L’interconnectivité du 21e siècle a profondément influencé notre compréhension de la santé mondiale. Qu’il s’agisse de réagir à la transmission des maladies infectieuses ou de lutter contre les effets du changement climatique, divers événements, circonstances et décisions transcendent les frontières traditionnelles et affectent la santé dans le monde entier1,2. Des événements comme la crise de l’Ebola en 2014, qui menaçait initialement l’Afrique occidentale, puis s’est rapidement propagée pour devenir une priorité internationale, ou encore des décisions comme le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, ont des conséquences qui vont au-delà des frontières locales pour influer sur le reste du monde3,4.
La santé mondiale est la santé locale5. Les Canadiens ne sont pas immunisés contre les effets des phénomènes mondiaux. Lorsque des patients se présentent avec des symptômes en milieu de soins primaires, la réussite du diagnostic et du plan thérapeutique exige que les médecins aient une compréhension holistique des maladies, y compris des causes à leur origine. Mais la question suivante demeure : comment exactement un événement ou une circonstance mondiaux peuvent-ils influer sur la pratique locale des médecins de famille canadiens? Pour comprendre comment les problèmes de santé mondiaux peuvent affecter la santé à l’échelle locale, il est utile d’envisager ces phénomènes planétaires sous 4 angles distincts : la mondialisation, les risques transnationaux, l’équité en matière de santé et les problèmes négligés6. En examinant les problèmes de santé mondiaux sous chacun de ces angles, les médecins de famille canadiens peuvent comprendre comment ces enjeux influent localement sur la santé au Canada, et acquérir les connaissances nécessaires pour dispenser les meilleurs soins possible aux patients (Figure 1)7.
Mondialisation
L’angle de la mondialisation explique les tendances dans la santé, l’équité en matière de santé et le bien-être dans un contexte mondial, ainsi que les façons dont ces tendances sont façonnées par des facteurs économiques, sociaux, culturels, environnementaux ou politiques à l’échelle de la planète6. Il ne fait nul doute que la technologie, le commerce et les finances, renforcés par un nombre grandissant d’institutions multilatérales, ont augmenté l’interconnectivité des personnes8. Sous l’angle de la mondialisation, nous pouvons utiliser 2 exemples, notamment la prévalence du tourisme médical et la dépendance accrue à l’égard du commerce international, pour comprendre les effets sanitaires locaux des problèmes de santé mondiale (Tableau 1)7.
Le tourisme médical, une forme mondialisée de soins de santé à but lucratif, gagne en popularité auprès des Canadiens, et l’interconnectivité de notre monde a facilité l’accès à ce genre de services9. Selon les estimations de l’Institut Fraser, plus de 63 000 Canadiens ont reçu, en 2016, un traitement médical non urgent ailleurs qu’au Canada10. Parmi les raisons de vouloir obtenir un traitement médical à l’étranger figurent les préoccupations entourant les longues périodes d’attente au pays (p. ex. les interventions chirurgicales électives comme l’arthroplastie de la hanche ou du genou), les coûts moins élevés pour des interventions non remboursées par le secteur public (p. ex. la chirurgie esthétique) et les soins bonifiés à l’étranger (p. ex. les soins postopératoires dans des hôtels luxueux)9. Compte tenu des 18 entreprises installées au Canada qui font le marketing des services médicaux à l’étranger, il est plus facile que jamais d’obtenir de tels services9,11. Toutefois, les traitements alternatifs peuvent comporter des risques quant à la sécurité des patients et la qualité des soins11,12. Les médecins de famille peuvent avoir, avec leurs patients, des discussions éclairées par des données probantes au sujet des bienfaits et des risques du tourisme médical, et ils peuvent compenser la discontinuité du traitement médical en offrant des soins de suivi après l’intervention (y compris le contrôle de la douleur), et le traitement de toute complication grave13.
En outre, il est démontré que l’incidence plus grande du libre-échange des produits agricoles influence la santé locale. Les variations dans les pratiques et la réglementation relatives à la manutention des aliments peuvent se traduire par des risques plus élevés de contamination des fruits et des légumes14. Chaque année, environ 4 millions de Canadiens sont atteints par des maladies d’origine alimentaire causées par des bactéries, des parasites et des virus, par exemple l’Escherichia coli, les norovirus et la Salmonella15. Au cours des 2 dernières années (de 2018 à 2020), il s’est produit 4 flambées d’E. coli au Canada16, toutes reliées à la laitue romaine cultivée aux États-Unis. La plus récente éclosion, en décembre 2019, comptait 28 cas de la maladie dans 7 provinces17. En général, au Canada, le fardeau de la gastroentérite, habituellement causée par des pathogènes comme l’E. coli, s’élève à 35 millions de cas par année, selon les estimations18,19, soit un cas par Canadien. Pour prévenir les intoxications alimentaires, les médecins de famille peuvent renseigner les patients sur la salubrité des aliments, et préconiser des politiques publiques de promotion de la santé (p. ex. des politiques visant la réglementation de la sécurité alimentaire et liées aux ententes sur le commerce international)13.
