aspects qui les inquiètent le plus?
Tentez de les rassurer dans la mesure du possible. Il est utile de situer la perte de mémoire comme un continuum avec, à une extrémité « le vieillissement normal », et à l’autre, « la démence », en passant par «une légère déficience cognitive »; la démence représente alors l’aggravation de l’inévitable perte de mémoire qui nuit au fonctionnement dans la vie au quotidien. Avec une telle description, les patients peuvent comprendre la démence comme faisant partie du continuum de la perte de mémoire. Aux premiers stades de la maladie, il est utile d’insister sur le fait qu’une bonne partie du cerveau fonctionne encore bien.
Identifier les patients aux stades précoces de la perte de mémoire
Les patients et leur famille ont ainsi le temps de composer avec le diagnostic. On estime que 16,5 % des Canadiens de plus de 65 ans5 souffrent d’une légère déficience cognitive et que la majorité d’entre eux succombent éventuellement de la démence6. C’est un moment idéal pour discuter des interventions touchant le mode de vie - par exemple, un régime alimentaire méditerranéen, de l’activité physique fréquente et plus de réseautage social - qui ont été associées à un moins grand risque de développer une démence. De plus, il est utile de soulever la question de la conduite automobile à cette étape, car le patient est encore apte à réfléchir. Selon notre expérience, des messages comme «Maintenant, vous pouvez encore conduire mais, un jour, si vos problèmes de mémoire s’aggravent, il ne sera plus sécuritaire pour vous de le faire» accordent au patient le temps de se préparer au jour où il ne lui sera plus possible de conduire.
Se concentrer sur les objectifs de la prise en charge
Cassell7 propose 3 objectifs de soins médicaux applicables à n’importe quelle maladie chronique: 1) établir le diagnostic ou le plan thérapeutique en fonction de la personne malade et non de la maladie, 2) maximiser le fonctionnement du patient, et 3) minimiser la souffrance du patient et de la famille. Ces objectifs conviennent très bien aux soins pour la démence. À l’aide d’une approche centrée sur le patient8, identifiez les objectifs et les priorités dans le contexte du monde particulier au patient et élaborez un plan de prise en charge mutuellement acceptable. La prise en charge pharmacologique de la démence peut inclure l’administration de médicaments qui améliorent la fonction cognitive, et l’arrêt de toute médication reconnue pour lui nuire, comme les benzodiazépines et les médicaments fortement anticholinergiques. La prise en charge non pharmacologique inclut souvent le fait de renseigner et de soutenir l’aidant, de le diriger vers les ressources communautaires et de conseiller la rédaction d’une procuration pendant que le patient a encore une aptitude décisionnelle. Le but est de maintenir la meilleure qualité de vie et une vie autonome dans la communauté aussi longtemps que possible, à la fois pour le patient et pour les membres de sa famille.
Donner un espoir réaliste
Cassell écrit qu’il n’y a rien de plus dévastateur que de dire qu’il n’y a rien qu’on puisse faire. De plus, c’est habituellement faux. Il y a presque toujours quelque chose qu’on puisse faire pour améliorer la situation du patient, même si c’est peu ou que cela semble banal7. Nous pouvons donner des espoirs réalistes en faisant remarquer la variation individuelle dans la manifestation et la progression de la maladie, l’accessibilité à des choix de traitements qui peuvent retarder le déclin pendant un certain temps et les progrès constants réalisés dans la recherche sur la démence.
Insister sur la poursuite de l’accompagnement
On dit que l’obligation de ne pas abandonner un patient est primordiale dans les responsabilités du médecin, ce qui se manifeste par un engagement conjoint et longitudinal à l’endroit des soins aux patients et par la recherche, avec le patient, de solutions aux problèmes pendant toute la durée de la maladie9. Un diagnostic de démence peut être dévastateur pour les patients et la famille qui sont affligés face à la perte progressive du fonctionnement et de l’autonomie et confrontés à un avenir incertain. Une relation compatissante et engagée avec le médecin de famille peut aider à réduire la souffrance et faciliter l’apaisement pendant que les patients et les membres de leur famille tentent de composer avec cette maladie mortelle démoralisante.
Conclusion
Il est particulièrement difficile d’annoncer de mauvaises nouvelles. Nous pouvons aider nos apprenants en leur donnant des conseils, en faisant la démonstration des habiletés nécessaires et en offrant de l’encadrement au moyen de jeux de rôles et durant les interactions avec le patient. Ces méthodes mixtes d’enseignement aideront les étudiants à apprendre qu’un diagnostic de démence doit être divulgué avec délicatesse et compassion, et de manière à inspirer un espoir réaliste. Comme le disait Buckman: «La tâche d’annoncer de mauvaises nouvelles est un banc d’essai pour la gamme tout entière de nos habiletés et de nos compétences professionnelles. Si nous le faisons mal, les patients ou les membres de la famille ne nous le pardonneront jamais; si nous le faisons bien, ils ne nous oublieront jamais»10.
Notes
CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT
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Il faut de la sensibilité, une divulgation complète et une approche centrée sur le patient pour informer correctement un patient d’un diagnostic de démence.
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Il faut enseigner aux apprenants à insister sur le fait que leur médecin de famille n’abandonnera pas les patients et à inspirer un espoir réaliste dans la discussion de la manifestation de la maladie, de la prise en charge du patient et de l’évolution continuelle de la recherche sur la démence.
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Il est important de se concentrer sur les objectifs de la prise en charge quand on annonce un diagnostic de démence; chaque plan doit répondre aux besoins spécifiques du patient, maximiser le fonctionnement (p. ex. par des interventions pharmacologiques et visant le mode de vie) et minimiser la souffrance pour assurer la meilleure qualité de vie pendant le plus longtemps possible.
TEACHING TIPS
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Sensitivity, full-disclosure, and a patient-centred approach are necessary to effectively inform a patient of a diagnosis of dementia.
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Learners should be taught to emphasize that patients will not be abandoned by their family physicians and to instill realistic hope when discussing disease manifestation, patient management, and ongoing progress in dementia research.
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It is important to focus on goals of management when disclosing a diagnosis of dementia; each plan should accommodate the specific needs of the patient, maximize functioning (eg, through lifestyle and pharmacologic interventions), and minimize suffering to ensure the highest quality of life for the longest amount of time.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien et coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en insistant sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Allyn Walsh, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à walsha{at}mcmaster.ca.
Footnotes
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This article is also in English on page 851.
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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