La Tribune aux idées dangereuses est une séance présentée chaque année au Forum en médecine familiale (FMF) par la Section des chercheurs du Collège des médecins de famille du Canada. Cette avenue est une invitation aux idées novatrices susceptibles de faire avancer notre profession par la recherche en médecine familiale. Pour le FMF 2017 à Montréal, au Québec, 122 idées dangereuses ont été proposées. Toutes les idées présentées ont été examinées et notées par 3 réviseurs. Les idées dangereuses sont évaluées par les réviseurs et ensuite par l’auditoire au FMF selon 3 critères : 1) L’idée est-elle novatrice? 2) L’idée présente-t-elle un défi? et 3) L’idée pourrait-elle changer les choses? Les idées dangereuses sont choisies pour être présentées au FMF en fonction des notes accordées par les réviseurs. Les innovateurs sont appelés à assister à la séance de la Tribune aux idées dangereuses pour présenter et défendre leur idée en personne. Chaque innovateur a 3 minutes pour convaincre l’auditoire de l’importance et de la robustesse de son idée. Les présentations sont suivies d’une période de 8 minutes de questions et de réponses.
Lors de la séance de la Tribune aux idées dangereuses du FMF de 2017, 3 présentateurs étaient présents. À la fin de la séance, nous avons demandé à l’auditoire d’applaudir pour l’idée dangereuse la meilleure et la plus robuste. Pour mesurer les applaudissements des membres de l’auditoire, nous avons téléchargé une application d’applaudimètre « officiel ». Les personnes présentes ont eu beaucoup de plaisir à voter pour leur idée favorite. Les 3 idées ont toutes reçu des applaudissements de niveau « fantastique » selon l’applaudimètre; par ailleurs, 1 idée a atteint le niveau « formidable » et son présentateur a été déclaré gagnant.
Idée fantastique : Arrêtez de dire aux gens de perdre du poids
La perte pondérale ne fonctionne pas. Même si de nombreuses études, et même des méta-analyses, font valoir qu’elle fonctionne, une lecture attentive de ces études révèle que la perte de poids dure rarement plus de 1 à 2 ans, et les auteurs des études, dans cette période de temps, ne peuvent mesurer que des paramètres de substitution, comme l’indice de masse corporelle, la réduction des taux de lipides, la circonférence de la taille et la glycémie. Des études à plus long terme confirment ce que nous savons déjà par expérience : la plupart des gens regagneront le poids perdu et même plus. Aucune preuve ne permet de dire aux gens que la perte de poids les rendra plus en santé, plus heureux ou qu’ils vivront plus longtemps. Au contraire, les cycles répétés de perte et de gain de poids semblent causer des changements métaboliques qui rendent plus difficile la perte pondérale. La frustration et l’image de soi négative qui résultent « d’échecs » répétés à maintenir la perte de poids peuvent avoir des conséquences importantes pour la santé mentale du patient et la relation médecin-patient. Chez la plupart des gens, la tendance à prendre du poids a été établie avant même leur naissance, et même si l’environnement et le comportement individuels jouent un rôle important, une fois le poids établi, il est presque impossible pour la plupart des gens de le perdre de manière permanente. Il y a des exceptions, mais elles sont rares. Les médecins de famille devraient arrêter de dire à leurs patients de faire ce qu’à peu près aucun d’entre eux ne sera capable d’accomplir. Nous devrions plutôt encourager tous nos patients, qu’importe leur poids, à faire des changements qui se sont avérés pouvoir modifier des paramètres importants comme la mortalité et la maladie : augmenter l’activité physique et choisir une alimentation plus saine. Ce faisant, certains perdront du poids, mais de nombreux autres n’en perdront pas. Par contre, ils seront tous en meilleure santé et, avant tout, ils quitteront notre clinique avec leur dignité intacte et notre relation avec eux sera préservée, ce qui nous permettra de continuer à travailler avec eux à long terme.
Idée fantastique : Admettre administrativement les patients à l’hôpital pour leur donner accès aux médicaments
Les 3 millions de Canadiens qui ne peuvent pas se payer de médicaments devraient être administrativement admis à l’hôpital, sans même y avoir vraiment mis les pieds, de manière à ce qu’ils puissent avoir accès à des traitements susceptibles de leur sauver la vie. Les médecins de famille pourraient s’acquitter de leurs devoirs envers leurs patients en facilitant l’accès aux traitements pour le diabète, l’hypertension, le VIH ou le sida, et à d’autres médicaments qui favorisent la santé de nos patients vulnérables. La Loi canadienne sur la santé exige que les gouvernements financent à même les fonds publics les médicaments pour les patients hospitalisés, et tous les patients peuvent être administrativement admis (et recevoir un congé) pour le seul motif d’avoir accès à des médicaments financés par le secteur public. Une telle approche est légale, éthique et fondée sur des données probantes. Pourquoi ne pas le faire dès maintenant?
Idée formidable : Masquer le nom sur les demandes présentées aux facultés de médecine et au SCJR jusqu’à ce que le choix des personnes à interviewer soit terminé
Par rapport à l’ensemble de la population, les médecins canadiens ont un profil démographique asymétrique, caractérisé par une diversité économique moins grande, une sous-représentation des personnes de race noire, des Premières Nations et des Canadiens hispaniques, et une surreprésentation des Canadiens d’origine chinoise ou sud-asiatique. Parce que le nom d’une personne peut révéler son ethnicité, son sexe et peut-être même sa situation socioéconomique, il peut être une source potentielle de partialité consciente ou non reconnue dans l’esprit de ceux qui passent en revue les dossiers. Ces partis pris peuvent exacerber davantage l’asymétrie dans les facultés de médecine et les programmes de résidence. De bonnes données probantes démontrent que la santé et la satisfaction des patients s’améliorent avec la présence de plus de similitudes avec leurs médecins; c’est pourquoi nous devrions avoir pour but de produire un bassin de médecins qui s’apparente plus étroitement avec l’ensemble de la population. En masquant le nom des requérants jusqu’à ce que les invitations aux entrevues soient envoyées, nous suivrions l’exemple de nombreux établissements postsecondaires qui tentent globalement de réduire le risque de discrimination envers les requérants et nous accroîtrions, espérons-le, la diversité de la communauté médicale de manière à mieux servir nos patients.
Footnotes
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Ces résumés ont fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2018 issue on page 97.
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