En 2014, en Colombie-Britannique (C.-B.), le ministère de la Santé a instauré un changement dans la formulation de la méthadone, touchant environ 15 000 patients qui recevaient de la méthadone par voie orale comme thérapie par agonistes opioïdes. Au lieu d’une solution préparée en pharmacie de méthadone mêlée à une boisson aromatisée (Tang), les patients recevaient désormais un sirop de méthadone prémélangé à saveur de cerise (la Méthadose) qui était 10 fois plus concentré. Même si le fabricant et les autorités de la santé s’attendaient à ce que les 2 formulations soient cliniquement équivalentes, de nombreux patients ont vite commencé à exprimer des préoccupations selon lesquelles la Méthadose était un traitement inférieur pour leur trouble de consommation d’opioïdes. Dans cet article, nous passons en revue ce qui s’est produit en C.-B., nous signalons notre réussite avec une troisième option, et nous recommandons des précautions à prendre avant d’apporter des changements à la formulation de la méthadone à l’avenir.
Trois études se sont penchées sur les réactions des patients de la C.-B. à ce changement. La première, une étude qualitative dans le cadre de laquelle ont été interviewés 34 patients qui recevaient de la méthadone orale comme thérapie agoniste opioïde, a révélé que de nombreux patients rapportaient une aggravation des symptômes de sevrage à la suite du changement à la Méthadose1. La deuxième, un sondage auprès de 405 patients qui prenaient de la Méthadose, a rapporté que plus de la moitié des répondants avaient ressenti plus de douleurs et de symptômes de sevrage après le changement de formulation, et qu’environ le tiers avaient augmenté en conséquence leur dose de Méthadose2. La troisième, une étude de cohortes auprès de 331 personnes positives au VIH qui consommaient des drogues, a démontré que l’utilisation de l’héroïne avait augmenté de 11,5 % (IC à 95 % de 5,6 à 17,4 %) et que la conformité à la thérapie antirétrovirale avait baissé de 15,9 % (IC à 95 % de 5,0 à 26,7 %) immédiatement après le changement3. Ces valeurs représentent une consommation plus élevée d’héroïne et une moins bonne conformité à la thérapie antirétrovirale durant les 2 mois suivant le changement que durant n’importe quel des 15 mois précédents3. Cette troisième étude a aussi mesuré l’adhésion à un traitement à la méthadone et la suppression de la charge virale du VIH; et ni l’une ni l’autre n’avait diminué en lien avec le changement.
Dans leur ensemble, les constatations de ces études, de même que de nombreux rapports anecdotiques de rechutes et de décès, font valoir que le changement dans la formulation de la méthadone a entraîné une déstabilisation des patients et une hausse considérable de la morbidité et de la mortalité liées aux opioïdes.
Une nouvelle solution?
De nombreux patients qui croyaient que la Méthadose était inefficace ont récemment fait la transition vers une troisième formulation appelée Métadol-D, une solution de méthadone liquide diluée dans une boisson à saveur d’orange (Tang). Le Métadol-D a été offert en 2018, principalement à la suite de plaidoyers de la part d’organisations dirigées par des patients, notamment la BC Association of People on Methadone, qui cherchaient une option de rechange efficace pour les patients qui ne répondaient pas bien à la formulation changée en 2014. Nous, ainsi que la communauté de pratique en C.-B., avons aussi constaté de manière anecdotique et généralisée que le Métadol-D est une option efficace. Alors que les patients éprouvaient des symptômes de sevrage, comme un état de manque, des malaises, de la nausée et de la douleur aussi tôt que de 10 à 14 heures après leur dose de Méthadose, ils ne ressentent pas ces symptômes inconfortables pendant près de 24 heures avec le Métadol-D, ce qui rend la stabilité à une dose par jour davantage possible. L’adoption du Métadol-D a eu un effet positif considérable sur la stabilité sociale des patients et leur consommation de drogues illicites. Très peu de patients ont demandé de retourner à la Méthadose.
On ne sait trop pourquoi l’état de certains patients s’est détérioré après avoir changé pour la Méthadose et pourquoi ils signalent maintenant une amélioration après avoir adopté le Métadol-D. Les patients préfèrent souvent une marque de médicament plutôt qu’une autre, et souvent, nous ne savons pas pourquoi. Dans la mesure du possible, nous devrions simplement respecter les préférences du patient, comme c’est le cas avec les formulations de méthadone, même en l’absence d’études cliniques.
Chercher à comprendre l’intolérance au changement
En outre, la compréhension des mécanismes possibles de l’intolérance au changement de méthadone pourrait aider les cliniciens et les décideurs à atténuer de futurs préjudices causés par un changement de formulation.
