La vertu ne peut s’épanouir que dans les relations entre égaux.
Mary Wollstonecraft
Dans le Harveian Oration de 2011, l’omnipraticienne britannique Iona Heath a retracé l’origine de la division de la médecine clinique entre les généralistes et les spécialistes, qui remonte au milieu du 19e siècle avec l’adoption du Medical Act de 18581. Cette distinction a eu pour effet la création de ce qu’elle décrit comme suit :
une seule profession, mais dualiste, ayant une même formation initiale, un statut égal et d’utiles réserves de respect mutuel. Les spécialistes et les omnipraticiens, parfois perçus comme en opposition, sont inextricablement dépendants de leurs compétences respectives et surtout, la plupart sont extrêmement conscients de l’envergure de cette interdépendance1.
Idéalement, les médecins de famille généralistes et leurs collègues spécialistes sont considérés comme des praticiens égaux, mais différents et complémentaires, qui, ensemble, font fonctionner les systèmes de santé de manière optimale1. Cependant, le « cursus caché » qui sévit dans la formation médicale prédoctorale et postdoctorale favorise une hiérarchie entre généralistes et spécialistes dans laquelle le généraliste est dépeint comme inférieur2. Cette réalité vient en grande partie de la croyance selon laquelle les étudiants qui choisissent la médecine familiale sont intellectuellement inférieurs à ceux qui choisissent de se spécialiser. De bonnes données probantes prouvent que ce n’est pas le cas3.
Si nous examinons de près la littérature médicale, nous constatons que le cursus caché a des tentacules au-delà des facultés de médecine et jusque dans notre développement professionnel continu (DPC) et permanent, et ce, surtout par l’intermédiaire des guides de pratique clinique (GPC) traditionnels.
Les groupes responsables des GPC ont habituellement été dominés par les spécialistes considérés comme les experts en matière de médecine factuelle, mais au cours des 2 dernières décennies, on a observé de sérieux problèmes. Les GPC traditionnels ont tendance à être axés sur la maladie plutôt que centrés sur le patient. Leurs recommandations ne reposent pas toujours sur les meilleures données probantes et se fient à l’excès à l’opinion des experts4. Les experts membres des panels sont plus susceptibles que les « non-experts » (médecins de famille) d’avoir des conflits d’intérêts financiers ou autres qui pourraient influencer leurs recommandations5–7 et miner leur intégrité.
Au cours des 3 dernières années, Le Médecin de famille canadien (MFC) a publié une série de GPC8-13 qui démontrent que les médecins de famille, de concert avec d’autres (y compris des patients), peuvent produire des GPC de grande qualité et fondés sur des données probantes, qui évitent bon nombre des pièges habituels et se conforment aux normes élevées des Clinical Practice Guidelines We Can Trust et d’AGREE II14–16. De plus, ils « assainissent » le cursus caché qui prévaut dans le DPC. Des lecteurs nous ont parlé de la nécessité de tels GPC pratiques qui comportent des résultats axés sur le patient. Depuis leur publication en 2015, les lignes directrices simplifiées sur les lipides9 ont été consultées plus de 98 000 fois en anglais et 9500 fois en français sur le site web du MFC, ce qui en fait l’article le plus souvent consulté dans l’histoire du MFC. Six semaines seulement après leur publication, les lignes directrices simplifiées sur les cannabinoïdes12 avaient été consultées 22 000 fois.
Le fait de produire des lignes directrices différemment pose des défis à la médecine familiale et à nos collègues spécialistes. Pour les spécialistes, il s’agit de renoncer à leur mainmise sur les « données probantes » et de travailler véritablement en collaboration avec les médecins de famille, sans défendre le statu quo17. Les répercussions sur les médecins de famille sont aussi importantes. Nous devrons perfectionner davantage et maintenir nos compétences en évaluation critique des ouvrages scientifiques pour participer efficacement et pour jouer un rôle de chef de file dans l’élaboration des futurs GPC axés sur les soins primaires qui touchent à la fois la formation et le DPC. Il sera aussi essentiel d’évaluer les répercussions de tels GPC sur les soins aux patients.
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