Risques transnationaux
Les risques transnationaux sont des menaces, des possibilités et des déterminants qui transcendent les frontières politiques pour affecter la santé des Canadiens6. Pour illustrer les effets sur la santé locale des problèmes de santé mondiale sous l’angle des risques transnationaux, mentionnons la menace de la résistance aux antimicrobiens (RAM), la dissémination généralisée d’informations erronées sur la santé dans les médias, de même que les effets du changement climatique (Tableau 1)7.
La résistance aux antimicrobiens est accélérée par certaines pratiques humaines, notamment la prescription excessive d’antibiotiques. Dans le contexte des soins primaires, une analyse des données administratives réalisée en 2017 démontrait qu’en 2012, les médecins ontariens avaient prescrit des antibiotiques non nécessaires à 46 % des patients plus âgés souffrant d’une infection non bactérienne des voies respiratoires supérieures20. L’atténuation des risques de la RAM exige une coopération mondiale, puisque la résistance est difficile à limiter à une seule région. Pour prévenir la RAM due à la prescription excessive, les médecins de famille peuvent se fonder sur les meilleures données scientifiques pour prescrire des antibiotiques et renseigner les patients sur le recours approprié à ces médicaments afin de protéger leur santé13.
En plus du risque transnational que pose la RAM, la dissémination mondiale de la désinformation sur la santé par l’entremise des réseaux sociaux et des médias traditionnels menace la santé des Canadiens. Les « faits » contradictoires sur les maladies, les traitements et les choix de modes de vie influent sur les attitudes et les comportements des Canadiens en matière de santé21. Par exemple, le mouvement anti-vaccination a augmenté en popularité au cours des dernières années, en particulier après qu’une célébrité de la télévision américaine, Jenny McCarthy, eut mis la population en garde contre les vaccins, prétendant de manière erronée qu’ils avaient causé l’autisme de son fils22. Selon un sondage auprès des Canadiens sur leurs connaissances et leurs attitudes à propos des vaccins, leur confiance envers les vaccins pourrait être minée si des événements indésirables étaient publicisés23, tandis qu’un autre sondage démontrait qu’en 2015, 15 % des parents croyaient que la naturopathie pourrait remplacer les vaccins24. Pour contrer la désinformation médiatique sur la santé, les médecins de famille peuvent partager leurs connaissances d’experts sur les problèmes courants dans la communauté et rétablir les faits par leurs conseils médicaux13.
Tout comme la désinformation sur la santé dans les médias et la RAM, le changement climatique représente un risque transnational qui affecte la santé des Canadiens. Les restructurations environnementales, y compris une incidence plus élevée d’événements dus à des conditions météorologiques extrêmes, ont à la fois des effets directs et indirects25. Par exemple, les sécheresses sont liées à un plus grand nombre de feux de forêts, ce qui entraîne plus de consultations médicales pour des symptômes de maladies respiratoires26. Au-delà de la manifestation de symptômes de santé physique, l’écoanxiété, aussi connue comme la crainte chronique d’une sombre destinée environnementale27, touche assez rapidement la génération contemporaine. En tant que défenseurs des intérêts de leurs patients, les médecins de famille peuvent soutenir la mise en œuvre de politiques publiques de promotion de la santé, y compris celles visant l’environnement13.
Équité en matière de santé
L’équité en matière de santé se concentre sur les écarts dans les résultats sanitaires chez les populations aux prises avec des problèmes de marginalisation6. De nombreux facteurs placent les personnes en marge de la société, y compris, mais sans s’y limiter, la pauvreté, la race, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, la maladie mentale, les incapacités physiques et les comorbidités. En santé mondiale, on déploie de grands efforts pour atteindre les plus inatteignables et, dans le contexte canadien, ce sont le plus souvent les médecins de famille qui dispensent ces soins cliniques. Pour illustrer les effets locaux sur la santé qu’ont les problèmes de santé mondiale sous l’angle de l’équité en matière de santé, nous pouvons examiner le fardeau disproportionné des maladies chez les populations autochtones, de même que les besoins complexes des migrants en matière de santé (Tableau 1)7.