Les formulations pourraient être différentes sur le plan de la biodisponibilité ou dans le ratio des 2 énantiomères de méthadone (R-méthadone et S-méthadone). Par ailleurs, selon la monographie du produit de Mallinckrodt pour la Méthadose4 et la description d’un représentant responsable des renseignements médicaux chez Paladin Labs sur la Métadol-D (communication verbale personnelle, janvier 2020), les 2 produits sont des mixtures racémiques (c.-à-d. qui contiennent des proportions égales de R-méthadone et de S-méthadone). De plus, les connaissances actuelles fondées sur des comparaisons d’études cliniques contrôlées sur les formulations de méthadone sont limitées. À notre connaissance, il n’y a pas d’essais cliniques qui comparent directement les formulations en cause en C.-B.5. Cependant, une étude randomisée contrôlée à double insu, effectuée en 1999 par Gourevitch et ses collègues6, a comparé la Méthadose liquide à 2 autres formulations. Les auteurs n’ont trouvé aucune différence significative dans les concentrations plasmiques ni dans les scores subjectifs sur l’échelle du sevrage des opioïdes chez 18 patients6. Il importe de signaler que les concentrations plasmiques ne différencient pas les énantiomères, et par conséquent, les ratios d’isomères pourraient quand même avoir été différents.
Mallinckrodt, le fabricant de la Méthadose, a utilisé les constatations de Gourevitch et ses collègues pour justifier ses attentes que la Méthadose soit cliniquement équivalente à l’ancienne formulation de la méthadone en C.-B.7. Ces attentes étaient inappropriées pour au moins 2 raisons. D’abord, les constatations de Gourevitch et ses collègues n’excluent pas les différences pharmacologiques en C.-B., où la Méthadose est « comparée » à des formulations différentes que celles utilisées dans leur étude. Deuxièmement, les récits documentés d’exemples concrets d’intolérance au changement de la méthadone, y compris des études observationnelles aux États-Unis et au Royaume-Uni qui ont cerné des augmentations considérables dans l’instabilité sociale et l’utilisation de drogues sans ordonnance à la suite d’un changement dans la formulation de la méthadone8,9, démontrent l’existence d’un modèle d’événements de déstabilisation résultant des changements dans les formulations de méthadone.
Des mécanismes psychologiques pourraient aussi être responsables. Par exemple, les patients pourraient s’attendre à une réduction de l’efficacité du médicament en raison du volume réduit de la Méthadose ou d’une méfiance envers les professionnels de la santé. Dans le même ordre d’idées, les patients pourraient ressentir du stress causé par un sentiment de perte de contrôle de leur traitement ou par le goût désagréable de la nouvelle formulation. Ces mécanismes sont plausibles, étant donné l’influence bien connue de l’aspect psychologique sur l’effet des médicaments (p. ex. l’effet placebo). Un mécanisme de conditionnement est aussi possible, selon lequel une association sensorielle pourrait se former entre le véhicule (p. ex. le Tang à saveur d’orange) et l’effet physiologique du médicament, de sorte que le changement de véhicule diminue ou altère les effets, indépendamment des processus psychologiques supérieurs. Il importe de souligner que, dans la mesure où des mécanismes psychologiques sont responsables de l’intolérance au changement, ils ont des effets cliniques réels sur la population que nous traitons et ne devraient pas être écartés comme étant facilement modifiables ou comme étant la faute du patient.
Procéder avec prudence
Malgré les données probantes actuellement limitées, les cliniciens et les décideurs devraient user de prudence s’il est proposé de changer la formulation de la méthadone à l’avenir. Il importe que les raisons du changement soient jugées impératives et dans l’intérêt supérieur des patients qui prennent ce médicament. Si un changement de formulation doit aller de l’avant, nous devons nous assurer que les fabricants fournissent l’identité chirale de la formulation antérieure. De plus, dans la mesure du possible, le véhicule doit être semblable ou identique à celui de l’ancienne formulation, de manière à préserver une familiarité psychologique. Les professionnels de la santé et les fabricants de médicaments devraient faire preuve de flexibilité et défendre les intérêts des patients en rendant d’autres options de formulation accessibles aux patients qui ne réagissent pas bien au changement. Enfin, un nombre grandissant de données probantes indiquent qu’une participation étroite des intervenants communautaires dans la planification et la mise en œuvre des politiques de santé publique réduit les coûts et améliore la satisfaction des patients10. C’est pourquoi des efforts en santé publique devraient être déployés pour consulter les patients intensivement et les informer des changements envisagés, et pour ensuite procéder en collaboration.
L’expérience réalisée en C.-B. devrait servir de mise en garde aux régions qui envisagent un changement dans la formulation de la méthadone. La probabilité des préjudices aux patients a été sousestimée avant le changement, et nous avons été lents à réagir en offrant une formulation de rechange après que les torts furent devenus évidents. Heureusement, l’offre de la Métadol-D comme autre choix semble être grandement bénéfique. Nous encourageons les recherches sur les mécanismes à l’origine de l’intolérance au changement. Grâce à une planification attentionnée et à certaines études continues, nous pouvons empêcher ce modèle de se reproduire et protéger les patients contre des préjudices additionnels.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs. Can Fam Physician 2020;66:e273-75
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the November 2020 issue on page 797.
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Références
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