La pratique de la médecine est fondée sur l’utilisation des données issues de la recherche scientifique. Imaginons que nous sommes dans les années 1970. À cette époque pas si lointaine, le « bon » médecin traitait les extrasystoles ventriculaires associées à un infarctus du myocarde avec de la lidocaïne, l’insuffisance cardiaque aiguë avec de la digitale, l’asthme avec de l’aminophylline et la gonorrhée avec de la pénicille. Il référait en chirurgie ses patients souffrant d’un ulcère duodénal et qui ne répondaient plus à la diète lactée et à la psychothérapie.
Les données de la recherche scientifique—les données probantes—ont démontré que ces approches sont peu efficaces, voire nuisibles, et que d’autres traitements sont plus appropriés. La littérature médicale foisonne d’exemples d’approches diagnostiques, thérapeutiques et préventives qui étaient solidement ancrées dans la pratique et qui ont dû être écartées à la suite d’une évaluation rigoureuse1.
Mais attention, si les données scientifiques sont essentielles à la pratique de la médecine, le concept de la médecine fondée sur les données probantes dépasse largement l’application simpliste des résultats de la recherche. La médecine fondée sur les données probantes se définit comme l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données scientifiques dans l’établissement des soins à prodiguer à un patient2.
Les données, si fortes ou si faibles soient-elles, ne sont jamais suffisantes pour prendre des décisions cliniques3,4. Les soins centrés sur le patient et la prise de décision partagée sont au cœur de la véritable pratique fondée sur les données probantes. Cette pratique relève du jugement et de l’expertise du médecin qui tient compte des données scientifiques (de leur précarité, voire de leur absence) et qui informe clairement son patient. Cette pratique relève également du contexte clinique et social dans lequel évolue ce patient ainsi que de ses valeurs et préférences à l’égard des bénéfices et des risques des interventions envisagées3,4. Les gourous de la médecine fondée sur les données probantes prêchent que ce ne sont pas les données qui prennent les décisions, mais bien des individus qui les prennent, et idéalement de concert3–6. La médecine fondée sur les données probantes définit ce qu’est l’excellence même de la pratique médicale: une combinaison de science, d’humanisme et d’art.
Appropriation par l’industrie pharmaceutique
Le plus grand tort que la médecine fondée sur les données probantes ait subi depuis que l’appellation a été évoquée, au début des années 19907, est certainement la récupération du vocable par l’industrie pharmaceutique. Elle a fait preuve d’un réductionnisme délibéré de l’approche pour en tirer des bénéfices financiers. Depuis des décennies, grâce à son quasi-monopole des grands essais cliniques randomisés (sur le plan financier) et de ce qui en découle (publications et guides de pratique clinique), elle dicte aux professionnels de la santé ainsi qu’à la population ce que sont les données probantes et comment les appliquer, évidemment à son avantage et pour en tirer profit. Elle a ainsi réussi à modifier le concept même de la santé en transformant les facteurs de risque en maladies pour lesquelles un médicament devient un incontournable pour recouvrer cette santé8.
Conscients de cette influence sur la pratique médicale, il n’est donc pas surprenant que plusieurs s’insurgent contre la médecine fondée sur les données probantes, notamment en questionnant la valeur et l’utilité des guides de pratique cliniques9. C’est en donnant plus d’importance à l’enseignement de la véritable médecine fondée sur les données probantes que ces usages inappropriés, voire délétères pour nos patients, seront de plus en plus reconnus et exposés au grand jour. Il reste toutefois du travail à faire.
Application de la médecine fondée sur les données probantes en médecine familiale
Au cours des dernières décennies, on a beaucoup insisté sur les soins centrés sur le patient dans nos programmes de résidence en médecine familiale, alors que parallèlement et de manière cloisonnée, les résidents ont été exposés à la lecture critique de la littérature, souvent comme unique initiation à la médecine fondée sur les données probantes. Le fossé s’est creusé de telle sorte que la médecine fondée sur les données probantes est considérée par certains comme un « dada » de chercheurs, inaccessible, alors qu’au contraire elle doit être le quotidien de tous les cliniciens.
Sans mettre la lecture critique aux oubliettes, l’accès aux données de la recherche clinique qui ont déjà fait l’objet d’analyses ou de synthèses critiques, indépendantes de l’industrie, est de plus en plus facile grâce à des moteurs de recherche médicaux (la base de données Trip, InfoCritique, MacPLUS), des résumés critiques (Evidence-Based Medicine, InfoPOEMs, Infopratique), des manuels en ligne (Essential Evidence Plus, DynaMed, Clinical Evidence, Best Practice, UpToDate) et maintenant des programmes de formation à la prise de décision partagée (www.decision.chaire.fmed.ulaval.ca/index.php?id=189) et des outils d’aide à la décision pour le patient au Canada (http://decisionaid.ohri.ca), au Royaume Uni (http://sdm.rightcare.nhs.uk) et aux États-Unis (http://informedmedicaldecisions.org). Les outils d’aide à la décision pour les patients sont des supports précieux, voire essentiels, pour partager les données probantes avec les patients et favoriser leur participation à la prise de décision concernant leur santé tout en respectant leurs valeurs et leurs préférences10.
Il est évident qu’on ne donne pas trop d’importance à la pratique de la médecine fondée sur les données probantes. On n’en donne pas assez!
Notes
CONCLUSIONS FINALES — NON
Michel Labrecque MD PhD FCMF
Michel Cauchon MD FCMF
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La médecine est fondée sur l’utilisation des données issues de la recherche scientifique.
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La médecine fondée sur les données probantes dépasse largement l’application simpliste de résultats de recherche.
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L’industrie pharmaceutique a fait preuve d’un réductionnisme délibéré de la médecine fondée sur les données probantes pour en tirer des bénéfices financiers.
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La prise de décision partagée apporte les techniques et les méthodes nécessaires pour mettre en œuvre la véritable médecine fondée sur les données probantes.
Footnotes
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Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Les parties à ce débat contestent les arguments de leur opposant dans les réfutations accessibles à www.cfp.ca. Participez à la discussion en cliquant sur Rapid Responses à www.cfp.ca
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Références
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