Dans le monde, les populations autochtones sont victimes de discrimination et d’un lourd fardeau de morbidité. La marginalisation historique des populations autochtones sur la planète a eu des manifestations au Canada, ce qui a donné lieu à certaines des pires iniquités dans notre société. Par exemple, l’obésité affecte de manière disproportionnée les populations autochtones au Canada28. Une étude a fait valoir que la consommation d’alcool et une alimentation insuffisante en fruits et en légumes étaient nettement plus courantes, sur le plan statistique, chez les populations hors réserve des Premières Nations en Ontario que chez les populations non autochtones29. Des interventions ciblées au niveau de la population, sous la direction des peuples autochtones et qui tiennent compte de leurs cultures, de leurs valeurs et de leurs approches, peuvent contribuer à réduire ces disparités28. Les médecins de famille peuvent aussi préconiser des politiques de promotion de la santé pour aider leurs patients à adopter des modes de vie plus sains au-delà du milieu clinique. Une réflexion sur les déterminants mondiaux de la santé, comme la marginalisation des peuples autochtones, et la façon dont ils se manifestent localement comme étant des circonstances sociales, culturelles et économiques uniques avec lesquelles chaque patient est aux prises, améliorera la pratique clinique13.
Les immigrants et les réfugiés constituent une autre population qui a des besoins particuliers sur le plan de l’équité en santé. Par rapport aux personnes nées au Canada, les migrants ont souvent été exposés à divers microorganismes, ont des conditions de vie différentes et ont des prédispositions génétiques géographiquement influencées qui peuvent influer sur le profil des maladies. Par exemple, la tuberculose touche de manière disproportionnée les populations de migrants au Canada. Sur les 2,7 millions d’immigrants arrivés entre 2000 et 2013, quelque 1120 avaient reçu au moins 1 congé d’une hospitalisation liée à la tuberculose30. Certaines constatations font valoir que 65 % de tous les cas actifs de tuberculose au Canada se trouvent chez des personnes nées en dehors du pays31. Si les médecins de famille comprennent l’historique de vie des patients, ils peuvent mieux reconnaître et traiter des problèmes ou des maladies qui sont endémiques à l’étranger et, par conséquent, donner de meilleurs soins à leurs patients.
Problèmes négligés
Les problèmes négligés sont des maladies qui affectent de manière disproportionnée des populations exclues des marchés et des sociétés6. L’Organisation mondiale de la Santé a produit une liste de 20 maladies transmissibles qui prévalent dans les environnements tropicaux et subtropicaux, dans 149 pays du monde (Tableau 1)7. Bien que les personnes qui vivent dans la pauvreté, qui sont en contact étroit avec des vecteurs infectés ou qui n’ont pas accès à des installations sanitaires soient les plus affectées, il se peut que des Canadiens rapportent ces maladies à la suite d’un voyage. La dengue, l’une de ces 20 maladies, touche environ 200 à 300 voyageurs canadiens chaque année32. La dengue prévaut davantage dans les régions tropicales, et elle infecte annuellement environ 400 millions de personnes32. Les Canadiens sont vulnérables au virus, parce qu’il ne s’agit pas d’une population visée pour la distribution du vaccin puisqu’ils ne vivent pas dans une région où la maladie est endémique et qu’il est moins probable qu’ils aient été antérieurement infectés. Les médecins de famille peuvent prévenir et traiter les maladies négligées en informant leurs patients des risques associés aux voyages, et en demeurant à l’affût de ces maladies à leur retour.
Orientations futures
Les médecins de famille canadiens occupent une position privilégiée pour faire face aux défis mondiaux en matière de santé. Le monde de l’éducation médicale a la possibilité de perfectionner les connaissances des médecins et de changer les attitudes à l’égard de divers problèmes de santé mondiale. La recherche en soins primaires peut étudier systématiquement l’engagement des médecins et d’autres professionnels de la santé de première ligne envers les enjeux mondiaux de santé dans leurs pratiques en santé locale. La recherche dans ce domaine peut contribuer à créer des interventions efficaces pour que les médecins s’engagent envers la santé mondiale et mettent en application des leçons vitales dans leur pratique pour, en définitive, préserver la santé autant des Canadiens que des autres peuples dans le monde.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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