Quand j’ai terminé mes études de médecine au centre-ville de Toronto, en Ontario, le Nord rural était le dernier endroit où je me voyais pratiquer. Si on m’avait suggéré une telle éventualité à la fin de mes études, je me serais probablement révolté.
J’ai quand même passé une bonne partie de mon stage de deuxième année en médecine familiale loin de mon centre de formation familier du centre-ville torontois, ayant trouvé une affectation de 2 semaines en médecine rurale au nord de Thunder Bay, en Ontario. C’était la deuxième fois que je m’exilais de la médecine urbaine dans laquelle j’avais passé la majorité de ma formation en médecine et de ma résidence. Un médecin de ma clinique d’attache supervisait l’affectation. Le poste de remplaçant faisait partie de l’Initiative du Nord rural (Rural Northern Initiative), un nouveau programme provincial dans le cadre duquel des médecins de famille universitaires (et leurs résidents) sont envoyés dans des régions désignées comme mal desservies, un peu partout en Ontario.
Au contraire de nombreuses villes de cette taille, notre petite communauté était curieusement bien desservie par 4 médecins de famille et remplaçants. Elle n’avait pas encore atteint le vortex de demande qui surclasse tellement l’offre que le recrutement s’en voit exponentiellement compliqué. Naturellement, c’était un terrain de jeu pour un résident - une série sans fin d’interventions mineures faites sur place ou simplement laissées de côté. Les fins de semaine, l’appareil à échographie restait inutilisé dans la salle sombre du département de radiographie; il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que nous l’utilisions pour nos évaluations de la rétention urinaire, de la douleur abdominale, des traumatismes légers et même de l’insuffisance cardiaque congestive.
Milieu urbain par rapport à rural
Notre hôpital de petite ville devait être bien plus attentif aux pièges que ses homologues plus populeux; les lits, les rideaux et les dossiers étaient tous les mêmes, mais l’atmosphère était inexplicablement différente. À l’urgence du centre-ville de Toronto, la confidentialité entre médecin et patient signifiait une conversation derrière un simple rideau bleu et pourtant, les douzaines de passants anonymes, les infirmières et les auxiliaires ne portaient aucune attention à toutes les confidences délicates qui s’y faisaient. À l’urgence de la petite ville, les rideaux n’avaient pas ces pouvoirs magiques. Nous nous demandions vraiment si des antécédents d’ordre sexuel pouvaient demeurer entièrement confidentiels, lorsque ces passants les mêmes passants pouvaient être des voisins, des collègues ou même des proches.
Durant mon court séjour dans cette ville, j’ai rencontré des patients dans des restaurants et des magasins, qui voulaient parler des points de suture récents à leur doigt. À Toronto, un léger salut de la tête aurait suffi dans la rare éventualité d’une rencontre d’un patient en dehors de la clinique. Ici, jouer une ronde de golf avec son médecin était non seulement de rigueur, mais probablement inévitable.
L’expérience du service de garde en milieu rural se traduisait habituellement par quelques patients ajoutés à l’horaire habituel de la clinique; par contre, certains venaient à l’urgence tard dans la soirée. Implicitement, il y avait un respect de bon voisinage dans les visites à l’urgence; pour les mêmes raisons qui font qu’on ne frappe pas à la porte du voisin à 2 h du matin pour emprunter une tasse de sucre, les cas de conjonctivite et de toux se présentaient à l’urgence pendant la journée, mais les blessures au hockey, les douleurs abdominales aiguës et autres cas d’urgence pouvaient se présenter la nuit, de manière imprévisible. L’urgence était le dernier recours. Si l’urgence ne suffisait pas, il fallait appeler le spécialiste à Thunder Bay— très différent de l’appel au spécialiste à l’étage au-dessus dans un établissement urbain. Les soins ruraux sont immédiats et efficaces et, sans l’ombre d’un doute, sont le fait exclusif des médecins et des infirmières. Il n’y a pas d’étage au-dessus; il n’y a que Thunder Bay, à des kilomètres à travers l’espace sauvage du bouclier canadien.
En définitive, cette expérience a donné une vision délicieusement asymétrique des capacités d’un seul centre régional de soins tertiaires, d’une si petite envergure par rapport à Toronto. L’Hôpital régional de Thunder Bay, si peu en évidence, était la nouvelle tour d’ivoire. On s’est vite demandé s’il fallait aiguiller nos patients vers ses présumées cliniques partie de l’hypertension pulmonaire. En milieu urbain, le patient ferait l’objet d’un triage en bonne et due forme par l’infirmière, puis par des étudiants en médecine et des résidents. L’attente peut être longue, les soins de qualité inégale et l’attitude, plus ou moins blasée, mais tout est possible si vous attendez assez longtemps dans les corridors. Les patients complexes et difficiles sont envoyés aux étages au-dessus ou reçoivent leur congé jusqu’à une visite de suivi à la clinique d’histoplasmose, quelques semaines plus tard.
Indécis
Le changement d’une médecine d’établissement au modèle de soins complets a été rafraîchissant. Je n’avais jamais envisagé les défis et la portée de la pratique rurale. Lorsque je l’ai fait, je les ai trouvés irrésistibles. Mon côté aventurier a adoré la possibilité de voir une région du pays que je n’aurais pas visitée autrement. Je suis toujours indécis quant au choix de m’établir de façon permanente dans une petite ville mais, en tant qu’expérience de résidence, il ne faut pas manquer un stage en pratique rurale.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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